© HATIM KAGHAT

Pascal Delwit : « Le foot est un objet politique »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A quel sport vouent-ils une véritable passion ? Pourquoi ? Depuis quand ? Et avec quel impact sur leur vie, privée comme professionnelle ? Cette semaine : le politologue de l’ULB Pascal Delwit se souvient de son enfance footballistique et raconte sa découverte plus récente de la course à pied. Du stade au marathon, avec toujours avec le souci de comprendre et d’étudier.

La cuvée 2018-2019 s’annonce chargée pour Pascal Delwit. Comme toutes les années électorales, le politologue à l’ULB sera au four et au moulin, sollicité sans temps mort par les médias. Et cette fois, ce sera façon marathon, avec les communales d’octobre 2018, avant les fédérales, régionales et européennes de mai 2019.  » En plus de mes fonctions à l’université, ça ne laissera pas beaucoup de temps pour autre chose « , sourit-il. Pourtant, au-delà de la politique, cet amoureux de Bruxelles ne compte pas délaisser ces sports qui l’accompagnent depuis toujours. Le football, auquel il a longtemps joué. Et puis la course à pied, entamée voici une dizaine d’années et devenue compagne de route : il rate rarement les 20 kilomètres de Bruxelles et s’est même essayé au marathon.

Courir permet de résoudre des questions qui paraissaient insolubles.

Lorsqu’il analyse les faits politiques, Pascal Delwit multiplie les mises en garde –  » il faut être prudent  » – pour préciser la difficulté d’un exercice qui paraît pourtant, avec lui, excessivement simple. Quand il parle de sport, le professeur conserve cette réserve pudique, tout en faisant preuve d’une curiosité sans limites.  » Par définition, en vieillissant, on développe son esprit critique et on transforme ses passions en objets d’études. Je ne me laisse pas facilement aller, donc j’aime comprendre toutes les dimensions des disciplines qui m’intéressent.  » Mais ce voyage dans le monde du sport n’est pas exclusivement cérébral. Pascal Delwit vibre, lui aussi.

mon équipe - Les Diables Rouges Le but de Nacer Chadli contre le Japon lors de la Coupe du monde en Russie :
mon équipe – Les Diables Rouges Le but de Nacer Chadli contre le Japon lors de la Coupe du monde en Russie :  » Une contre-attaque modèle, à montrer dans toutes les écoles de football. « © MURAD SEZER/PHOTO NEWS

Pourquoi le football ?

 » Aussi loin que je me souvienne, je me suis intéressé au football, raconte-t-il. Au départ, ce n’était pas un intérêt très original. Dans ma famille, tout le monde était passionné – mon père, ma mère, mon frère… – avec un intérêt particulier pour Anderlecht et l’équipe nationale belge. Le premier match auquel j’ai assisté, en 1970, était pourtant une finale de la Coupe de Belgique, au Heysel, entre le FC Bruges et le Daring. Score final : 6-1. Mais j’ai assisté par la suite, avec ma mère au duel décisif du championnat 1971 – 72, l’un des plus haletants de l’histoire. Largement dominé tout au long de la saison par Bruges, Anderlecht devient champion sur le fil en battant Saint-Trond 5-1, tandis que les Brugeois sont tenus en échec au Racing White, qui ne s’appelait pas encore Molenbeek. Et en 1976, j’étais au Heysel pour assister au premier sacre européen d’Anderlecht, 4-2 contre West-Ham.  » Un exploit pour le Sporting. Comme tous les souvenirs d’enfance, ce récit allume des étoiles dans les yeux du politologue.

Si le jeune Pascal est un supporter acharné, il joue, aussi. A 9 ans, il rejoint le Red Star Evere, non loin du siège de l’Otan. Puis, il exerce ses talents au Standard Anderlecht – un nom incroyable à une époque où la rivalité entre les Rouches et les Mauves déchire la jeunesse.  » Quand je suis entré à l’université, ça devenait difficile de maintenir le rythme de deux entraînements par semaine avant le match du dimanche, d’autant que je travaillais le soir pour payer mes études.  » Il abandonne alors les grands terrains pour le minifoot. Qu’il finit par délaisser également.

Le football ne quitte pas pour autant ses préoccupations.  » En marge des sciences politiques, je m’intéresse à quantité de choses en lien avec ce sport. Pour le moment, j’étudie les origines du football en Belgique. Ce qui déconstruit totalement l’idée selon laquelle il a été de tout temps un sport populaire.  » Pascal Delwit s’est fixé pour objectif de publier l’an prochain un article scientifique d’une vingtaine de pages à ce sujet, ainsi qu’un livre didactique pour le grand public – si cette année électorale lui en laisse le temps. Pour nourrir sa réflexion, il compulse les archives de la presse de la Bibliothèque royale –  » en ligne, c’est confortable  » – entre 1890 et 1914.

 » Je suis un homme bizarre dans mon travail, s’amuse-t-il. Je suis un homme de quotas. Si je travaille sur cinq projets, je suis capable de poursuivre les cinq chantiers au cours d’une même journée. Je me mets par exemple un quota d’une page à écrire sur un article de synthèse politique, une autre sur un autre sujet. Et en ce qui concerne le foot, je me fixe un ou deux mois de presse à éplucher chaque jour. Il arrive bien sûr un moment où je dois me concentrer, ne plus écrire que sur un thème. Janvier, avril-mai et juillet sont les mois idéaux.  » Voilà comment il a donné jour à des essais sur le libéralisme ou sur la gauche radicale.  » Pour le moment, j’écris un livre sur l’histoire du PS qui n’a pas assez avancé en raison de ma politique des quotas…  » Pascal Delwit est un marathonien. Un vrai.

Comment il est devenu marathonien

mon humeur - Lionel Messi
mon humeur – Lionel Messi  » Messi est un gars condamné pour fraude fiscale, qui paie son amende, pour demander ensuite à son club de pallier cette dépense : franchement, je ne peux pas aimer un tel comportement. « © PHOTO NEWS

Après avoir abandonné le football, au seuil de la cinquantaine, le politologue ressent comme beaucoup le besoin de reprendre une activité. De bouger, tout simplement. Un beau jour, c’est un défi familial qui le ramène sur le terrain du sport actif.  » C’est venu bêtement, il y a une bonne dizaine d’années : l’association des parents de l’école de mon beau-fils rassemblait une équipe pour courir les 20 km de Bruxelles et mon beau-fils insistait pour que j’en fasse partie. J’ai fini par m’inscrire. Mais je me suis peu entraîné et ce fut une terrible souffrance. Ça m’a mis en colère contre moi-même. L’année suivante, je me suis réinscrit pour les courir sérieusement.  » Depuis, il n’a pratiquement raté aucune édition et, quand ce fut le cas, c’était en raison d’une actualité trop dense.

Pour se tester, il y a trois ans, il décide de s’inscrire au marathon de Paris, plus abordable que celui de Bruxelles question dénivelé.  » Le plus dur, c’est la préparation. Il faut vraiment être très strict, surtout à mon âge, sinon ça peut se transformer en enfer. Pendant six mois, j’ai couru trois fois par semaine, de novembre à avril, même sous une pluie battante.  » Le jour du départ, Pascal Delwit est soudain moins fier.  » Vu le nombre de participants, quelque 50 000 personnes, les départs sont organisés par blocs, raconte-t-il. En voyant les premiers blocs passer, je me suis dit : « Mais pourquoi me suis-je inscris à ce foutu marathon ? » J’étais à deux doigts de pleurer, je me disais que j’étais d’une prétention sans nom. Peu après le départ, c’était l’inverse, je ressentais un sentiment d’euphorie presque total. A l’arrivée, je ne pensais qu’à courir un autre marathon, j’ai même cherché où je pourrais m’inscrire. J’étais complètement shooté d’avoir secrété tellement d’endorphines.  » Une semaine en apesanteur. Il ne s’est pourtant pas inscrit à un autre marathon.

Courir est devenu pour lui une nouvelle philosophie de vie.  » Il y a deux moments où j’arrive à dénouer des choses qui sont bloquées. Quand je cours ou quand je donne cours. Là, je trouve des solutions à des questions qui me paraissaient insolubles. L’autre avantage, c’est que, physiquement, je me sens beaucoup mieux.  » Un sentiment similaire découle de la marche, à laquelle il s’est essayé à l’occasion des 100 kilomètres d’Oxfam, dans les Fagnes.  » Entre le 85 et le 90e kilomètre, j’ai expliqué aux gens comment j’allais faire le grand papier sur le libéralisme de mon livre sur le MR alors que, jusque-là, je séchais, littéralement.  » Pour autant, à l’issue des cent kilomètres, pas d’euphorie : Pascal Delwit dit n’avoir jamais ressenti une envie à ce point irrépressible de dormir.

Mon exploit - Le marathon de Paris
Mon exploit – Le marathon de Paris  » J’étais à deux doigts de pleurer, je me disais que j’étais d’une prétention sans nom. Peu après le départ, c’était l’inverse, je ressentais un sentiment d’euphorie presque total. A l’arrivée, je ne pensais qu’à courir un autre marathon. « © FREDERIC STEVENS/GETTY IMAGES

Comment le foot développe son esprit critique

Fasciné et tifoso ?  » Quand je regarde un match de l’équipe belge, oui, je suis un supporter acharné ! Un match des Diables Rouges est l’un des rares moments où je peux me laisser aller. J’étais profondément déçu de la défaite contre la France en demi-finale de la Coupe du monde en Russie, même si elle n’est pas imméritée.

Il reste proche d’Anderlecht – on ne quitte pas son équipe de coeur – et avoue ne se rendre au stade Constant Vanden Stock que s’il y est invité.  » Pour une question de principe. Ça me paraît quand même difficile d’investir mon argent dans la fuite en avant économique des clubs. Quand on pense que l’attaquant polonais Teodorczyk avait un contrat de deux millions par an à Anderlecht. Deux millions ! Un prof d’université doit travailler huit ou neuf ans pour atteindre ça et je ne parle même pas d’un infirmier ou d’un chauffeur de taxi. Je trouve ça rude. Quel message envoie-t-on aux supporters quand on leur demande des investissements incessants, mais qu’on revend le club au beau milieu d’une saison pour éviter de devoir payer des taxes ? Je suis choqué par le fait que les présidents de clubs transforment de plus en plus leurs équipes en véhicules financiers.  »

Pascal Delwit n’est certes pas naïf et comprend les raisons pour lesquelles les joueurs ne sont plus des « clubmen », mais des mercenaires qui passent d’une équipe à l’autre. Il ne peut toutefois pas s’empêcher de confier son ressentiment au sujet de grands champions comme Lionel Messi ou Cristiano Ronaldo. Leurs qualités sportives sont indéniables, mais leur éthique…  » Ce qu’ils apportent au jeu est substantiel, c’est évident, mais ça ne justifie pas les salaires démentiels qu’ils touchent. Messi est un gars condamné pour fraude fiscale, qui paie son amende, pour demander ensuite à son club de l’argent supplémentaire pour pallier cette dépense : franchement, je ne peux pas aimer un tel comportement. Que quelqu’un qui touche 1 500 euros par mois soit attentif à toucher 1 600 ou 1 700, je le comprends… Mais que quelqu’un qui touche 1 million veuille absolument toucher 1,5 million, je le comprends moins. Ronaldo est tout aussi fou que Messi sur la question de l’argent et, s’il quitte le Real pour la Juventus, c’est parce que son salaire n’a pas été revu aussi haut que celui de Messi. Mais il a des côtés plus sympas, un contact avec les supporters que n’a pas Messi.  »

Cette saute d’humeur rejoint un autre centre d’intérêt de l’universitaire : le comportement des ultrariches.  » J’essaie de comprendre ce rapport maladif à l’argent et je m’intéresse à ce que je nomme « le développement de sociétés parallèles », expose Pascal Delwit. Prenons Teodorczyk et ses deux millions par an. Je me demandais : « Mais que peut-il bien faire avec ça ? » Après, j’ai mieux compris. Nous vivons chacun dans des univers parallèles. Un couple qui touche 6 000 euros par mois construit une vie agencée autour de ça, mais il y a d’autres vies agencées pour 12 500 euros, 25 000 euros ou des millions par an. On vit différemment d’une catégorie à l’autre. Messi prend des vacances dans une maison sur une île à 80 000 euros la semaine.

Le football ? C’est, plus que jamais, devenu un objet politique.  » On peut le prendre par n’importe quel bout, c’est évidemment le cas. Je ne vois pas de caractère illégitime à ça. Depuis 1918, en dehors de la Grande-Bretagne, c’est un sport très important pour la population, au point d’atteindre aujourd’hui une dimension irrationnelle. Forcément, le sport est dès lors important pour les politiques. Il suffit de voir la polémique provoquée par la présence de Didier Reynders sur la pelouse en Russie après la victoire des Diables contre les Anglais. Ou la façon dont il veut utiliser certains Diables pour promouvoir le pays… Prenons la question du stade national qui est, elle aussi, devenue un dossier politique sensible, dominé par les Flamands, même si l’on est en droit de se demander s’il faut vraiment un stade pour l’équipe belge. Les Diables jouent en moyenne trois ou quatre fois par an à domicile. Quand ils jouent bien, le stade est rempli, mais ce n’est pas toujours le cas…  »

Lorsqu’il reparle du jeu, le politologue retrouve pourtant des accents de grand enfant.  » J’ai pris le temps de revoir plusieurs fois la façon dont le troisième but belge a été marqué face aux Japonais. Durant toute la phase, il n’y a pas un seul déchet technique. Courtois, De Bruyne, Meunier, Lukaku et Chadli : tous les joueurs font ce qu’ils ont à faire… C’est une contre-attaque modèle, à montrer dans toutes les écoles de football.  » A l’entendre, on jurerait qu’il regrette ses années au Red Star Evere.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire