Pascal Delwit: « La filiation semble plus que jamais un sésame pour l’accès à un poste politique à responsabilités »

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Professeur de science politique à l’ULB, fondateur du Centre d’étude de la vie politique, Pascal Delwit analyse l’année politique belge.

La composition du gouvernement De Croo marque-t-elle un fort renouvellement du personnel politique national?

Il y a une forme de renouvellement, mais elle n’est pas vraiment exceptionnelle. Certaines personnalités ont déjà un parcours parlementaire et ministériel important derrière elles. Beaucoup sont marquées d’une filiation familiale et peu détonnent par leur profil.

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L’image de renouvellement tient à deux choses principales. La première est la volonté d’atteindre l’équilibre des sexes dans l’équipe. C’est un élément très important mais ce n’est qu’une facette des déséquilibres dans les profils ministériels. La deuxième raison est liée à la démarche concomitante du PS et du CD&V d’avoir une représentation ministérielle composée de personnalités qui n’avaient jamais exercé la fonction, au moins à ce niveau. Pour Ecolo et Groen, les quatre personnes n’avaient jamais occupé non plus une fonction ministérielle, mais leur présence au pouvoir est bien plus exceptionnelle que celle du PS et du CD&V. Cela dit, en attributs sociodémographiques et en capital culturel, cette équipe ne signe pas de renouvellement marquant.

On observe autour de la filiation des choses inimaginables pour d’autres mandataires politiques.

Même lorsque ces ministres sont novices, beaucoup sont porteurs d’un héritage. La Belgique est-elle le pays des dynasties politiques?

Oui. C’est même spectaculaire: à l’échelle des communes, des provinces, des entités fédérées et de l’Etat fédéral. Et cela atteste qu’il faut se garder de l’idée d’un grand renouvellement. Cette question est de plus en plus sensible car cette filiation semble plus que jamais un sésame pour l’accès – précoce – à un poste à responsabilités. Et ne pas l’avoir en devient presque un déni de justice pour certains. Christophe Collignon s’est plaint d’avoir dû attendre longtemps! Quant à Denis Ducarme, député à 30 ans via la suppléance, et ministre à 44, il ne semble plus imaginer le monde sans portefeuille ministériel.

On ne peut pas reprocher à des membres d’une famille de responsables politiques de vouloir aussi embrasser une carrière politique. Pour autant, on ne peut pas ignorer non plus les problèmes que cela pose. On observe autour de la filiation des choses inimaginables pour d’autres mandataires politiques. A-t-on déjà vu un autre député provincial promu dans un gouvernement du jour au lendemain?

Meryame Kitir est la première ouvrière à siéger au gouvernement depuis Josly Piette (CDH). Comment explique-t-on que les catégories salariées, qui forment une majorité imposante dans la population, peinent tant à se frayer un chemin en politique?

Il y a plusieurs « filtres », qui jouent pour l’accession à certaines responsabilités. Le filtre du parti d’abord, dans les confections des listes, et les filtres du scrutin ensuite: ce que certains nomment la « dimension aristocratique » de l’élection.

Deux autres mécanismes sont à l’oeuvre. Le premier réfère à ce que l’on pourrait nommer un sentiment d’incompétence qui génère l’autocensure – « Ce n’est pas pour moi » – qui s’agence à un principe de délégation. Le deuxième renvoie à moult difficultés pratiques. Pour qu’un salarié – mais pour nombre d’indépendants aussi – imagine, par exemple, exercer un mandat parlementaire, il ou elle doit être en condition de le faire: être en CDI, pouvoir bénéficier d’un congé politique ou de convenance personnelle, pouvoir l’assumer familialement… En vérité, cela ne court pas les rues. Il me semble qu’il y a un enjeu à réfléchir à cette problématique pour ouvrir les portes du Parlement à des gens de parcours professionnels plus diversifiés.

Dans l’histoire, le nombre de parlementaires ou de ministres issus des classes populaires est faible. Et le plus souvent, c’est après avoir quitté la vie de salarié dans le privé ou le public, et en étant devenu préalablement qui responsable syndical, qui professionnel du parti… Les passages directs sont exceptionnels. On peut d’ailleurs retourner la problématique: un nombre important de responsables politiques n’ont quasiment pas connu d’autre situation professionnelle que l’arène politique et sociale. Et beaucoup ont, ou auraient, de grandes difficultés à opérer une reconversion professionnelle, contrairement à ce que plusieurs laissent entendre. Sabine Laruelle a clairement témoigné de cette problématique.

N’y a-t-il pas là comme un réflexe de caste? Ne pourrait-on pas voir dans tous ces obstacles la stratégie d’une classe politique, consciente d’elle-même, qui voudrait conserver, pour elle et pour les siens, son pouvoir et ses privilèges?

Non. Il y a des conditions objectives qui rendent l’accès aux responsabilités politiques difficiles mais je ne vois pas de stratégie de caste. Au demeurant, le personnel politique professionnel diffère aussi de parti à parti. C’est un milieu dur, mais contrairement à ce que d’aucuns imaginent, il est bien moins marqué par une stratégie de caste ou d’entre-soi que beaucoup d’autres milieux, y compris où l’on vante la méritocratie. Cela n’ôte pas le problème des « dynasties politiques », certaines dimensions « aristocratiques » de l’élection, mais il n’y a pas de stratégie consciente de fermeture à l’accès à la professionnalisation politique. Et pour tout dire, d’un point de vue scientifique, je ne comprends pas la notion de « classe politique ».

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