© Pierre-Emmanuel Rastoin

Philippe Gas : « Le vrai bénéficiaire de Disneyland Paris, c’est la France »

« Last chance Gas » (dernière station-service avant le désert) : telle est l’enseigne, dans le deuxième parc de Disneyland Paris, voué au cinéma, d’une pompe à essence modèle sixties. Et si le sémillant président, Philippe Gas, dont le sourire est aussi éclatant que sa communication efficace, était la dernière chance pour le fameux parc, qui a fêté ses 20 ans le 12 avril, d’ajouter le succès financier au triomphe populaire ? Le second est consacré, le premier est incertain. Mais, quelles que soient les vicissitudes économiques, Disneyland Paris investit, se développe, s’agrandit, recrute, prospecte. Dans Le Vif/L’Express, Philippe Gas abat ses atouts pour demain.

Pourquoi la fréquentation du parc, avec 15,7 millions de visiteurs, a-t-elle été si bonne en 2011 ?

Cela s’est fait non pas d’un seul coup, mais grâce à la mise au point, depuis plusieurs années, de techniques de marketing qui agissent comme des leviers de motivation auprès des consommateurs. En France, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Italie et sur nos marchés prioritaires, les gens sont de plus en plus nombreux à dire : « J’irai à Disneyland Paris dans les douze prochains mois. » Nous avons progressé dans la connaissance des outils qui, pays par pays, incitent les habitants à venir chez nous. En 2011, par exemple, en Grande-Bretagne, pays très sensible au prix, nous avons trouvé le point clé : le transport. En 2009 et 2010, la fréquentation avait chuté, malgré des baisses de 40 % de nos prix. Les Britanniques, qui réservaient d’habitude six mois à l’avance, se décidaient, à cause de la crise, un mois à peine avant de venir, et le coût devenait alors prohibitif du fait du transport. Nous avons donc travaillé avec les transporteurs pour que le séjour soit accessible.

Les Européens de l’Est sont-ils très présents ?

Nous avons ouvert un bureau à Varsovie, en 2009, pour la Pologne, la Bulgarie et la Roumanie : il y a une belle progression, mais sur de petits volumes. Un autre bureau sera bientôt ouvert à Moscou et le marché russe est, lui, très prometteur. La solution, c’est de s’associer avec les agents de voyages locaux et de construire une relation de confiance. La Russie fête Noël en janvier, qui n’est pas notre période de plus grosse activité : c’est donc un potentiel très intéressant.

La culture Disney n’est-elle pas rejetée dans certains de ces pays ?

Disney est présent à travers ses chaînes de télévision et l’adoption est réelle. En Pologne, en Roumanie, il y a une très forte affinité avec la marque. C’est paradoxalement en Asie qu’on rencontre le plus grand éloignement avec la culture Disney.

Pour 2012, visez-vous les 16 millions, les 20 millions de visiteurs ?

Nous espérons bien sûr, avec le 20e anniversaire, faire mieux que l’année dernière : nous avions accueilli 15,7 millions de visiteurs. Avant de parler de 20 millions de visiteurs, notre attention se focalise sur la qualité de l’accueil et de l’expérience : faire venir du monde, sans augmenter les capacités des parcs et, par conséquent, avoir des files d’attente interminables, serait un mauvais calcul.

Les visiteurs dépensent-ils plus qu’avant dans les parcs en achats de produits dérivés, en restauration ?

Nous suivons quatre indicateurs : la fréquentation des parcs, le taux d’occupation des hôtels et la contribution des visiteurs, c’est-à-dire leurs dépenses, dans les parcs et dans les hôtels. Ces quatre critères sont à la hausse. Pour ce qui est des dépenses, elles sont, en 2011, à 49 euros par visiteur en moyenne dans les parcs et 220 euros dans les hôtels, ce qui est un record historique. Travailler sur l’offre qualitative est important : ainsi, une pension complète rassure une famille espagnole sur les dépenses de repas.

Comment améliorer encore la performance des hôtels ?

L’important pour le consommateur est la perception du discount, plus que le prix payé : si j’ai l’impression de faire une bonne affaire, j’achète. Les Britanniques, très sensibles au prix, déboursent de 10 à 15 % de plus qu’il y a deux ans, parce que les discounts fonctionnent. Quant à l’occupation, avec un taux de 87 % en 2011, pour un record de 92 %, les marges de progression sont assez faibles et nous allons devoir accroître nos capacités hôtelières. Nous disposons aujourd’hui de 8 000 chambres dans les hôtels Disney et dans les hôtels partenaires. Dans le cadre du renouvellement de la convention, en 2010, avec l’Etat, nous étudions la possibilité de construire 14 500 chambres supplémentaires d’ici à 2030, particulièrement dans les catégories luxe et premier prix.

Et le troisième parc ?

A partir de 2020, nous déciderons si un concept de troisième parc est viable, compte tenu des extensions réalisées dans le deuxième. Si, en 2020, nous choisissons de le lancer, il pourrait ouvrir en 2025. La nouvelle convention avec l’Etat, prévue jusqu’en 2030 avec développements jusqu’en 2035, nous donne toute la réserve foncière nécessaire.

Un parc aquatique ? Sur les animaux ?

Pour cela, nous allons avoir Villages Nature, une destination de vacances avec des activités ludiques, dont un parc aquatique qui sera le plus grand d’Europe. Nous avons mis plusieurs années à finaliser notre projet avec Pierre et Vacances. Nous avons fait intervenir Joe Rohde, le créateur d’Animal Kingdom, qui a bâti un ensemble à l’architecture jamais vue. Le parc aquatique sera fondé sur la géothermie : vous pourrez vous baigner toute l’année dans des geysers islandais ! La commercialisation sera lancée à la fin de 2012, l’ouverture est pour la mi-2015.

Et l’emploi ?

Disneyland Paris a permis la création de 55 000 emplois en France, 90 % de nos employés sont en CDI à temps plein. Villages Nature pourrait créer, en 2015, 4 500 nouveaux emplois. Nous formons aussi beaucoup de jeunes recrues aux métiers du tourisme. Des savoir-faire d’artisans, qui se raréfient en France, survivent à Disneyland.

Les anti-Disney radicaux ont-ils disparu ?

Il y a eu, c’est vrai, au début, une période d' »arrogance candide » de la Walt Disney Company : c’est loin derrière nous. Depuis plusieurs années, nous avons fait le maximum pour mieux nous intégrer dans le paysage culturel français. Mais rien n’est gagné : ce serait une erreur de le croire. A nous de faire chaque jour le nécessaire. Vous savez, quand on voit les chiffres de contribution économique et sociale dont nous parlions, je crois que le vrai bénéficiaire de Disneyland Paris, c’est la France.

Les accidents, par exemple dans le « train de la mine », sont-ils le prix du vieillissement ?

Notre priorité, c’est la sécurité. Quand une famille va voir un film Disney, elle sait que ses enfants ne risquent rien devant l’écran. Ce doit être la même chose dans le parc. 5 % du chiffre d’affaires est consacré, chaque année, à maintenir la qualité et la sécurité de nos attractions. Toutes les nuits, elles tournent et sont vérifiées. Après l’accident dans le train de la mine, en 2010, nous avons supprimé toutes les pièces mobiles de l’attraction.

Parlons argent : 63,9 millions d’euros de pertes en 2011, n’est-ce pas inquiétant ?

C’est décevant, mais pas inexplicable. Nous étions en avance sur les réservations jusqu’en mai, puis le problème grec a créé de la panique, et le marché européen s’est fermé. Les dépenses pour l’année étaient alors déjà engagées, et les recettes du quatrième trimestre n’ont pas été à la hauteur de nos attentes. 63,9 millions, c’est la même perte qu’en 2009, pas plus. En 2011, nous avons accéléré nos investissements pour atteindre la somme de 85 millions d’euros, et 100 millions sont autorisés pour 2012, avec le soutien constant de nos banques et de la Walt Disney Company.

Et la dette ?

Elle s’élève à 1,876 milliard d’euros. Depuis 2007, nous avons déjà remboursé 360 millions et nous respecterons notre échéancier. Dans le même temps, notre trésorerie s’élève à 370 millions : c’est la situation la plus saine depuis vingt ans. Cela nous donne la maîtrise de notre développement.

Quel souvenir avez-vous des débuts du parc ?

J’ai été embauché en 1991. Je suis venu une première fois sur le site en hiver, six mois avant l’ouverture : on voyait pousser le squelette des attractions. Tous les employés avaient été réunis, nous avions les mêmes tee-shirts – j’ai conservé le mien. Je me souviens de l’inauguration, j’étais affecté au parking pour aider les visiteurs à se garer. Après la soirée, nous étions là, tous un peu tristes, car le parc n’allait plus être le nôtre, il allait être ouvert à tout le mondeà Il reste 1 500 employés qui, comme moi, sont là depuis le début. Les autres, quand je les retrouve, disent encore « nous » quand ils évoquent Disneyland Paris. Disney a changé ma vie.

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE BARBIER

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