Eric De Beukelaer

Péché originel d’Adam… Smith

Eric De Beukelaer Abbé nomade Blog : http://minisite.catho.be/ericdebeukelaer/

Son président est élu. Encore les législatives et puis finie l’ivresse électorale en France. Retour à la gouvernance, ou comment jongler avec réductions du déficit public et relance de l’économie. Dur, dur.

Résumons la crise de la zone euro, telle que je la comprends : pour soutenir la consommation et la croissance américaine, la « Fed » a encouragé sous Alan Greenspan (son président de 1987 à 2006) une politique du crédit facile. Les ménages américains se sont endettés de façon déraisonnable et leurs emprunts ont été transformés en titres que les banques du monde entier ont achetés comme avoirs sûrs – triple A des agences de notation oblige. Quand la crise des subprimes éclata en automne 2008, le système bancaire trembla sur ses assises. Il manqua d’imploser, ce qui aurait paralysé l’économie mondiale et réduit nos cartes bancaires à ne valoir que le plastique dont elles sont faites. Pour éviter l’apocalypse, les Etats ont donné leur garantie aux banques. Mais la spéculation n’étant pas canalisée, le poids des créances pourries se reporta sur les Etats-garants. Devenues vigilantes, les agences de notation dégradent, dès lors, à tour de bras les pays aux finances publiques friables, car surendettés pour soutenir artificiellement leur croissance. La zone euro – tiraillée entre monnaie unique et politiques budgétaires nationales – est la plus exposée : pour les marchés, un euro allemand vaut bien plus qu’un un euro espagnol ou grec. Et les gouvernements de l’Union de danser sur la corde raide. Trop d’austérité et c’est la récession qui augmente le poids de la dette publique – ce que les marchés sanctionneront. Trop de relance et c’est le déficit public qui explose – ce que les marchés sanctionneront. Avec pareille tenaille, qui s’étonne encore que le bon peuple soit désorienté et que les populismes fleurissent ?

Après l’écroulement de l’utopie communiste, nous touchons ici aux limites de l’idéologie capitaliste. Développée par le moraliste écossais Adam Smith (1723-1790), celle-ci voit dans l’appât du gain le moteur de la prospérité. Las, en basant la croissance exclusivement sur la recherche de profit individuel, l’économie prend pour horizon la durée de vie des intéressés et non le long terme. L’individu investit pour lui-même, voire ses enfants ou petits-enfants. Il pense rarement à un siècle de distance. Pensons à notre incapacité à aborder de front le réchauffement climatique. Pensons aussi à l’éducation, qui constitue le meilleur investissement pour maximaliser la compétence des futurs citoyens. Pourtant, quel individu paie de bon c£ur des impôts pour éduquer des enfants qu’il ne connaît pas et qui ne sont peut-être pas encore nés ? Cette incapacité de penser le long terme ou de se sentir solidaire de ce qui dépasse son cercle d’intérêt, est la faiblesse du modèle d’Adam Smith. Je le nomme – par clin d’oeil vers le livre de la Genèse – son « péché originel ». Seule une régulation politique permet de corriger la faille smithienne. Aujourd’hui, c’est au niveau mondial – et, à défaut, européen – qu’il faut agir, puisque le marché et la spéculation sont planétaires. Telle est une des intuitions constantes (enseignée depuis les années 1960) du trop méconnu enseignement socio-économique de l’Eglise catholique : « Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres […], il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale. » (Benoît XVI, encyclique Caritas in veritate, 2009, n° 67)

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