Thierry Fiorilli

« On vit un truc que t’aurais jamais imaginé. C’est peut-être pas plus mal que t’aies pas connu ça » (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Cette semaine, Thierry Fiorilli se confie à celui qui avait tout vécu jusqu’il y a trois ans et qui ne vit pas le crise sanitaire qu’on est en train de vivre.

T’en reviendrais pas, grand. Toi qui avais tout vécu, jusqu’il y a trois ans, comme homme et comme journaliste. Les amarres à d’inaccessibles astres, des abîmes, les félons, des liens plus forts que le graphène, être mandaï et être chef, la mort de héros et de salauds, des révolutions, des guerres, des famines, des séismes, le terrorisme, les réformes, Tchernobyl, le Heysel, Cools, les tueurs du Brabant, Mitterrand, le FN, le Vlaams Blok, Jean Gol, Spit, Wiiiilfried, Zeanluc, Big Loulou, Dutroux, Arafat et Rabin, Mandela détenu et libre, Obama, Trump, le télex et Facebook… Tout connu!

Tu parles.

On vit un truc que t’aurais jamais imaginé. Personne, d’ailleurs. Première frappe au printemps. Cadavres par monceaux. Et serrons-nous les coudes, hourra pour les sauveurs, lettre à mes enfants à mes parents à mes grands-parents à mes voisins etc., je vous aime et merci et pardon. Etat d’alerte planétaire. Comme face à un tsunami gigantesque ou une invasion d’aliens. Il faut des mégadigues que diable, des abris, évacuez tout le monde! , on se rend compte qu’on n’est rien du tout en fait. Et on a tout fermé. Ecoles, magasins, restos, cinémas, stades. Travail depuis la maison, pour ceux qui peuvent. Et ceux qui en ont encore. Rues désertes, trains vides, avions au sol, chacun cloîtré. Psychose généralisée. L’espèce menacée.

Devant comment u0026#xE7;a tourne, les gens, les choses, en fait c’est peut-u0026#xEA;tre pas plus mal que t’aies pas connu u0026#xE7;a.

Un virus, fieu. Inconnu, donc tous lobés. A la rescousse, des experts en tout ce qui te colle une peur panique rien qu’à entendre le mot. Trouvez quelque chose, une arme, une formule magique, une potion, ce que vous voulez mais débarrassez- nous de cette saloperie nom de dieu.

Puis ça a été l’été, les chiffres meilleurs, comme dans un bulletin, un sondage, un indicateur d’activité d’entreprise. Et bon ça va maintenant, vacances, et d’ailleurs ce virus ce serait pas une invention? , et mes libertés? , et on vole mes plus belles années, moi on me prive de mes dernières, alors ce nouveau gouvernement? , oh là là je peux aller en Espagne ou en Italie ou pas à la fin? , ouais ben au boulot parce que si on meurt pas de ce brol on va mourir de faim, et le lien social, et les séquelles pour les enfants, et les artistes, et il recommence quand le foot parce qu’avec tout ça on n’a pas pu gagner l’Euro, et Noël chez vous ou chez nous? , et vos gueules les experts, chacun sa place!

Trois mois de fin du monde, un p’tit cagnard et ça repart.

Sauf que là, ce qui repart, c’est le tsunami et les aliens. Et plus fort que la première fois. Et on n’a pas creusé les abris, ou pas assez, quelques sacs de sable alignés, et les gens ils veulent pas être évacués, ou il faut qu’on communique bien, parce que franchement quelle cacophonie, et c’est la culture qu’on assassine, et vous attendez quoi pour tout fermer? , mais putain ils ferment tout ces abrutis. Et tout le monde chope le truc. Et les hostos crient au secours. Et on reblinde. Et pour longtemps, tu vas voir.

Je me demande quelle allure t’aurais eu avec un masque sur le pif. Et comment t’aurais rugi, sous filtre et tissu, devant comment ça tourne, les gens, les choses. En fait c’est peut-être pas plus mal que t’aies pas connu ça. T’aurais fini par le sortir, ton mouchoir, je crois.

Allez, baci, grand.

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