Peter De Roover © Karoly Effenberger

Peter De Roover (N-VA) : « Il y a peu de chances que nous puissions participer au prochain gouvernement fédéral « 

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Lors de la crise politique de décembre, le chef de groupe N-VA à la Chambre, Peter De Roover, s’est montré un ardent défenseur de la ligne du parti. On verra ce printemps ce que cela apportera. « Avec Marrakech, nous avons ouvert la boîte de Pandore. »

C’est le devoir et parfois le destin des dirigeants des groupes majoritaires de « rendre les choses possibles » : comme le parlement ne doit pas trop gêner le gouvernement, le chef de groupe doit mettre de l’énergie à gérer sa fraction. C’est ce qu’a dû faire Peter De Roover après qu’il ait succédé à Hendrik Vuye en 2016 en tant que président des 31 membres N-VA de la Chambre. Jusqu’à ce que le public voie apparaître un autre De Roover lors des débats sur la crise de Marrakech et plus tard la chute du gouvernement Michel. Le vieil orateur du Vlaamse Volksbeweging a donné la réplique à presque tous ses partenaires de coalition et l’opposition. Il n’a pas manqué l’occasion de prononcer quelques exagérations verbales chères au Mouvement flamand.

De Roover ne s’en fait pas. « En tant que chef de groupe, je suis d’abord et avant tout un soldat du parti ». Mais un soldat du parti n’a pas besoin d’être effacé. Si vous considérez effectivement la présidence de groupe comme un métier, alors je m’en tire assez bien. Mais ces dernières semaines, pour la première fois, j’ai été très fier de mon apport politique. À la Chambre, j’ai été en mesure d’aborder la question cruciale de la valeur et de la signification des frontières dans le débat politique. Et cela au Parlement belge, où le discours du multilatéralisme domine tout. Puis j’ai reconnu à nouveau le Peter De Roover d’il y a vingt-cinq ans. J’ai récemment relu certains de mes textes des années 1990 et du début de ce siècle. Pour moi, la principale force motrice de la politique est l’idée que les frontières sont importantes : elles déterminent le degré de démocratie. Dans quelle mesure êtes-vous encore un participant à la démocratie ou un spectateur ? Dans un monde illimité, on devient de plus en plus un spectateur. Pour moi, ce débat est donc beaucoup plus fondamental qu’une discussion sur le texte du Pacte de Marrakech. »

Ce texte n’était même pas si mauvais, nous ont dit les diplomates belges. En raison, entre autres, de la pression belge, de nombreuses modifications essentielles ont été apportées à la version originale.

Les premières ébauches étaient pires, mais elles n’étaient pas encore assez bonnes pour nous. À l’époque, l’ensemble de la communauté internationale avait approuvé ce texte, à l’exception de Viktor Orban et Donald Trump. Dans ce contexte, notre « oui » n’était pas une position réelle, mais plutôt un accusé de réception. Il n’y avait pas de raison de s’opposer au monde entier. Il faut choisir ses combats. Nous n’avons choisi ce combat que lorsque, en plus du camp du « oui », un fort camp du « non » est apparu. Sinon, cela aurait été un choix de marginalité.

Il s’agit cependant d’un pacte qui, selon Bart De Wever, va à l’encontre de ses « convictions les plus profondes ».

C’est vrai, n’est-ce pas ? Dès 2015, lors de la conférence d’ouverture du professeur Carl Devos à Gand, De Wever a été l’un des tout premiers hommes politiques européens importants à remettre la Convention de Genève en question. Déjà, il mettait en garde contre le danger que représentent les traités internationaux pour la souveraineté nationale, surtout si les juges les interprètent indépendamment de leur contexte initial. C’est pourquoi nous nous sommes opposés si fermement à Marrakech, surtout lorsque l’Autriche a changé de position et a voté contre. Soudain, l’Australie a également voté contre. L’Italie, la Pologne et toute une série de pays d’Europe de l’Est ont suivi. D’un coup, il y avait un camp du non. Là, nous avons dû annoncer la couleur. C’est là que la N-VA a dit : « Notre pragmatisme s’arrête là. »

Vous saviez alors que le gouvernement tomberait. Si le pragmatisme disparaît, l’idéologie prend le dessus et aucun compromis n’est plus possible.

J’ai vite compris que Marrakech serait très difficile. Même quand beaucoup disaient encore : « Le gouvernement ne tombera pas là-dessus », j’avais déjà des doutes. Bien que je pense toujours que des solutions auraient été possibles si la Belgique avait travaillé à un large groupe européen, non seulement de partisans du ‘oui’ mais aussi du ‘non' ». Au cours des débats, j’ai demandé à Michel: « Serez -vous un bâtisseur de ponts européens, ou serez-vous le spectateur d’un divorce européen ? » Nous ne pouvions pas nous garer sur la rive du oui. Nous voulions nous garer quelque part sur le pont entre les deux rives. Il n’a pas saisi cette occasion. On n’a pas travaillé à un large front européen avec les pays d’Europe de l’Est, où la Belgique, avec des pays comme l’Autriche et la Pologne, aurait pu définir ce que le Pacte de Marrakech avait et n’avait pas signifié. (soupir) En toute honnêteté : la condescendance avec laquelle les députés traitent les pays d’Europe de l’Est me dérange énormément. C’est un autre exemple d’une vision du monde de jeunes écolos. Cette incapacité de se déplacer dans d’autres têtes, alors que ces gens ont une histoire totalement différente. Je sais au moins que la Hongrie a dû lutter beaucoup plus intensément contre l’Empire ottoman que nous. Je connais l’histoire de la Pologne. Ce ne serait pas une mauvaise chose si Groen avait l’empathie d’étudier l’histoire d’autres pays et d’essayer de comprendre les racines de leurs craintes. Cela commence à devenir une maladie de la politique belge : le monde doit se plier à la manière décidée par la Commission des Affaires étrangères de la Chambre.

Peter De Roover
Peter De Roover© Karoly Effenberger

Ces dernières années, la N-VA n’a-t-elle pas viré plus à droite avec Francken ? En 2015, il a clairement indiqué que personne n’aurait à dormir dans la rue. En 2018, il a établi un quota de 50 demandes d’asile par jour. Ce quota est un coup de barre à droite.

Ou un durcissement. À un moment donné, vous remarquez qu’un problème est encore plus aigu qu’auparavant. Ici aussi, nous devons abandonner notre naïveté. Il s’agit de chiffres et de la distance parcourue par les réfugiés. Ce n’est pas parce qu’un demandeur d’asile respecte les règles de la Convention de Genève qu’il est par définition une bonne personne qui s’intègre automatiquement. Au contraire, avec l’arrivée des demandeurs d’asile, nous importons en même temps des problèmes sociaux. Faut-il toujours dire « non » aux demandeurs d’asile ? Non. Mais la situation doit rester gérable.

Après la prise du pouvoir par le général Augusto Pinochet en 1973, la Belgique a accueilli de nombreux réfugiés chiliens. Ils venaient d’un continent lointain. Auraient-ils dû obtenir l’asile ?

Il ne s’agit pas seulement de kilomètres. Les Chiliens sont beaucoup plus faciles à intégrer que beaucoup de réfugiés aujourd’hui.

S’agirait d’une question de religion?

Bien sûr qu’il s’agit de religion, de culture et d’une vision de la société.

Traduisons : les musulmans du Moyen-Orient sont moins faciles à accueillir que les chrétiens sud-américains ?

Il me semble évident qu’il est difficile d’intégrer un berger qui a grandi dans une société hostile aux femmes sur le plateau afghan. Une telle personne crée plus de problèmes sociaux dans notre société qu’un Chilien, même s’il a vraiment été persécuté en Afghanistan. Sa présence reste un lourd fardeau social. Une fois de plus, devons-nous être un refuge sûr pour tous ceux qui sont en danger dans le monde entier ? Vous pouvez répondre « oui », mais moi, je dis « non ». Dans ses conséquences extrêmes, cela conduit à l’abandon de notre modèle social.

Vous préconisez un gel des réfugiés.

Je trouve qu’il faut aider les gens dans leur propre région, où, soit dit en passant, avec chaque euro que nous investissons, nous pouvons faire plus qu’ici. Cela facilite également le retour des réfugiés qui ont épuisé tous les recours légaux. N’assumons-nous pas notre responsabilité internationale en développant des ports sûrs pour ceux qui ont été persécutés sur place ? Mais nous n’avons pas la responsabilité de trinquer pour tous ceux qui sont persécutés quelque part dans le monde.

Êtes-vous satisfait de votre impact sur le gouvernement Michel ?

Le gouvernement Michel s’est heurté à un certain nombre de limites, et au sein de ce gouvernement, la N-VA s’est heurtée à un certain nombre de limites. J’imagine que certaines personnes ont dit : « Si ce n’est que ça… ». Les gens ont une pensée révolutionnaire. Ils pensent qu’un nouveau gouvernement va tout changer. Je ne suis pas comme ça. Je suis plutôt évolutionnaire.

Vous l’avez cherché ça, non? La N-VA était tout de même le parti du changement ?

Il y a eu beaucoup de changements. Je pense que ce gouvernement a, dans un certain nombre de domaines, amorcé une rupture de tendance. Vous entendrez ma circonspection : ce n’était pas un gouvernement N-VA, mais un gouvernement avec la N-VA dedans. Nous aurions aimé laisser une marque plus claire, mais je n’en suis pas frustré au vu de ce que nous avons accompli. Ce qui est bizarre, c’est qu’en même temps, nous avons été déçus que le changement ne soit pas allé assez loin, et les syndicats ont donné l’impression que nous avions bouleversé l’ensemble du système social – ce qui n’est pas vrai. Je pense que le gouvernement Michel a changé plus que ce que beaucoup de gens voient, mais moins que je le souhaiterais.

La N-VA gagnera-t-elle les élections avec cette image?

Probablement moins facilement. Mais je vois aussi dans mon groupe un certain nombre d’excellents parlementaires avec qui on ne gagne pas d’élections. Ça aussi, je le regrette. Nous sommes peut-être devenus plus courageux ces dernières années, nous ne sommes toujours pas un parti traditionnel.

Avouez-le : vous vouliez aller aux élections avec Marrakech. La N-VA a fait réaliser ses propres sondages, qui ont montré qu’il y avait plus d’électeurs flamands sur votre ligne que sur celles de ce que vous continuez à appeler « la Coalition de Marrakech ».

En effet, les deux tiers de la Chambre avaient une opinion qui, je pense, n’est pas le reflet de l’opinion publique – je m’exprime avec prudence. Les sondages n’ont joué à aucun moment. Cela me rend également fier d’être à la N-VA. Tout comme le fait que nos excellences ont démissionné sans la moindre objection, en laissant tomber tous leurs avantages. Qu’il s’agisse de Theo Francken ou de Zuhal Demir, de Johan Vanovertveldt ou de Jan Jambon, ou encore de Sander Loones, ils n’ont à aucun moment laissé influencer leur point de vue par leurs propres intérêts.

A quel moment serez-vous satisfait lors des prochaines élections ? Si la N-VA atteint 35% au Parlement flamand et 30% à la Chambre ? Ou plaçons-nous la barre trop bas ?

Je préférerais que nous obtenions 25 %, mais que nous puissions en faire quelque chose plutôt que 35 % et être condamnés à une opposition stérile. L’histoire commence aux urnes, mais les circonstances déterminent ce que vous pouvez en faire. Cela dit, nous n’avons pas plus peur de l’opposition que de la participation du gouvernement, mais pas à n’importe quel prix. Je pense que notre passage au gouvernement Michel en valait la peine. Je ne vais pas proclamer que c’était le summum en politique, mais dans les limites du possible, c’était du bon travail. Et ça donne envie de continuer. Si nous pouvons participer au prochain gouvernement fédéral, nous le ferons. Mais les chances que ce soit possible sont limitées.

Bart De Wever reste le seul le vrai leader de la N-VA ?

Bart a façonné ce parti. Mais il n’est pas vrai que le conseil du parti et le conseil exécutif sont composés de gens qui s’informent de la ligne du parti auprès de Bart. Inversement, Bart rentre souvent chez lui en ayant changé d’avis, et, espérons-le, plus sage aussi après nos réunions. Le Pacte de Marrakech est un bon exemple de notre culture de consultation interne. Aucun d’entre nous n’a participé à ces réunions en croyant à l’un ou l’autre scénario. À moment donné, on a écrit que Jambon et De Wever voulaient continuer à gouverner, et que Francken et De Roover étaient les irréductibles qui choisissaient l’opposition. Ce fossé entre le pragmatisme et les principes existe certes dans notre parti, mais il ne se situe pas entre les différents chiffres. Il nous traverse tous. Je suis à la fois pragmatique et doté de principes, tout comme Jan, Bart et Theo le sont. Les pourcentages varieront, de 60-40 à 70-30, mais il n’y aura plus de différence entre nous. Jusqu’à la fin de la crise de Marrakech, Theo Francken a tenu à poursuivre son travail de Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration. Même Theo n’était pas joyeux à l’idée de quitter le gouvernement Michel.

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