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Paul Furlan ou l’épreuve du baroudeur

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Accablé par les révélations Publifin, Paul Furlan a démissionné. En 54 ans, le ministre socialiste des Pouvoirs locaux n’avait jamais fait demi-tour jusqu’ici. Même sur les pentes du Mont blanc. C’est l’histoire d’un affectif piégé par une confiance sans bornes. Et par les rouages oppressants de son parti.

« Attaque, attaque, attaque ! Je te filme. » Au bord d’une piste de ski, Paul Furlan encourage ses deux filles devant l’objectif d’une GoPro. La mine crispée, il tient en réalité la caméra dans le mauvais sens. Marie et Margaux Furlan ne verront presque rien de leurs descentes.

– Était-il au courant ? Non.

– Aurait-il pu savoir ? Oui.

– A-t-il cherché à savoir ? Non.

« Paul Furlan et la technologie… » La vidéo de 7 minutes n’est pas restée dans la discrétion de son (petit) cercle familial. Elle a été mise en ligne sur son propre compte Youtube, il y a presque 3 ans. Il n’y parle presque pas, et pourtant tout y est. Le rôle de père, avant tout, « la plus belle chose qui me soit arrivée », confiait-il en 2010 au magazine touristique Skål !. L’air pur de la montagne, qu’il affectionne particulièrement en tant que sportif chevronné. L’autodérision et la simplicité dont il ne s’est jamais départi, comme l’attestent ses amis et même ses détracteurs. La désinvolture du baroudeur sans cravate, cheveux gris et blanc en bataille, qu’il cultive à travers une devise paradoxale : « Faire les choses sérieusement, sans se prendre au sérieux. » L’impossible équation du personnage public, enfin, tiraillé entre un naturel avenant et les critiques qui en résultent aussitôt qu’il sert son capital sympathie électoral.

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Car le socialiste de 54 ans sait que la stature d’homme de terrain est d’autant plus porteuse si elle est innée. « Paul est très rapidement à l’aise avec les gens, même quand il entre dans un café de village qu’il ne connaît absolument pas, observe un ancien collaborateur. Après quelques minutes, tout le monde lui tape dans le dos. » Tout l’inverse de la ligne plus musclée de son père, Bruno Furlan, un esprit brillant jadis échevin PS des Finances à Thuin, décédé en décembre dernier. L’engagement en politique de Paul Furlan, au début des années 80, n’est pas tant le prolongement d’une fibre familiale que la conséquence d’une envie de changer les choses, dans sa commune et au-delà. Même si ses racines ont forgé sa conception d’une « gauche réaliste », centrée sur le développement de sa région, assurent ses proches. La famille de son père, d’origine italienne, a vécu modestement, tandis que sa mère a grandi dans un monde d’agriculteurs. « Paul connaît la valeur du travail. On discutait de la vie associative qui ne bougeait pas assez à nos yeux, on râlait sur l’immobilisme des anciens », se rappelle Philippe Blanchart (PS), échevin délégué aux affaires maïorales à Thuin et député fédéral.

Une machine de guerre

Dès leurs premières élections communales, en 1994, les deux amis obtiennent les 3ème et 4ème meilleurs scores sur la liste PS, alors qu’ils y figuraient dans les dernières places. Pour Paul Furlan, c’est le début d’une ascension construite sur l’ancrage local et la quête perpétuelle du consensus. Ce plébiscite le propulse au parlement wallon en 1999, puis au maïorat de Thuin en 2000, après douze ans de règne du libéral Daniel Ducarme, en partance vers une conquête électorale en Région de Bruxelles-Capitale. « Enormément de militants se reconnaissent en Paul, observe Laurent Devin (PS), bourgmestre de Binche et député fédéral. Mais il a aussi réussi à convaincre d’innombrables électeurs non socialistes de voter pour lui. » Isolé dans l’opposition à Thuin, Sébastien Brousse (Ecolo) n’apprécie guère la mainmise du maître des lieux sur une majorité absolue qu’il a toutefois ouverte au MR et au CDH en 2012. « C’est une machine de guerre, concède-t-il. Les gens avec Furlan, c’est à la vie, à la mort. »

D’emblée, le jeune bourgmestre PS prend une initiative plutôt rare, qui semble alors anecdotique : aucun de ses échevins ne pourra exercer conjointement un mandat dans une intercommunale. Détenteur d’une licence en administration publique à l’ULg, il y voit un gage d’intégrité. Et quand il devient président de l’Union des villes et communes de Wallonie (UVCW) en 2007, ce n’est une surprise pour personne, vu l’intérêt qu’il porte à la thématique des pouvoirs locaux. Les idées de réforme ne manquent pas…

Dix-huit janvier 2017, dans l’après-midi. L’heure est grave pour Paul Furlan, ministre wallon des Pouvoirs locaux, de la Ville, du Logement, de l’Energie et des Infrastructures sportives. Accablé par le scandale des rémunérations abusives dans l’intercommunale Publifin, il doit en outre s’expliquer quant au rôle qu’y a joué son chef de cabinet adjoint démissionnaire, Claude Parmentier. Un ministre peut-il décemment ignorer quels sont les mandats exercés par sa propre équipe, a fortiori quand l’une de ses missions, qu’il gère depuis bientôt huit ans, porte précisément sur ces matières ? Plus solennel qu’à son habitude, Furlan rompt un silence écrasant quand il se présente devant le pupitre central du parlement wallon :

« – Etais-je au courant ? Non.

– Aurais-je pu savoir ? Oui.

– Ai-je cherché à savoir ? Non. »

Jusque-là, sa spontanéité et ses qualités humaines, unanimement saluées, l’avaient constamment guidé vers des sommets et autant d’exploits. Sur le Mont Blanc en escalade, de Paris à Bruxelles en VTT, aux championnats de Belgique en triathlon, au gouvernement wallon en politique. « Il est d’une humanité hors normes, souligne la députée PS Virginie Gonzalez, qui le connaît depuis le milieu des années 90. Je l’ai suivi les yeux fermés, je ne l’aurais fait avec personne d’autre en politique. » Paul Furlan a conscience de ses atouts. Peut-être moins des pièges qu’ils recouvrent. « Vu son attachement indéfectible à l’amitié, il accorde très vite sa confiance aux autres. Trop vite, peut-être », résume un socialiste. « Connaître le pedigree exact de ceux qui l’entourent, ce n’est pas son truc, confirme une personne de son cabinet. Beaucoup d’entre nous ne digèrent pas le fait que Claude Parmentier n’ait rien dit. Il n’était pas un proche de Paul. »

« Victime de sa nature »

Pour le MR et Ecolo, qui réclament sa démission depuis les bancs de l’opposition, l’affaire révèle un manque de rigueur. « On n’attaque pas la personne, mais sa manière de gérer la fonction, précise Pierre-Yves Jeholet, le chef de groupe des libéraux. Au parlement, on perçoit souvent une forme de dilettantisme dans ses réponses. Il est sans doute un peu victime de sa nature. Je ne le vois pas capable de mener une réforme radicale sur ces matières. »

Avant ou en marge de la politique, Paul Furlan avait plusieurs vies. Au beau milieu de ses études, il est entré à l’école nationale de ski, en France, avant de faire marche arrière. Ce bosseur invétéré, capable d’être au pied levé 20 heures sur 24, a vendu des articles de sport et des vêtements, ouvert un restaurant, conseillé des assurances… Jusqu’à son accession au poste de ministre, en juillet 2009, il était l’administrateur délégué de Pragma SPRL, une société dont les activités portent sur la location de biens immobiliers et sur l’établissement de fiches fiscales pour les particuliers et les entreprises. Les trois autres administrateurs de l’époque étaient tout désignés : son père, sa mère et son frère, Pascal.

Le large portefeuille de compétences qu’il détient aujourd’hui fait inévitablement écho à cette polyvalence maîtrisée du passé. Peut-on dès lors réellement le suspecter d’une gestion nonchalante de certains dossiers ? « Quand il est devenu ministre de l’Energie, il a clairement avoué que ce n’était pas un domaine qu’il affectionnait particulièrement, commente un acteur avisé. Par la suite, il a géré la compétence, mais sans faire de grandes réformes. » En matière de logement public, il s’est fermement opposé à l’augmentation des loyers, malgré la demande insistante du secteur. « C’est bien la preuve qu’il est capable de trancher, même en cherchant le consensus au préalable », analyse un membre de son cabinet. Philippe Gobert, président PS de l’Union des villes et communes de Wallonie et successeur à ce titre de Paul Furlan, précise pour sa part que les projets de ce dernier ont toujours rencontré l’assentiment du conseil d’administration, tous partis confondus. Le ministre a notamment enrayé en partie le saupoudrage politisé de certains moyens financiers octroyés aux communes, en répartissant 70% de la manne des droits de tirage sur la base de critères objectifs.

Fidèle lieutenant, au bout du compte

Ironie du sort : c’est précisément sur la thématique qu’il maîtrise le mieux, celle des pouvoirs locaux, que Paul Furlan est aujourd’hui accablé de toute part, vu l’opacité persistante des intercommunales. Le député Ecolo Philippe Henry constate pour sa part « un estompement de la norme » dans le chef du ministre socialiste, qu’il a côtoyé sous la précédente législature. « Dans l’absolu, il a des idéaux de progrès social que je peux partager. Dans les faits, il ne réforme pas au-delà de la limite que lui impose son parti. » C’est la thèse du fidèle lieutenant du PS, au bout du compte, accréditée par le soutien persistant du boulevard de l’Empereur, n°13.

La réponse se trouve sans doute là-bas. En bon pragmatique, Paul Furlan sait qu’il doit agir dans les balises fixées par son parti, concèdent quelques observateurs socialistes. Au-delà des remparts de Thuin, il n’a plus la même latitude. « Et quand il n’est pas à la manoeuvre, il ne cherche pas à en savoir davantage », complète un interlocuteur spécialisé en énergie. « S’il avait eu le choix, Paul Furlan n’aurait jamais fait voter le décret sur le décumul des mandats, glisse Yves Binon, bourgmestre MR d’Ham-sur-Heure-Nalinnes. C’est ce qu’il m’a confié un jour. Il est entraîné dans le système, malgré lui. » Un tableau plus sombre, mais somme toute plausible. En 2012, Paul Furlan, ministre à Namur et bourgmestre empêché à Thuin, avait trouvé une parade pour assister aux réunions du collège, en se désignant lui-même comme expert extérieur. « On ne pouvait réellement pas se passer de son expertise pour concevoir le budget », justifie Philippe Blanchart.

Fondamentalement guidé par l’affectif, Furlan n’a rien vu de répréhensible à s’entourer de personnes très proches à son cabinet. Notamment sa compagne, qui travaillait déjà pour lui en tant que secrétaire particulière à Thuin, et plusieurs fidèles de son collège communal. « Dans le contexte actuel, la réponse qu’il peut apporter à ce sujet n’est de toute façon plus lisible et compréhensible aux yeux de l’opinion publique », soupire-t-on au cabinet. Tout comme une simple photo en compagnie de Stéphane Moreau, bourgmestre PS à Ans et patron controversé de Nethys, la société privée aux mains de Publifin, constitue soudainement le symbole de tractations néfastes à la lueur de ce dernier scandale.

Les proches de Paul Furlan ne doutaient pas de sa capacité à s’en relever et à mettre en oeuvre de réelles réformes. La veille du 18 janvier, avant de plaider sa cause devant le parlement wallon, il avait bien songé à démissionner, même s’il n’avait jamais fait demi-tour. Ce 26 janvier, il a finalement opté pour la « sérénité ». L’appel du père de famille, de l’entrepreneur touche-à-tout, du skieur dans le silence de la montagne, loin du rouleau-compresseur politique.

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