Christophe Leroy

Péage urbain à Bruxelles: une réponse simpliste à une noble cause (opinion)

Christophe Leroy Journaliste au Vif

En validant, ce jeudi, son projet de « tarif kilométrique intelligent », le gouvernement bruxellois oublie la complexité inhérente aux flux de mobilité en Belgique. Comme si tout citoyen était réellement libre de tous ses choix de déplacement. Les exemples qui suivent prouvent le contraire.

Je connais des familles (de la classe dite moyenne, rappel utile) qui se sont éloignées des villes où elles travaillent, parce qu’elles n’avaient pas les moyens d’y louer un appartement décent, et personne ne peut leur reprocher. Je connais des gens qui travaillent en ville mais préfèrent la campagne et la nature immédiate comme lieu et cadre de vie, et personne ne peut leur reprocher. Je connais des habitants bruxellois dont toute la famille, tous les amis vivent en Wallonie, à plusieurs dizaines de kilomètres de la capitale, et personne ne peut leur reprocher. Je connais des gens qui ne souhaitent nullement adosser le choix d’un cadre de vie permanent à un lieu travail potentiellement provisoire, et personne ne peut leur reprocher. Je connais des personnes porteuses d’un handicap pour qui la voiture constitue le seul moyen de déplacement envisageable, et personne ne peut leur reprocher.

Derrière la nécessité plus que légitime de réduire autant que possible les besoins de mobilité, a fortiori en voiture, se cachent des flux bien plus complexes. En validant son projet de péage urbain – pardon, de tarif kilométrique intelligent – baptisé Smartmove, le gouvernement bruxellois apporte en fait une réponse simpliste à une noble cause. Simpliste, parce qu’elle suppose qu’un transfert modal de la voiture vers les transports en commun ou les modes doux est presque toujours possible. Bien sûr, ce plan, censé être instauré en 2022, prévoira des exceptions, des dérogations, dans des cas bien précis. Mais beaucoup de citoyens n’y auront pas droit et risquent dès lors de se retrouver financièrement pénalisés si la Wallonie et la Flandre ne suivent pas la compensation bruxelloise visant à supprimer la taxe d’immatriculation et celle de circulation pour les véhicules jusqu’à 15 CV. Smartmove serait-il le projet d’experts et de politiques mono-urbains, oubliant que d’innombrables conditions minimales ne seront toujours pas remplies, même en 2022, pour le mettre en oeuvre ?

Face à « l’intelligence » auto-proclamée du système mis en place, il est temps de rappeler ces quatre évidences élémentaires :

  • Que le citoyen n’est pas libre de choisir la distance qu’il parcourt. En Wallonie comme en Flandre, la fréquence de l’usage de la voiture est accentuée par une dispersion de l’habitat particulièrement importante, qui constitue d’ailleurs la hantise des gestionnaires des transports en commun. Dans un monde utopique, tout travailleur habiterait perpétuellement à proximité de son lieu de travail parce qu’il en a la possibilité et l’envie. Tous ses autres besoins de mobilités se retrouveraient dans ce même et seul rayon. Que ce soit un choix légitime (vivre à l’air de la campagne) ou une contrainte (trouver un logement plus abordable mais plus éloigné du travail, de la famille ou autre), la réalité géographique est tout autre. Tout comme les flux de mobilité sont bien plus complexes et interconnectés qu’un projet de tarification mono-régional.
  • Que le citoyen n’est pas toujours libre de choisir son moyen de transport pour se rendre à Bruxelles. Le recours de la voiture n’est pas nécessairement qu’un « réflexe », comme certains technocrates de la mobilité aimeraient le penser. Souvent, la voiture constitue le seul choix possible pour les raisons géographiques évoquées ci-dessus, mais aussi pour une question de temps. Consacrer une part supplémentaire de son temps au profit d’une mobilité plus douce, en délaissant la voiture au profit du vélo, de la marche ou des transports en commun, est une démarche tout à fait louable et possible dans certains cas. Dans d’autres, elle est tout simplement irréaliste dans les conditions actuelles (les mêmes que celles de 2022) : elle engouffrerait encore plus de temps que le pire des embouteillages vers la capitale. Et sur le (peu de) temps dont elles disposent, beaucoup de familles n’auront jamais aucune prise.
  • Par le passé, j’ai habité à Namur, puis dans la commune rurale voisine de Fernelmont, tout en travaillant à Bruxelles. Les technocrates de la mobilité diraient que ce choix d’un cadre de vie rural, à 45 minutes en voitures de mon lieu de travail mais à 3h30 en transports en commun, est inconsidéré, déraisonnable. Il l’est pourtant à l’aune de la proximité avec mes proches habitant un peu partout autour de Namur. Il l’est d’autant plus au regard des disparités dans les montants des loyers, excluant à l’époque tout rapprochement vers la capitale. Il l’est, enfin, au regard d’une aspiration personnelle à vivre près de la nature. Cet exemple purement personnel illustre le vécu actuel d’un grand nombre de navetteurs. Un vécu complexe, où les déplacements sont plus souvent subis que choisis. Et où les alternatives crédibles à la voiture sont souvent absentes.
  • Que le citoyen ne choisit pas toujours le moment de ses déplacements. Le montant du tarif journalier sera plus élevé en heures de pointes qu’en heures creuses. Du bon sens afin de réduire les embouteillages et répartir au mieux les flux de mobilité. Mais une injustice criante pour les nombreux travailleurs qui ne choisissent pas l’heure à laquelle ils commencent ou terminent leur journée.
  • Que le déplacement le plus court n’est pas nécessairement le plus écologique. Le projet prévoit aussi une tarification au kilomètre parcouru, elle aussi différentielle en fonction des heures – et gratuite en soirée et le week-end. Habitant aujourd’hui en région bruxelloise, je peux certifier que le déplacement le plus court en voiture dans la capitale n’est pas nécessairement le meilleur d’un point de vue environnemental. Parfois, quelques kilomètres de plus permettent d’optimiser les flux et l’empreinte carbone finale. Ce n’est pas ce qu’encourage cette tarification au kilomètre.

Pour autant, cette opinion n’est nullement un plaidoyer pour le tout-à-la-voiture, ni même pour un statu quo. Il est évident qu’il convient de réduire au maximum la mono-dépendance au véhicule privé. Mais pour un grand nombre de citoyens, une telle transition ne sera réaliste que si les gouvernements fédéral et régionaux s’entendent pour proposer une philosophie de transfert modal qui ne reposent pas uniquement sur la contrainte, mais aussi sur ses conditions minimales requises.

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