Le bureau politique du parti Islam, en novembre 2016. Au centre, son fondateur, Redouane Ahrouch. © dr

Parti Islam, vraie menace ou épouvantail commode ?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Interdire le parti Islam est presque impossible actuellement, et modifier le droit belge pour y parvenir l’est pratiquement tout autant. Alors, Islam, vraie menace ou épouvantail commode ? Les deux, mon adjudant !

Un spectre hante la Belgique. Il est, dit même sans rire Richard Miller, député MR et idéologue de son parti, en passe d’accéder au pouvoir dans certaines communes,  » parce que certains partis aux tendances communautaristes ne résisteront pas à la tentation de composer des coalitions avec lui « . Ce spectre, ombre obscure aux reflets de haine, est un parti qui casse les codes de notre démocratie, une formation dont l’appellation comme le projet témoignent d’aspirations théocratiques : Islam, acronyme d’intégrité, solidarité, liberté, authenticité et moralité. Avec deux conseillers communaux depuis 2012, et à peu près autant de neurones à sa tête, il compte présenter des listes dans la plupart des communes bruxelloises et dans quelques-unes des grandes villes wallonnes.

A défaut de pouvoir le faire disparaître, certaines voix s’élèvent pour l’interdire. Chez les antilibéraux, celles, conservatrices, de la N-VA et celles, socialistes, du PS, Theo Francken avec fracas et dans toutes les langues ou, plus discrètement, Laurette Onkelinx l’ont respectivement réclamé.

Mais, de manière contre-intuitive, ils ne sont pas seuls sur ce terrain. Et ils n’y étaient même pas les premiers.  » Si l’on n’achetait de poison ou si l’on ne s’en servait jamais que pour empoisonner, il serait juste d’en interdire la fabrication et la vente. On peut cependant en avoir besoin à des fins non seulement inoffensives, mais utiles, et des restrictions ne peuvent être imposées dans un cas sans opérer dans l’autre « , disait pourtant John Stuart Mill, et cette phrase, qui semble proscrire toutes les restrictions aux libertés d’expression et d’association, aiguillonne au moins depuis 1859 cette école de pensée.

Pourtant, c’est bien du camp libéral que sont venues les plus valeureuses protestations de valeurs à défendre mordicus. Et les plus précoces, même, puisque Richard Miller et Philippe Pivin, député-bourgmestre MR de Koekelberg, portent cette revendication depuis 2012. Ce sont eux qui, au sein de la commission d’enquête sur les attentats du 22 mars 2016, ont poussé à l’adoption des recommandations 101 et 102, suggérant  » d’interdire les partis politiques qui verseraient dans cette dérive « . Et ce sont eux, encore, qui, dès la rentrée parlementaire de Pâques, devraient  » déposer une proposition de résolution à la Chambre pour rouvrir le débat « .

Et l’autre formation francophone se réclamant du libéralisme, DéFI, désire elle aussi, à partir de l’introduction de la laïcité dans la Constitution, doter le royaume de Belgique de la possibilité de dissoudre les associations qui  » en voulant subordonner la loi civile à la loi religieuse, nient l’essence même de notre système démocratique « , explique son président, Olivier Maingain.

Et l’extrême droite, alors ?

La position,  » complexe, surtout pour un libéral « , concède Richard Miller, présente une série de difficultés pratiques, juridiques, mais aussi politiques, qui rendent chimérique l’interdiction de ce groupuscule islamiste. Au point, même, d’en rendre ces demandes curieuses.

En pratique, d’abord, dès lors que les partis politiques, en Belgique, ne disposent pas de la personnalité juridique. Ce sont des associations de fait. Or, interdire un groupe qui n’a pas d’existence juridique est difficile, à moins de lui attribuer des activités criminelles (incitation au terrorisme, par exemple) qu’il faudra, bien entendu, démontrer matériellement, à partir d’actes et de propos. Il suffit de signaler qu’après les déclarations discriminatoires du président d’Islam sur les femmes, qui ne pourraient tirer une liste ni partager des transports en commun avec des hommes, même l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes s’est déclaré incompétent pour saisir la justice, pour se rendre compte de l’ampleur de ce genre d’obstacles.

Juridiquement, les déclarations des responsables de ce parti sont couvertes par la liberté d’expression

Juridiquement, ensuite, les déclarations des responsables de ce parti sont couvertes par la liberté d’expression. Des limitations (racisme, xénophobie, incitation à la haine) sont déjà prévues par la loi. Introduire une référence à la laïcité (ou à la neutralité) de l’Etat dans la Constitution, voire, comme mentionné à l’article 17 de Convention européenne des droits de l’homme, à l’abus de droit (contre ceux qui se serviraient des droits garantis pour les détruire) permettrait-il de coincer les islamistes politiques ? Richard Miller en est convaincu. Olivier Maingain aussi. Mais rien n’empêche la direction d’Islam d’intégrer à ses statuts ou à son programme l’une ou l’autre clause sur le respect de la Constitution et des grands principes démocratiques. C’est ce que le Vlaams Belang a fait, prenant la succession du Vlaams Blok dont les asbl de financement avaient été condamnées pour racisme… Autre type d’engagement formel aux maigres conséquences matérielles, la déclaration, par exemple prévue par le Code wallon de la démocratie locale, de respecter  » les principes démocratiques d’un Etat de droit  » nécessaire pour se présenter aux élections communales et provinciales, n’empêche aucunement les extrémistes de toute eau d’y concourir.

Politiquement, enfin, et surtout si l’on veut bien concéder que la loi n’est souvent que le résultat d’un rapport de force politique, les choses sont encore plus compliquées. Puisqu’on ne peut adopter une mesure législative qui ne cible nommément qu’une seule association, il va falloir définir ces extrêmes dont la Belgique ne veut plus. La question se posera alors automatiquement pour l’extrême droite, qui, tout autant qu’Islam,  » nie elle aussi l’essence même de notre Etat de droit « , comme nous répète Olivier Maingain, et sans doute pour l’extrême gauche.  » Si on ouvre le débat, il va aussi s’ouvrir sur ceux-là « , nous expose prudemment Richard Miller, tandis qu’Olivier Maingain, lui, se déclare  » favorable depuis toujours à l’interdiction des partis d’extrême droite « . Or, avec le plus grand parti de Belgique, la N-VA, Theo Francken se montre aussi favorable à l’interdiction du parti Islam qu’opposé au cordon sanitaire avec l’extrême droite. C’est un verrou politique, car la prohibition de l’un impliquerait nécessairement la proscription de l’autre, et que jamais la droite flamande ne l’acceptera. Un verrou politique qui ne ferme en rien l’accès des uns et des autres aux tribunes médiatiques ouvertes par ce débat passionnel. C’est pourquoi, si les gesticulations des islamistes sont à prendre au sérieux, celles de ceux qui disent le faire disparaître en l’interdisant le sont beaucoup moins.

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