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Patrick Lefevere, le boss de la meute (portrait)

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

A 66 ans, le manager le plus titré de l’histoire du cyclisme règne toujours sur le peloton. Il ne manque plus que le Tour de France au tableau de chasse de ce symbole de l’ultralibéralisme cher aux patrons de PME flamands.

L’année en cours ne ressemble pas à une fin de règne pour Patrick Lefevere. La preuve par la victoire de Kasper Asgreen au Tour des Flandres, le dimanche 4 avril, et l’enchaînement imminent de l’Amstel Gold Race (18 avril), la Flèche wallonne (21 avril) et Liège-Bastogne-Liège (25 avril), en attendant Paris-Roubaix (reporté à octobre), toutes courses où son armada devrait enrichir un tableau de chasse déjà somptueux. Et puis, Remco Evenepoel, le plus grand espoir belge, vient de signer pour cinq saisons supplémentaires sous la garde du vieux loup. Qui est bel et bien toujours le plus fort.

Il vient de loin, pourtant. Né à Moorslede, en Flandre-Occidentale, il suit l’enseignement dispensé au séminaire de Roulers, célèbre pour avoir accueilli les grand poètes flamands Guido Gezelle et Albrecht Rodenbach, notamment. A 16 ans, il envoie au diable l’encens, le crucifix et les soutanes pour ne plus jurer que par l’embrocation, le pédalier et les cuissards. Suivent quatre maigres saisons comme coureur professionnel. A 24 ans, il devient comptable de l’équipe Marc Zeep Savon – Superia, pour laquelle il courait, puis son directeur sportif adjoint. L’ascenseur pour la gloire lui a ouvert ses portes: au fil des années, Patrick Lefevere coache Herman Van Springel, Lucien Van Impe, Patrick Sercu, Mario Cipollini, Andrei Tchmil, Franco Ballerini, Johan Museeuw, Abraham Olano, Tony Rominger, Frank Vandenbroucke, Gianni Bugno, Paolo Bettini, Michele Bartoli, Richard Virenque, Tom Boonen, Julian Alaphilippe, Philippe Gilbert… Avec ses troupes, il gagne toutes les classiques, dont douze Tours des Flandres et dix Paris-Roubaix, les championnats nationaux et mondiaux, les JO, des étapes à tous les grands et moyens tours, et leur classement final. Sauf, jusqu’ici, celui du Tour de France. Bref, c’est l’autre Cannibale du cyclisme.

IL L’A DIT : SUR SON ENFANCE – u0022La première chose que j’ai appris de mon père, c’est que le client est roi et qu’il faut parler au client dans sa langue maternelle. C’est à la casse (NDLR: casse automobile, tenue par son père) que j’ai appris mes premiers mots de français. Dans ma tête, il n’y a jamais eu de frontière.u0022 Au journal Le Monde le 7 avril 2017.

Miraculé aussi. Qui survit à tout. Les accusations de dopage, l’éternelle présence des très controversés médecins Yvan Van Mol et Jose Ibarguren Taus, un cancer du pancréas, des soupçons de fraude fiscale, l’irruption dans le peloton de sponsors milliardaires instaurant des contrats mirobolants… Son équipe Deceuninck – Quick-Step (80 personnes, coureurs compris), surnommée la Wolfpack, la meute de loups, tant les succès y sont le fruit d’une chasse collective, a beau être la meilleure du monde, elle ne dispose que du septième budget du peloton. Lefevere doit tous les deux ans partir en tournée pour convaincre des sponsors, presque toujours dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres autour de Roulers, où il réside.

SUR LE VLAAMS BELANG – u0022C’est comme au foot: ceux qui sont dans la tribune, ils savent tout mieux que tout le monde. Ils parlent beaucoup mais ils ne font rien. A la maison, ils enlèvent leurs souliers et ils se taisent, parce que madame est le patron.u0022 – Au magazine Eddy, automne 2020.

Ensuite, il négocie avec ses coureurs: petit salaire mais grosses primes de victoire. « Il est devenu la caricature du patron de PME flamingant et ultralibéral du fameux Texas flamand », résume un très bon connaisseur, wallon et bilingue, du cyclisme. Patrick Lefevere en pince en tout cas pour Nicolas Sarkozy, est ami avec le richissime Marc Coucke (qui l’a un temps sponsorisé puis fait entrer au CA du Sporting d’Anderlecht) et confiait à l’automne dernier au magazine Eddy sa vision de l’avenir idéal pour la Belgique: « Le mieux serait qu’on divorce. La Wallonie, c’est un autre pays. Tu trouves des gens qui ne travaillent plus depuis trois générations. »

SUR SON MODÈLE DE MANAGEMENT – u0022Le milieu du vélo a longtemps été trop modeste, alors que son ratio qualité du produit proposé et investissement est largement rentable. Si chaque société fonctionnait avec l’esprit de notre équipe cycliste, elle ferait des affaires.u0022 – Au journal Le Soir le 3 avril 2021.

Avec le chef de meute, c’est comme ça, dans la vie comme dans son sport: tu veux gagner, tu bosses, sinon tu dégages. Son palmarès lui a toujours donné raison.

Dates clés

1955

Naissance à Moorslede.

1979

Commence sa carrière de dirigeant d’équipes cyclistes.

2001

Réchappe du cancer du pancréas.

2021

Remporte son 12e Tour des Flandres avec Kasper Asgreen et fait prolonger pour cinq ans le contrat de Remco Evenepoel, grand espoir du cyclisme belge.

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