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Passeport vaccinal, pour ou contre? Avantages, inconvénients et dangers d’un « permis de circuler » (débat)

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

La Commission européenne prépare une proposition législative visant à créer un passeport vaccinal commun aux Vingt-Sept. Pour Florence Caeymaex, professeure à l’ULiège et présidente du Comité consultatif de bioéthique, il doit reposer sur la proportionnalité et sur un bénéfice de santé publique. Pour Jean-Michel Longneaux, chargé de cours à la faculté de droit de l’UNamur, « la pression est maximale pour convaincre les hésitants. »

Florence Caeymaex (ULiège): « Acheter le consentement des citoyens n’est pas la stratégie la plus efficace »

Pour Florence Caeymaex, professeure à l’ULiège et présidente du Comité consultatif de bioéthique, il doit reposer sur la proportionnalité et sur un bénéfice de santé publique.

Le certificat vaccinal, qui faciliterait la circulation en temps de crise sanitaire, est-il une solution convaincante?

Cette proposition s’ajoute à ce qui existe déjà, c’est-à-dire des freins officiels aux frontières. Aujourd’hui, pour circuler, vous devez présenter un test négatif et un impératif professionnel ou familial. La démarche n’est pas nouvelle. En effet, il existe les « cartes jaunes », ces certificats internationaux de vaccination ou de prophylaxie, mis au point par des experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à la fin des années 1960, et qui concernaient le choléra, la peste, la vérole et, aujourd’hui, la fièvre jaune. Le règlement est très régulé et flexible, bien qu’en réalité, dans ce cas, il s’agit d’abord de protéger les arrivants d’une maladie contagieuse, non pas les habitants locaux. Mais le point soulevé, ici, est le suivant: ce projet de passeport vaccinal ouvre-t-il la voie à un développement et une systématisation du dispositif? Je pourrais imaginer que, dans une optique de sécurité sanitaire et sous certaines conditions, ce passeport soit exigé pour circuler.

Le projet législatif doit mettre l’accent sur ce qui nous est essentiel, sur nos bases communes, c’est-à-dire notre attachement à une vie sociale et affective.

Quelles seraient les conditions pour l’appliquer?

L’horizon d’un tel dispositif doit être la sécurité sanitaire. Mais il doit s’appuyer sur des données scientifiques solides. Il faut, avant tout, répondre à la question de la transmission: les vaccinés restent-ils contaminants? Sont-ils à 100% sans risques pour autrui? A ce jour, circuler représente un danger mais instaurer une telle entrave à la liberté de chacun de le faire ne peut être appliqué sans apporter de certitudes scientifiques établies. Ensuite, en pratique, elles doivent également répondre à d’autres questions. Il est certain, par exemple, qu’une partie des individus ne pourra pas être vaccinée, pour des raisons de contre-indications médicales, par exemple. Faut-il prévoir pour ces personnes des dérogations? En tout cas, elles continueront à circuler.

Florence Caeymaex, professeure à l'ULiège.
Florence Caeymaex, professeure à l’ULiège.

Tous les pays cherchent à vivre sur la durée malgré la présence du virus. Comment aboutir à un consensus?

Le texte réglementaire qui encadrerait le passeport vaccinal doit avoir comme finalité ce qui nous est essentiel. Il doit mettre l’accent sur nos bases communes, c’est-à-dire notre attachement à une vie sociale et affective. Aujourd’hui, notre réseau affectif est plus lointain qu’hier, que du temps des cartes jaunes. On peut poser la question autrement: que doit empêcher le passeport vaccinal? Quel serait son bénéfice légitime? En d’autres termes, le cadre législatif devra définir ce qui est essentiel.

Quels seraient les risques liés à un tel dispositif?

Dire qui est malade! Or, un passeport vaccinal doit servir aux données de santé. C’est pourquoi j’estime qu’il n’est pas nécessaire que le certificat puisse identifier l’individu. Et s’il n’est pas démontré que ce document est sanitairement efficace, il faut le recaler! Il ne doit pas seulement servir à fluidifier l’économie, au nom d’objectifs et d’intérêts économiques. Enfin, si on nous dit que l’outil va répondre au besoin de circuler et, partant, améliorer notre santé mentale, alors, il crée une discrimination à l’égard des jeunes qui, eux, n’en profiteront pas puisqu’ils ne sont pas les premiers concernés par la campagne de vaccination. Bref, si on vise un objectif sanitaire, la conception d’un passeport vaccinal doit se faire dans un contexte solidaire, en incluant tout le monde.

Certains voient derrière ce système une obligation vaccinale déguisée.

Non, nos Etats tiennent à la liberté de vaccination. Elle est un pilier de la démocratie. Dans le même temps, on sait pertinemment que si la vaccination est laissée au libre choix, on n’est pas sûr d’atteindre le seuil d’immunité permettant de rétablir la circulation. Pour autant, imposer n’est pas la meilleure stratégie. Oui, elle fonctionne quand vous avez les individus sous la main, quand vous êtes pédiatre et que vous recevez des parents en cabinet… L’obligation engendre également des moyens et des coûts importants de surveillance, de suivi et de sanctions en cas de violation. Cela dit, acheter le consentement des citoyens n’est pas non plus la meilleure stratégie. En échange d’un « pass Covid », vous aurez le droit de consommer… Cela s’apparente à une pression, une manière de brider la dynamique qu’exige un consentement éclairé.

L’idée séduit le secteur privé, à l’exemple de l’aérien, dévasté par la Covid.

En réalité, le secteur privé veut faire savoir que, sur le plan technique, il est prêt. A mes yeux, il s’agit tout bonnement d’exercer une pression sur les autorités politiques. Sur quelle base juridique, une entreprise pourrait-elle exiger un sésame, un vaccin pour accéder à ses services? Je n’en vois aucune et l’analogie avec le vaccin obligatoire antipoliomyélite ne tient pas. Instaurer un droit d’accès ne peut se justifier que si l’objectif est légitime et la mesure proportionnée.

Estimez-vous le débat prématuré alors que le vaccin est indisponible pour une majorité de personnes?

L’adhésion s’effondre parce que la campagne de vaccination se montre trop lente. Ce que les autorités ne nous ont pas annoncé clairement. En plus des couacs, il reste de réelles difficultés d’approvisionnement et nos pays manifestent de l’impuissance, par exemple à l’égard du Canada et des Etats-Unis qui ont, eux, doublé leurs stocks. Ce qui m’amène à soulever la question suivante: les licences obligatoires, c’est-à-dire la levée des brevets. Elles entraînent le renoncement du fabricant à l’exclusivité conférée par le brevet, mais sans perdre la totalité de sa rétribution. Pour les appliquer, il suffit qu’une entreprise soit prête à fabriquer le vaccin et que le produit réponde à une urgence, ce dont personne ne doute. Imposer un « pass Covid » n’a pas de sens, n’apporte aucune valeur ajoutée, si tous les moyens ne sont pas mis sur l’accès aux vaccins et sur l’accélération de la campagne.

Certains pays membres expérimentent d’ores et déjà différents types de certificats sanitaires. Ces documents ne permettent pas de voyager à l’étranger, mais d’accompagner la réouverture des commerces et lieux publics.

Imposer un tel sésame dans la vie quotidienne, je trouve cela très déraisonnable. Quelle est la finalité? Réguler les publics, ce qui est différent d’un objectif sanitaire. Cela exige d’ailleurs des techniques de filtrage, d’affinage… La question de l’inégalité resurgit avec acuité entre les lieux et les commerces. Des petites entreprises et des petits magasins ne disposent pas des structures et des moyens pour appliquer de telles mesures.

Jean-Michel Longneaux (UNamur): « C’est un retour aux « indulgences », le sésame qui ouvre à une vie libre »

Pour Jean-Michel Longneaux, philosophe et chargé de cours à la faculté de droit de l’UNamur, forcer les individus récalcitrants à se laisser vacciner ou imposer un passeport vaccinal revient au même. « La pression est maximale pour convaincre les hésitants. »

Pensez-vous que le passeport vaccinal s’imposera à bas bruit, puisqu’il offre la possibilité d’un retour à la vie sociale?

J’ai plutôt le sentiment d’un retour aux « indulgences ». Au Moyen Age, le clergé et les notables religieux vendaient l’accès au paradis en échange d’indulgences en monnaie sonnante et trébuchante. Grâce à l’argent, le fidèle pouvait s’acheter le paradis et la rémission de ses péchés. L’Eglise en avait fait un commerce lucratif, qui lui a permis de s’enrichir. J’y vois une analogie avec la création d’un passeport vaccinal: en l’obtenant, le vacciné acquiert une vie libre, et, dans ce cas, ce sont les industries pharmaceutiques qui en profitent.

Pour vous, rendre obligatoire un tel « sésame » relève davantage de la croyance que de la science…

Conditionner l’accès à certains lieux en l’absence de certitudes scientifiques sur le fait que les vaccins permettent de ne plus être porteur du virus n’apporte pas de sécurité en matière de prophylaxie. On ignore également la durée de protection des vaccins ainsi que leur efficacité contre les variants. Or, un passeport vaccinal repose sur l’hypothèse que les vaccinés ne sont plus contagieux et sur l’idée d’un monde sain. C’est en cela que nous sommes dans le registre de la croyance, non de la science. Sans oublier l’écueil qui réside dans la difficulté d’accès aux vaccins et qui crée, donc, un effet d’exclusion et d’inégalité en tant que citoyen.

Jean-Michel Longneaux, chargé de cours à la faculté de droit de l'UNamur.
Jean-Michel Longneaux, chargé de cours à la faculté de droit de l’UNamur.

Le passeport s’est élargi à d’autres éléments dont des tests négatifs ou à la présence d’anticorps, qui atténuent le caractère discriminatoire.

Là aussi il y a des couacs, des faux positifs et des faux négatifs. Faire reposer le passeport vaccinal sur les tests relève également, pour moi, de la croyance. Imaginez-vous dans un avion, cet été, au côté d’un individu vacciné mais porteur ou d’un individu testé négatif mais, en réalité, positif? On est en train de construire une espèce de croyance collective autour d’une sécurité sanitaire totale. Mais un « pass Covid » ne peut pas apporter une garantie sanitaire totale, et seules des investigations plus approfondies permettront d’estimer la part réelle des vaccinés en état de transmettre le virus. Savoir si un tel niveau de protection est acceptable ou non relèvera ensuite d’un débat politique.

De telles dispositions ne résisteraient pas au principe essentiel d’égalité?

Instaurer la possibilité de tests pour éviter toute discrimination, c’est une intention politique louable. Elle vise d’ailleurs, mais sans le dire clairement, à satisfaire également ceux qui refusent de se faire vacciner. Pour autant, soumettre la liberté de circuler et d’accéder à des services à un certificat sanitaire crée une société inégalitaire, puisque demeureront des personnes qui ne l’obtiendront pas, parce qu’elles seront positives et contaminantes, parce qu’elles n’auront pas accès aux informations, etc. Le virus lui-même créé de la discrimination. Par ailleurs, n’y a-t-il pas, sur le plan juridique, une disproportion entre la création d’un passeport et le mal que l’on veut éviter? Le taux de mortalité dû au virus s’élève à 0,17% de la population. Rapporté au nombre de personnes contaminées, à 2,9%. Est-ce là un péril pour la santé publique? La mesure discriminante est-elle inférieure au bénéfice recherché?

Cette croyance collective peut-elle quand même amener des éléments positifs?

Le fait d’obtenir un sésame, de créer ainsi une autre ambiance, de retrouver de l’espérance entraîne-t-il une hausse de la réponse immunitaire? On sait que vivre dans la peur, dans le stress induit une oxydation du corps, un affaiblissement du système immunitaire. Donc, il y a peut-être là un bénéfice involontaire d’un éventuel passeport, comme lorsque les fidèles, une fois achetées leurs indulgences, retrouvaient un bien-être parce qu’ils avaient réussi à sauver leur âme.

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