Jean-Marc Nollet (Ecolo) et Elio Di Rupo (PS) : raté, le scénario du coquelicot. © ANTHONY DEHEZ/REPORTERS

« On ne peut pas gérer la Wallonie uniquement avec la gauche ou la droite »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Wallon, Wallonne, ne vois-tu rien venir ? Pas de coquelicot en fleurs, plus de société civile à l’attelage et pas de gouvernement à l’horizon. Philippe Destatte, prospectiviste et directeur de l’Institut Jules Destrée, fustige  » la confusion des rôles « .

Bien essayé. Sans majorité au sud du pays, PS et Ecolo ont tenté de contourner l’arithmétique électorale défavorable en sortant le grand jeu. Et pourquoi pas faire fleurir une coalition coquelicot à Namur, construite sur un gouvernement minoritaire, enrichi des apports de la société civile au passage très courtisée et soutenu de l’extérieur par des députés issus d’autres partis et par l’odeur alléchés ? En voilà une idée qu’elle était audacieuse ! Sauf que l’accueil aura été glacial. Le PTB est rentré dare-dare sous sa tente, le MR a dit non sans même dire merci et les humanistes du CDH, résolus à soigner leurs bobos dans l’opposition, ont à leur tour envoyé le coquelicot sur les roses. Et maintenant, on fait quoi ? Il va falloir que les rouges pas foncés, les bleus et les verts se parlent.

Philippe Destatte, que vient-il de se passer au juste en politique wallonne ?

Une phase politique particulièrement surprenante mais qui laisse une impression de profond malaise devant l’absence de volonté des partis de constituer des majorités larges et solides capables de mener une politique de rupture face aux enjeux formidables qui interpellent la Wallonie et la Communauté française. On vient au contraire d’assister à une tentative de former un gouvernement minoritaire ( NDLR : PS-Ecolo) qui prétendait substituer à la légitimité de la démocratie représentative la légitimité d’une société civile. Ce discours pose vraiment question.

La parade amoureuse d’Ecolo et du PS en direction de la société civile ne vous a pas séduit ?

Le geste posé était important mais absolument pas neuf à l’égard d’organisations alliées aux partis comme les syndicats et les mutuelles. Autre chose aurait été de reconnaître l’ensemble de la société civile, plutôt que d’en cibler une partie. Quand Jean-Marc Nollet, négociateur Ecolo, précise qu’il s’agit de la société civile qui s’est engagée contre le Ceta, l’accord économique et commercial entre le Canada et l’Union européenne, et contre la réforme des APE ( NDLR : réforme controversée des subsides au secteur associatif wallon, avortée sous le gouvernement MR-CDH), c’est une façon de restreindre sensiblement le nombre d’acteurs. Et de témoigner à la société civile un respect à géométrie variable.

Miser sur l’expertise de la société civile, c’est un gage de bonne gouvernance ?

Il ne faut pas non plus lui prêter des vertus a priori. Elle peut afficher les mêmes tares et les mêmes travers que la société politique en matière de gouvernance et de rémunérations. On l’a vu dans une série de dossiers, je pense à Mons 2015 dans le chef de grandes organisations du monde culturel. L’intégration de ministres issus de la société civile ne renforcerait pas la légitimité du gouvernement : cette légitimité, il la tient de la démocratie représentative et d’une majorité fondée sur des élus. C’est là toute l’ambiguïté de la démarche à laquelle on vient d’assister. Il y a eu confusion des rôles entre types de démocraties. Démocratie civile et démocratie politique se complètent, mais l’une ne peut jamais se substituer à l’autre. Un citoyen qui fait partie d’un panel associé aux travaux parlementaires n’est ni un député ni un ministre. Il ne peut être calife à la place du calife. Se focaliser uniquement sur la société civile qui n’est jamais qu’un acteur de la gouvernance, en l’isolant dans un face-à-face avec le politique, tient de la méprise.

Philippe Destatte :
Philippe Destatte :  » Il faut une vraie logique de coconstruction et non de consultations. « © HATIM KAGHAT

PS et Ecolo n’auraient-ils affiché qu’une fausse ouverture ?

En tout cas, ce n’est pas le modèle de gouvernement ouvert tel que prôné par l’Institut Jules Destrée. Il aurait fallu au préalable un gouvernement soutenu par une large majorité, qui énonce une méthodologie de coconstruction et qui entame une vraie dynamique de consultations en vue d’élaborer un programme précis et innovant. On aurait ensuite réuni, deux mois durant, un ensemble d’acteurs, et je pense aussi à l’administration, qui auraient eu à travailler ensemble, à mouiller leurs chemises, qui apprendraient à se connaître, à forger un intérêt commun au-delà des intérêts particuliers, qui feraient des efforts de renoncement en vue de préparer la Wallonie à un avenir pour une période suffisamment longue, de dix ans. Mais un tel conclave se tiendrait sous l’égide du politique qui resterait le maître de l’horloge. On serait alors dans une vraie logique de coconstruction. Pas dans du show, dans une logique de consultations, de concertations et de jeux de rôle plus ou moins formalisés.

On peut douter de la sincérité de toute cette démarche ?

Je ne parlerais pas de manipulation mais d’une incapacité à prendre la mesure des enjeux et d’intégrer la dimension de l’intérêt collectif. Je pense à la formule de l’ancien ministre français Michel Rocard :  » Bien souvent, là où on croit qu’il y a complot, il y a plutôt de la bêtise.  »

Chassez le naturel, il revient au galop. Retour aux logiques partisanes : un bloc PS-Ecolo face au MR, avec le CDH et le PTB qui se dérobent…

C’est la difficulté majeure à laquelle ne parvient pas à échapper la Wallonie : un ministre, toutes tendances politiques confondues, joue l’intérêt de son parti avant celui de la Région. On ne sort pas de la logique partisane et d’exclusion où chacun défend son bout de gras. Tout cela n’est pas très sérieux.

Chaque député régional ou communautaire était invité à se prononcer personnellement sur la note coquelicot du PS et d’Ecolo. Aucun n’a vraiment osé saisir cette chance…

Exceptés les plus courageux ou celles et ceux qui sont assez aguerris pour oser s’exprimer, les parlementaires restent très captifs de leur parti. Sans effort pour dépasser ce type de contrainte, comme l’instauration du vote secret au parlement, leur capacité d’indépendance reste très limitée.

Finalement, l’arithmétique électorale mettra tout le monde d’accord ?

Ce sont les volumes qui déterminent les majorités. Décrocher des majorités de circonstance ne suffira pas à transformer une société. Le défi exige des majorités très larges. On ne peut pas gérer la Wallonie uniquement avec la gauche ou la droite, ni gouverner en s’appuyant sur une seule moitié de la Wallonie. Réformer en profondeur la société wallonne ne peut se concevoir sans inviter la FGTB à la table, par exemple. Ce qui suppose que face à l’ampleur des enjeux, les partis soient capables de dépasser le nombrilisme, les états d’âme, les tergiversations, les fantasmes en tout genre.

Avec le coquelicot, on a cru déceler un essai de faire de la politique autrement. On a mal vu ?

Je n’ai jamais eu ce sentiment pas plus, je crois, que l’opinion publique, à l’exception de quelques naïfs. Avoir le droit de donner son avis pendant quelques instants pour exposer ce qui est déjà écrit dans un mémorandum, c’est sans grand intérêt.

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