Patrick Dewael © Dieter Telemans

Patrick Dewael: « Une interdiction du port du voile ne sert pas à enquiquiner les musulmans »

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Dès cette semaine, la commission d’enquête parlementaire sur les attentats devra répondre à toutes les questions douloureuses sur le 22 mars. Le président de la commission, Patrick Dewael, est ambitieux, mais reste prudent.

Jeudi passé s’est tenue la réunion d’installation de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats. Patrick Dewael (Open VLD) a été élu président à l’unanimité. Que personne n’ait d’objections contre Dewael comme président, ou qu’on n’ait jamais envisagé sérieusement de confier la tâche à un autre parlementaire témoigne de l’appréciation de l’hémicycle de ses connaissances et de son style.

Ce ne sera pas facile. Une commission d’enquête parlementaire travaille sous l’oeil de l’opinion publique et sous la loupe de la presse. C’est précisément la raison pour laquelle on a créé tant de commissions d’enquête dans les années 90 et 2000 : de la commission d’enquête sur les tueries du Brabant à la commission Lumumba en passant par une commission sur les sectes. Cependant, ces commissions sont toutes supplantées par la commission Dutroux. Les débats et les interrogatoires de cette commission ont été diffusés en direct à la télévision, et le président Marc Verwilghen (Open VLD) est passé un moment pour le sauveur de la patrie. Sa commission n’a pas seulement entraîné une réforme de la police, elle a transformé un député en faiseur de voix : en 1999 Verwilghen a engrangé pas moins de 420 000 voix de préférence ; seul le premier ministre Dehaene a fait mieux.

Patrick Dewael : Il est évident que Marc Verwilghen a eu beaucoup d’attention. Après la découverte de l’horreur de Dutroux, le meurtre de Loubna Benaïssa et la Marche Blanche, le pays souffrait d’un traumatisme. Le fonctionnement de la commission Verwilghen était une forme de catharsis : l’échec de la police et de la justice était flagrant, et enfin le parlement étudiait qui était responsable et ce qu’il fallait faire.

Les attentats à Bruxelles ont à nouveau infligé un traumatisme au pays. Votre commission est peut-être tout aussi importante.

Nous allons tenter de répondre aux questions que beaucoup de gens se posent. Des questions au sujet de nos services de sécurité et de renseignement, le travail des secours, la reconstruction des faits qui ont précédé les attentats à Zaventem et à Maelbeek et comment le radicalisme peut trouver un terreau ici. Les attentats du 22 mars ne sont pas tombés du ciel.

Entre-temps, un procès a déjà été fait: d’après le ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA), un officier de liaison à l’ambassade d’Ankara a commis une erreur capitale.

Cette commission n’est pas un tribunal qui poursuit les coupables. Le but n’est pas de faire tomber un maximum de têtes en un temps record. Nous avons les compétences d’un juge d’instruction, mais nous ne pouvons imposer de sanctions disciplinaires. Mais il faut poser toutes les questions que se posent les gens en larmes, en colère et animés d’un sentiment de revanche. Nous n’aurons pas toujours de réponses rationnelles, mais nous ne mènerons pas d’enquête partiale. Non, si l’enquête révèle que tout s’est passé différemment que ce que tout le monde pensait, alors c’est comme ça. Il est positif que les policiers et les fonctionnaires puissent raconter eux-mêmes leur histoire.

Comme cet officier de liaison.

En effet. Comment cet homme travaille-t-il? Comment est-il organisé? Quelles sont ses tâches ? À quoi ressemble son staff ? Je voudrais bien le savoir. Si tout cela peut se faire de façon publique et transparente, notre commission peut avoir un effet purificateur et curatif. Mais il faut en faire quelque chose. Après la commission Verwilghen, il y a eu un renouveau dans la police, motivé par les viols horribles et les meurtres d’enfants. À présent, nous avons affaire à un terrorisme international et transfrontalier. À l’époque notre appareil de sécurité a eu un nouvel élan, aujourd’hui aussi il faut adapter l’ancienne architecture.

La plupart des partis envoient des pointures politiques. Pour la N-VA, il y a notamment le chef de groupe Peter De Roover et le président de la Chambre Siegfried Bracke, pour le PS il y a Laurette Onkelinx et le bourgmestre de Liège Willy Demeyer.

Oui, À mes yeux, c’est une composition forte. Quand je vois ces noms, je constate que tous les partis prennent cette commission très au sérieux. La réussite de la commission dépendra en partie de l’atmosphère. Il faut qu’on ait l’impression que les membres se détachent de tout ce qui paraît dans les quotidiens et sur Twitter et ils doivent pouvoir collaborer au-delà de la majorité et de l’opposition. J’espère qu’on réussira, qu’on pourra exposer les faits et les responsabilités, et qu’on arrive à des recommandations unanimes.

C’est également l’avantage de la médiatisation: si certains membres utilisaient cette commission pour jouer de petits jeux politiques, tout le monde le verrait tout de suite. Si on parle de radicalisme, je peux m’imaginer qu’une fraction particulière éprouverait l’envie de s’emparer du sujet et de discréditer une autre fraction qui a longtemps joué un rôle important à Bruxelles et qui a laissé son empreinte sur la politique. Mais quand les choses ont lieu sous l’oeil de l’opinion publique, tout le monde voit qu’on joue des jeux.

Avec tous ces ténors de la majorité et de l’opposition réunis, la Chambre au complet pourrait transformer les conclusions des commissions en une nouvelle législation.

À première vue, cela facilite peut-être les choses, mais je ne suis pas devin. La réforme de police aussi a duré jusqu’en 2001 et les négociations avec les syndicats encore plus longtemps. Le moulin législatif tourne lentement. On l’a vu l’année passée aussi : après Verviers et Paris, le premier ministre Charles Michel (MR) a annoncé une série de mesures au sujet d’écoutes téléphoniques et de perquisitions nocturnes. Elles n’ont été approuvées que l’année passée. Cependant, avec une telle composition le parlement devrait s’éreinter à transformer ces recommandations unanimes en textes de loi.

La commission parlera-t-elle aussi de l’organisation de la police bruxelloise?

Comme disait feu Steve Stevaert (sp.a) : « Nous ne devons pas partir bille en tête. » Si on fait de grandes déclarations maintenant, il ne se passera certainement rien. Mais jusque dans les années nonante, tout le monde disait que l’intégration des services de police était impossible, et après la commission Verwilghen on a tout de même réussi. Et aujourd’hui, il semble clair que quelque chose cloche dans l’organisation des services de police et de sécurité de la capitale. Mais, je le répète, nous étudierons dans la commission si c’est le cas.

La commission relance le débat sur la vie privée. Pouvons-nous garder le caractère libéral de notre état libéral ?

Ces derniers mois, nous y avons veillé en permanence, et nous continuerons à le faire au parlement et au gouvernement. La tentation est importante de prendre des décisions que l’on pourrait regretter après coup. On ne récupérera jamais les libertés qu’on cède maintenant.

D’ailleurs, même un état policier ne peut empêcher le terrorisme. En Turquie, il y a toujours des attentats. En même temps, les gens souhaitent toujours plus de mesures. Quand quelqu’un commet une série de meurtres dans une crèche, il faut mieux protéger les crèches. Quand quelque chose se produit dans une école, on regarde les écoles. Ou regardez le Thalys et la circulation ferroviaire internationale, l’été passé. Maintenant, c’était dans un aéroport, et il faut y améliorer la sécurité. C’est une réaction compréhensible, mais la liberté totale est une utopie.

Pour la N-VA, beaucoup de problèmes de société sont la conséquence du « snel-Belgwet » (nationalité belge accélérée) du gouvernement violet. Entre 1999 et 2007, vous étiez un des principaux politiques violets.

Je pourrai répondre que c’était une loi fédérale et qu’à cette époque j’étais ministre-président flamand. Je ne le fais pas. À cette époque, cette loi se défendait probablement. Si les gens choisissent la nationalité belge, pensait-on, ils indiquent qu’ils veulent s’intégrer ici. C’était une erreur. Après, on a établi des conditions à l’acquisition de la nationalité. En Flandre, l’intégration est obligatoire depuis 2003. À présent, nous menons un débat dans la commission Constitution à propos des normes et des valeurs inhérentes à notre société. Tout habitant de ce pays a sa propre foi, ses antécédents et sa culture. Cependant, dans la vie publique il y a une séparation de la religion et de l’état. L’administration de l’état doit être impartiale. C’est là mon interprétation de la laïcité.

Vous souhaitez modifier la constitution, mais vous n’osez pas parler des effets concrets sur la vie d’un groupe de gens – citons-les: les musulmans.

Il ne s’agit pas de goût et de vêtements, mais de conventions fondamentales de la société. Il est nécessaire de le rappeler à tous. Aujourd’hui, un groupe de gens qui vit dans ce pays remet ouvertement en question les principes d’égalité homme femme, le droit à l’autodétermination et la séparation de la religion et de l’état. Ces principes doivent être repris plus clairement dans la Constitution.

Certains s’empareront de ces modifications de la constitution pour harceler les musulmans.

Pourquoi parlez-vous de harcèlement? Si vous me connaissez un peu, vous saurez que mon but n’est en tout cas pas d’empoisonner la vie des musulmans. Une interdiction du port du voile ne sert pas à enquiquiner les musulmans. En outre, il ne s’agit pas seulement de signes distinctifs islamiques.

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