Thierry Fiorilli

« Parce qu’à la douleur de perdre un proche, c’est mieux de ne pas ajouter la perspective de lendemains encore plus pourris » (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Il y a des régions où on allume deux bougies quand on veille quelqu’un à l’article de la mort. Une pour le défunt et l’autre pour les vivants. Parce qu’à la douleur de perdre un proche, c’est mieux de ne pas ajouter la perspective de lendemains encore plus pourris.

Il y a des régions où on allume deux bougies quand on veille quelqu’un à l’article de la mort. La première qu’on allume, c’est celle du mourant. Pour que Dieu puisse venir chercher son âme, sinon c’est le diable qui va la lui voler. Puis, on passe à l’autre cierge. C’est celui des vivants. On l’allume, mais jamais à l’aide du premier. Et si sa flamme brille plus, ça veut dire qu’elle est plus forte que la mort, et c’est un soulagement. Un bon présage. Parce qu’à la douleur de perdre un proche, c’est mieux de ne pas ajouter la perspective de lendemains encore plus pourris. Alors, on peut placer les bougies de part et d’autre du lit. Elles doivent se consumer, toutes seules. Ou alors ce sont sans doute des larmes qui les éteignent. Mais pour empêcher la razzia du démon, on rallume celle du moribond, tant qu’il n’est pas mort. C’est de la triche, donc on le fait en douce, quand personne ne regarde, parce qu’il n’est bien entendu pas question qu’il erre en enfer pour l’éternité. Il arrive sûrement qu’on ne sache plus trop, après un moment, quel cierge est celui de qui, mais comme on avait déjà compris qui a gagné, ça n’a probablement plus guère d’importance. L’essentiel, c’est de se persuader que ça va aller, pour le mort et pour les vivants.

Si la bougie des vivants brille plus que celle du mort, c’est un bon pru0026#xE9;sage.

Bon, en toute logique, pour ceux qui claquent sans crier gare, tout seuls, sous les balles, sous une lame, sous une bombe, en mer, du coeur, comme un craquement d’allumette, ou de parquet, c’est plus compliqué. Pas de duel de cire, donc portes ouvertes aux démons et double peine pour tout le monde. On a dû la lire quelque part, cette affaire, dans un roman peut-être, si ça tombe elle n’a même jamais existé, en tout cas on n’a rien trouvé qui la certifiait.

Mais, allez savoir pourquoi, elle nous tournicote autour depuis un moment. Depuis février dernier, en fait, avec ce qui se passait alors en Italie, tous les corps dans les hôpitaux, dans les couloirs, dans les morgues, sur les camions militaires, dans ce qui ressemblait à des fosses communes. Et puis, en voyant les courbes, chez nous. Toujours plus de cas, toujours plus aux soins intensifs, toujours plus de décès. En plus de tous les autres décès, habituels si vous permettez l’expression. Et puis encore depuis maintenant des semaines, puisque c’est reparti pour la gloire. Que de chandelles à dégoter, à sortir, à allumer dans le bon ordre! Que de flammes à scruter, que d’oracles à y consulter! Même si, ça aussi, c’est à distance. Puisqu’on en meurt loin des siens, avec autour des blouses blanches, ou bleues, ou vertes, qui ont autre chose à faire que comparer l’ardeur de deux mèches et puis transmettre le résultat du match.

Alors, comme on ne peut pas entretenir un champ de flambeaux, et en fleurs encore bien, pendant des mois, sans brûler tout le quartier, comme on ne bat jamais le vent ou la pluie, on ne fait que s’y plier, on a finassé. On a désigné toutes les lumières, de toutes les pièces, bougies des morts. Et la lampe à lave rouge, celle à l’étage, bougie des vivants. Le soir, c’est bien sûr elle qu’on éteint en dernier. Parfois, on la laisse même tout le temps éclairer. C’est pas top pour la planète. Mais ça peut pas abîmer plus l’humanité. L’essentiel, c’est de se persuader que ça va aller.

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