Jinnih Beels © Francky Verdickt

« On ne fait pas changer d’avis les véritables racistes »

Jeroen De Preter Rédacteur Knack

Pendant des années la commissaire Jinnih Beels a incarné la lutte contre le racisme au sein du corps de police anversois. Récemment, elle a décidé de renoncer à son poste à la tête de la cellule diversité à la police anversoise, désormais elle travaillera comme manager de la diversité pour la zone de police Malines-Willebroek.

Entre-temps, l’inspection de travail a innocenté le corps de Malines-Willebroek de racisme. Cela a-t-il influencé votre décision ?

JINNIH BEELS: Non, j’étais déjà convaincue avant le rapport de l’inspection du travail que les informations publiées sont fort exagérées. J’avais déjà travaillé avec le corps malinois, et j’ai évidemment travaillé à Anvers pendant sept ans. L’expérience m’a appris que les corps de police racistes à 100% n’existent pas.

Le racisme est relatif à la police aussi?

Le racisme n’est jamais relatif, nulle part. Mais la presse aggrave ou généralise souvent le problème. 90% des agents de police ont de bonnes intentions. Il n’y a qu’une petite minorité de véritables racistes. Le problème des histoires relayées par les journaux comme Gazet van Antwerpen, c’est qu’elles atteignent aussi les 90% d’agents de bonne foi. Du coup, ils se sentent visés par leurs collègues allochtones, ce qui renforce le sentiment du « nous contre les autres ».

Les médias feraient mieux de se taire quand ils ont vent d’incidents racistes ?

Ce n’est pas ce que je dis. Je dis qu’il faut se méfier des généralisations, car elles provoquent l’effet inverse. Il est évident que les médias ne doivent pas se taire, car il y a un problème. Le racisme est partout, à l’extérieur et à l’intérieur de la police, et donc indubitablement aussi dans le corps de Malines-Willebroek.

Comment comptez-vous résoudre ce problème?

Je ne me fais pas trop d’illusions. Les véritables racistes, on ne les fait pas changer d’avis. Il est assez inutile d’y consacrer son énergie. Il faut sanctionner le racisme tenace et systématique, point à la ligne. Mais il faut se méfier de condamnations trop rapides. Un agent qui traite un collègue de « singe brun » est-il raciste ? Pas par définition. « Singe brun » est une expression raciste, mais dans certains cas, n’est-ce pas surtout une manifestation de frustration? Là, il est utile d’en parler, même si on ne peut évidemment discuter indéfiniment, et il y a une limite claire : en rue on ne tolère pas de langage raciste. Là, il n’y a pas d’excuses.

La police est plus souvent mise en cause pour racisme que d’autres organisations. Ce n’est pas un hasard, non ?

Par définition, le job de policier donne davantage lieu aux conflits que la plupart des autres emplois. Je suis également convaincue que les conflits entre migrants et police sont dus plus souvent à l’ignorance qu’au racisme. Cette ignorance provient en partie de l’image que les anciennes générations ont de leur travail : le policier comme garant de l’ordre. Ces sept dernières années, j’ai, avec des hauts et des bas, essayé de convaincre le corps que l’acquisition de connaissances sur d’autres religions ou cultures fait également partie de leurs tâches. Cette vision se heurtait parfois aux idées de l’agent traditionnel, pour qui c’est la tâche de l’éducateur de rue soixante-huitard. Si j’ai réussi à persuader une partie du corps de police, c’est en expliquant qu’une meilleure compréhension de l’autre culture peut faciliter leur job. Un exemple simple : il est très rare qu’un jeune allochtone regarde un policier dans les yeux. Cela énerve la plupart des agents. Ils considèrent cette attitude comme un manque de respect, ou une indication que ce jeune a quelque chose à cacher. En réalité, c’est l’inverse. Dans leur culture, on ne regarde pas quelqu’un qu’on ne connaît pas dans les yeux. Si un agent le sait, il n’a pas besoin de s’énerver, et le jeune se sentira plus respecté. Ce n’est peut-être pas grand-chose, mais ces connaissances peuvent faire beaucoup pour la compréhension mutuelle et le respect. Cette approche est beaucoup plus efficace que de dire que les agents doivent se montrer moins racistes.

Vous venez de dire que l’agent moyen se voit encore trop comme le garant de l’ordre public. On peut dire que la police est imprégnée d’une culture machiste plus que raciste ?

Ce problème est au moins aussi important, oui. On y a travaillé ces dernières années, parce que notre police est trop blanche, mais aussi trop masculine.

Parce qu’au moment décisif, il est plus important de se battre que de parler?

(Elle sourit) Mon mari aussi est agent de police. Même lui, je l’ai souvent entendu dire que pour certaines interventions il préfère avoir un homme à ses côtés. C’est tout à fait faux selon moi. Envoyez une femme et le risque de bagarre diminue de 90%. Pardonnez-moi le cliché, mais vous les hommes, vous n’êtes pas très bons en communication. C’est pourquoi je défends ardemment – même si c’est très difficile pour certains hommes – les équipes d’intervention mixtes. Au cours de ma carrière à la police, je n’ai pas opté une seule fois pour la solution physique. La solution était toujours de discuter, même en situation très difficile. Mais évidemment il y a des moments où les paroles ne l’emportent pas. Alors, il faut malheureusement se battre au lieu parler. Mais qui dit que les femmes en sont incapables ?

Les lois de la nature ?

Foutaises dépassées. Je suis persuadée que beaucoup de femmes n’auraient aucun mal à passer les épreuves physiques. Le problème n’est pas dans la force physique, mais dans les têtes. Il explique au moins en partie pourquoi les équipes d’intervention rapide, l’équipe spéciale d’assistance (BBT – Bijzondere Bijstandsteam) et l’Escadron Spécial d’Intervention (ESI) sont exclusivement masculins. C’est également de la discrimination.

Avez-vous souvent fait l’objet de discrimination?

Comme femme allochtone, je n’ai pas dû doubler, mais tripler les efforts pour prouver mes capacités. Je l’ai fait à ma façon, verbale. Mais il y a aussi des policières qui résolvent le problème en surpassant leurs collègues masculins en machisme.

Il est inévitable que nous abordions l’histoire d’ Hamid A., l’inspecteur malinois qui grâce à son réseau disposait d’informations uniques et peut-être cruciales sur le refuge de Salah Abdeslam, le suspect principal des attentats de Paris. Cependant, la direction du corps ne faisait pas confiance à Hamid A., parce qu’il ne voulait pas dévoiler les noms de ses indicateurs.

Dans ce genre de dossiers, la crédibilité de sources est primordiale. S’il en doute, un chef de corps peut toujours demander la transparence nécessaire.

Cependant, l’inspecteur court le risque de perdre la confiance de ses informateurs et donc de son réseau.

C’est vrai. Pour obtenir des informations sensibles, il faut parfois protéger ses sources. Mais dois-je les protéger contre mon chef de corps ? S’il y a une confiance mutuelle, où est le problème ? N’oubliez pas qu’un agent ordinaire est obligé de relever ses sources.

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