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Paul Magnette à Bart De Wever, l’été 2020: « Peut-on garder le nom de Belgique, Bart? »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Dans un livre dévoilant les coulisses de la crise menant à la Vivaldi fédérale, le journaliste Wouter Verschelden raconte le dialogue avorté entre PS et N-VA. L’entente entre les deux partis va loin et indispose le palais. Passionnant.

Ce fut la plus longue crise politique de l’histoire du pays. Du moins si l’on considère que le gouvernement minoritaire dirigé par la libérale Sophie Wilmès n’était qu’un interlude, le temps de trouver une solution durable. Wouter Verschelden, journaliste politique pour l’édition belge de Newsweek, ancien rédacteur en chef du Morgen, fondateur du site d’informations Newsmonkey et auteur de plusieurs livres, raconte les coulisses de cette longue période qui a mené à la Vivaldi fédérale dans un livre baptisé Les Fossoyeurs de la Belgique (éd. MediaNation). Un essai politique à ne manquer sous aucun prétexte.

Une « sclérose profonde » et un « grand compromis »

Ce récit passionnant trouve ses racines dans les élections fédérales, régionales et européennes de mai 2019. Fracturée en deux, la Belgique peine à se doter d’un gouvernement fédéral majoritaire. Le spectre de la crise de 2010-11, longue de 541 jours, resurgit. « Dix ans plus tard, la sclérose est beaucoup plus profonde, écrit Wouter Verschelden en guise de préambule. La dernière grande crise politique en Belgique a duré plus de 600 jours, alors que le pays traversait en même temps une pandémie et une crise économique. La fierté et la joie du compromis sont en plein désarroi, au grand désespoir du chef d’État belge, le roi, qui figure aux premières loges. Pourtant, ce qui suit n’est pas une histoire unilatéralement négative. »

Le journaliste souligne: « Un nouveau grand compromis semblait même se dessiner à l’été 2020, une ‘pacification de la Belgique’, avec les deux hommes politiques les plus puissants du pays dans les rôles principaux: Bart De Wever, chef des conservateurs flamands, et Paul Magnette, chef des socialistes wallons. Des personnalités antagonistes, qui pourraient être le miroir inversé de l’autre, mais qui avaient en tête un compromis plus grand. Seulement, cette histoire a pris une tournure différente. Un changement de script qui met encore un peu plus de pression sur l’avenir. »

Le récit politique est publié simultanément dans les deux langues nationales. « J’y tenais, parce qu’il me semble important de donner un regard sur ce qui se passe aux lecteurs des deux grandes communautés du pays », souligne Wouter Verschelden. Son enquête donne des clés pour comprendre un enjeu majeur pour l’avenir du pays et préfigure peut-être ce qui se passera en 2024. « J’ai été surpris de voir à quel point le dialogue entre la N-VA et le PS a été loin durant l’été 2020« , précise-t-il. Voici quelques extraits d’un récit qui vaut le détour.

Une atmsophère conviviale

« Paul, c’est vraiment dommage, parce que j’avais vraiment hâte d’y être. » « Eh bien, moi aussi Bart. » C’est avec ce dialogue entre Bart De Wever (N-VA) et Paul Magnette (PS) que débute le premier chapitre des Fossoyeurs de la Belgique. Les deux présidents de parti sont assis avec leurs deux plus fidèles collaborateurs au siège de la N-VA, au coeur de Bruxelles, rue Royale. « C’est le milieu de l’été, raconte Wouter Verschalden, les alentours du Parlement sont déserts le vendredi: si l’on n’est pas en vacances,on sent déjà un air week-end. Au siège du parti conservateur flamand, appelé « De Barricaden », à deux pas du Parlement belge et du Palais royal, les deux hommes refont le monde. Ils racontent en riant comment s’est déroulée la réunion du jour, avec les deux présidents des partis libéraux, qui ont finalement torpillé leur projet commun. Cela s’est fait de manière presque badine: ‘Ils sont restés sept minutes, j’ai chronométré’. »

Le compromis rédigé par les nationalistes et les socialistes a finalement été rejeté par le MR et l’open VLD, qui formeront un axe avec les écologistes pour donner naissance à la Vivaldi, à l’automne 2020.

Le journaliste précise: « Pour les deux dirigeants, ce qui est sur la table semble inévitable pour le pays: une réforme profonde de la Belgique, une nouvelle décentralisation des pouvoirs, avec trois États fédéraux forts comme axe d’un pays (con)fédéral. ‘Une construction suisse’ est la façon la plus simple pour les personnes concernées de la décrire. Et les deux dirigeants, Magnette comme De Wever,sont convaincus de l’inéluctabilité de leurs plans. Parce que le fonctionnement actuel de la Belgique n’est plus acceptable, estiment-ils tous deux. »

La réunion de toutes les concessions

Wouter Verschelden raconte le processus visant à « dédiaboliser » le regard de chaque parti envers l’autre, après de longues années où ils se regardaient en chiens de faïence. Jusqu’à une réunion décisive, le jour de la Fête flamande, le 11 juillet. « Au total, le PS et la N-VA se rencontreront à plus de cinquante reprises au cours de l’année précédant la réunion cruciale du 11 juillet, raconte-t-il. ‘Mais c’est là que, tout à coup, les portes se sont ouvertes, et Magnette nous a vraiment laissé entrevoir ses pensées les plus profondes‘, analyse ensuite De Wever en interne. ‘Pour la première fois, De Wever nous a vraiment dit jusqu’où il était prêt à aller’, conclut son homologue Magnette, alors que lui et Dermine (son bras droit, actuel ministre -Ndlr) rentrent en voiture dans leur fief de Charleroi après une journée d’entretiens intensifs. »

Le président de la N-VA est très enthousiaste, selon son récit: pour la première fois, après des mois d’obstruction de la part de Magnette, il voit l’ouverture dans la cuirasse de son adversaire. « Il fait alors une série de concessions claires sur le plan socio-économique, souligne le livre. ‘Oui, l’augmentation de la pension est négociable. Oui, le refinancement des soins de santé est possible. Oui, on peut parler de dotation équilibrée (un mécanisme correcteur de la sécurité sociale, ndlr). Oui, à un impôt sur les gains du capital,ou à un impôt sur les valeurs mobilières – l’un des deux, en d’autres termes – est négociable.’ Magnette est agréablement surpris: enfin, après tous ces mois, De Wever joue cartes sur table. (…) C’est le début d’une bonne affaire pour le PS. »

Un confédéralisme qui ne dit pas son nom

Les deux hommes vont loin dans leurs discussions et évoquent même une évolution plus fondamentale du pays. « Si un jour le pays devait vraiment se diviser, le président du PS n’en serait pas effrayé, écrit Verschelden. Dans les discussions sur le texte même de cet accord majeur, une telle division n’est jamais mentionnée: l’accord est élaboré d’une manière complètement différente. En échange du renoncement à leur ‘séparatisme’, la N-VA obtient un nouveau portrait de la Belgique, qui donne aux entités fédérées des pouvoirs très étendus. (…) Cependant, pour des raisons de marketing politique, le PS ne veut pas entendre le nom de ‘confédéralisme’, même si dans la pratique, il l’accepte. »

La suite est évoquée entre les lignes d’un dialogue savoureux: « ‘Je ne pense pas que tu tiennes vraiment au nom de Belgique, pour la Flandre, Bart ? Cela vous dérangerait-il si un jour nous gardions ce nom pour la Wallonie et Bruxelles?’, demande Magnette à De Wever. Le raisonnement du PS, aussi profond qu’il puisse paraître, est clair et typique d’un professeur spécialisé en politique internationale: si un jour le pays devait vraiment s’effondrer, alors la partie francophone du pays, la Wallonie et Bruxelles, n’auront pas à demanderd’adhérer à nouveau à l’UE, à l’OTAN et à l’ONU: ce sera à la Flandre de le faire. »

Le roi favorable, puis perplexe

Le livre fourmille de détails et de révélations, il se lit comme un roman. Et il dévoile, aussi, des éléments du colloque singulier entre le Palais et les politiques. « Qui n’existe plus vraiment, j’ai l’impression », sourit son auteur

En voici un bel exemple. « Pour maintenir l’unité du pays, il faut un gouvernement composé des deux partis les plus forts de part et d’autre de la frontière linguistique: le roi et son chef de cabinet en sont intimement convaincus. Ainsi, depuis plus d’un an, le Palais élabore un plan pour tenter de réconcilier l’eau et le feu: la N-VA (droite nationaliste) et le PS (gauche progressiste) doivent prendre le contrôle. Toutes les autres tentatives, dans lesquelles notamment la N-VA a dû s’effacer, ont été accueillies très tièdement par le Palais, dans les mois qui précédaient le duo. Le roi et son bras droit sont convaincus que seul un accord entre les deux parties,une sorte de mariage mystique entre De Wever et Magnette, peut conduire à la pacification de la Belgique, permettant d’enterrer une fois pour toutes le spectre du séparatisme flamand. »

Mais: « Le roi ne peut s’empêcher de montrer son manque d’enthousiasme pour les projets du duo. Ils veulent démanteler davantage l’État fédéral au profit des régions. ‘Un fédéralisme supplémentaire?’, demande-t-il en soupirant. Il est certain que la scission des soins de santé, un sujet brûlant en pleine crise sanitaire, passe mal. ‘J’en pense ce que j’en pense’, réagit le roi qui ne peut cacher sa déception. ‘Ce n’est pas ce que le peuple veut, n’est-ce pas? »‘ leur demande-t-il à tous deux d’un air interrogatif. »

La suite est connue: libéraux et écologistes se lient pour casser le projet N-VA/ PS et ouvrir le chemin de la naissance de la Vivaldi.

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