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« On en a autant marre de la politique actuelle que les citoyens! »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

 » Face à la montée des populismes, les partis ayant l’ambition de défendre le bien commun sont des alliés, scande Laurent de Briey, qui pilote l’opération de renouveau du CDH. On n’a plus le choix, c’est vrai pour nous, mais aussi pour les autres partis ! « 

Laurent de Briey est philosophe (UNamur), co-initiateur de la plateforme politique eChange, ancien chef de cabinet de la ministre Marie-Martine Schyns à l’Enseignement et désormais responsable de l’opération « Il fera beau demain », qui vise à refonder le CDH.

Le nom de code de l’opération, « Il fera beau demain », a fait beaucoup fait parler de lui, parfois avec un zeste d’ironie.

Tant mieux, cela veut dire que l’on a réussi: on en parle partout, avec une connotation positive, c’est tout ce que l’on souhaitait. Et puis, cela devait faire slogan, pas nom de parti, puisqu’il s’agit d’un processus participatif avec les citoyens, à l’issue duquel il y aura un changement de nom. Nous sommes très contents, d’autant que la mobilisation interne au CDH pour le congrès de lancement, le 11 janvier dernier, était très importante: avec mille personnes, nous avons fait jeu égal avec le MR. Ce n’est pas mal pour un parti qui est supposé être à la morgue. Les militants sont ressortis de là avec enthousiasme.

Maxime Prévot, président du CDH, affirme qu’il s’agit de revoir fondamentalement l’identité du parti.

Il a encore été un pas plus loin en annonçant qu’il ne s’agit pas simplement de radicaliser la ligne du parti, mais bien de créer quelque chose de nouveau auquel le CDH pourra passer le relais. Il y a une aspiration à sortir de l’entre soi. C’est un pari. On sent bien, à ce stade-ci, une curiosité, mais aussi une forme de méfiance. Certaines personnes sont intéressées, mais se disent que cela reste de la politique, elles n’ont pas en envie d’être étiquetées et se demandent si l’on veut vraiment ouvrir le jeu…

… aux citoyens ?

Voilà. Elles se demandent si le bureau du parti décidera à la fin. Il y a un peu de circonspection, même si on leur dit bien qu’il s’agit d’un processus de co-construction et qu’à la fin, dans un an, les conclusions doivent appartenir à tous ceux qui contribuent. Notre message est clair et il faut parvenir à le faire passer. Ce processus ne réussira que si les citoyens participent. Il faut que la dynamique prenne, que les gens aient l’audace de se lancer.

Vous avez piloté le Pacte d’excellence pour l’enseignement et le processus de la plateforme d’eChange. Cela s’inscrit dans ces voies-là ?

Cela montre à tout le moins une cohérence dans mon chef et une volonté de travailler dans ce type de dynamique. J’ai été très marqué par le Pacte d’excellence. Sa grande force a été de travailler avec les acteurs intermédiaires, on a fait de la politique autrement et on a réussi à dépasser les clivages, même si on ne peut pas dire que les enseignants de terrain étaient enthousiastes. Ceci dit, il n’y a pas eu d’opposition réelle, au-delà des râleurs sur Facebook. Les syndicats ont assumé leur position et ont dépassé leur logique conservatrice. C’est un grand succès et la meilleure illustration, c’est que le Pacte peut se poursuivre malgré le fait que le CDH soit désormais dans l’opposition. Cela montre que quelque chose de solide peut être mis en oeuvre.

eChange était aussi une dynamique de ce type-là. Nous avons atteint des résultats, notamment grâce à la collaboration avec Le Vif/L’Express, en créant des ponts entre des personnes de différents partis. Thomas Dermine, qui participait à nos travaux, est devenu le bras droit de Paul Magnette et le patron du centre d’études du PS. Georges-Louis Bouchez, président du MR, a participé à notre premier débat et Alexia Bertrand, députée bruxelloise, s’inscrit dans cette dynamique positive. L’esprit eChange a percolé. Nous avons aussi réussi à faire le lien avec les experts. L’élément le moins satisfaisant fut celui de la participation citoyenne parce que cela demande des moyens, de l’énergie, des ressources humaines… ce que j’ai ici, au CDH. Le côté transpartisan d’eChange, de facilitateur pour l’exercice du pouvoir, doit se poursuivre, mais la co-construction d’un autre récit politique, c’est impossible dans ce cadre-là. Ici, il y a moyen de construire un « casa del papel’ politique, ouvrir la porte et changer le système de l’intérieur.

L’inspiration vient-elle d’En Marche et de Macron ?

Nous avons fait un brainstorming sur toutes les opérations de refondation. En Marche, c’est un cas très spécifique, mais nous nous sommes inspirés de nombreux cas. Même le PTB est inspirant dans la manière dont il s’est reconstruit en partant de beaucoup plus bas, notamment en investissant le terrain social avec les maisons médicales – indépendamment du fond des propositions, bien entendu. Le retour à la base de la politique, le contact avec les citoyens sans se contenter d’être un instrument de gestion, tout ce que l’on avait historiquement grâce aux piliers, voilà ce qui doit être notre guide. Les partis responsables ont fini par perdre ce contact avec les citoyens, d’autant que pendant trente ans, les citoyens étaient contents d’être dans une démocratie représentative de délégation. Le politique était le syndic de l’immeuble commun alors que ceux-ci cherchaient leur petit bonheur privé. Cela allait lorsqu’il y avait un modèle social relativement consensus : de la croissance, de l’emploi, un équilibre des finances publiques… Depuis dix ans, le modèle est en crise, il y a une repolitisation de la société, on attend que les politiques les représentent au sens fort.

Les partis populistes ont mieux compris que les partis de pouvoir combien les citoyens avaient envie de voir leurs colères, leurs angoisses ou leur espoirs relayés par les politiques. Hillary Clinton face à Donald Trump, c’était vraiment la bonne syndic de l’immeuble face à celui qui incarnait la colère et c’est ce dernier qui a gagné. Les partis responsables doivent retrouver ce lien plus direct avec le citoyen.

Il faut construire un populisme du centre ?

Pas un populisme, une vraie incarnation du centre et du rassemblement. La caractéristique du populisme, c’est que c’est un discours généralement instrumental. Sa spécificité, c’est d’opposer les uns aux autres : celui d’ici à celui d’ailleurs, les Flamands aux francophones, les riches aux pauvres, les climatosceptiques aux jeunes pour le climat… Il s’agit de dire que ce n’est pas à vous de faire des efforts ou des choix, parce qu’il y a un coupable. On va résoudre le problème en mettant tout sur son dos. Pour moi, le clivage le plus important des années à venir sera celui entre ceux qui opposent et ceux qui rassemblent. C’est un clivage dans lequel nous ne sommes pas au centre : nous sommes clairement du côté des rassembleurs. Le message que l’on essaie de faire passer, c’est que l’on peut vivre mieux demain, mais cela va nous demander de revoir nos priorités, de hiérarchiser.

C’était le génie du Pacte social de 1944 qui a réussi à créer un consensus entre les travailleurs et patrons, à trouver un intérêt commun pour reconstruire le pays, recréer de l’activité, augmenter le pouvoir d’achat, développer la sécurité sociale… C’est ce que l’on a fait dans l’enseignement. Chacun doit accepter de faire un pas vers l’autre. Cela demande de redéfinir le bien commun, ce que l’on veut collectivement, pour vivre mieux demain. C’est ce débat-là que l’on veut lancer. Vent-on davantage de confort matériel ou estime-t-on qu’il y en a assez et doit-on se pencher sur les aspects de qualité de vie ?

Le CDH avait abandonné le terme chrétien pour devenir humaniste. Et maintenant ?

Un des buts du processus, c’est de répondre à cette question. Le postulat de départ, c’est que l’on fait face à de grandes mutations de la société qui montrent combien le modèle du « toujours plus » doit être revu. Quand le gâteau ne grandit plus, cela renforce les tensions sociales. Il faut un nouveau Pacte social qualitatif. C’est un constat cohérent avec l’histoire du parti, mais qui n’a rien d’exclusif au parti. D’où l’importance de créer un dialogue entre les humanistes et l’extérieur. On ne renie pas le livre qui a été écrit, mais on veut rédiger une nouvelle page.

Un des enjeux sera de rendre ce discours visible et lisible alors que votre parti est pratiquement à la morgue…

… vu comme étant pratiquement à la morgue. Il y a de la vitalité. Mais on doit rassembler les bonnes volontés. On a en a autant marre que les citoyens de la manière dont fonctionne le système politique aujourd’hui. Personnellement, c’est ce ras-le-bol détournant les gens de la politique qui me motive. C’est pour cela que je m’engage. Cela doit changer. Ce blocage mutuel permanent, dont le blocage au fédéral est la caricature, c’est insupportable ! Le Pacte d’excellence ou eChange démontrent que c’est possible de faire autrement. Mon expérience personnelle de la politique, c’est ça : on dépasse les clivages. Ce qui est pour l’instant un peu exceptionnel doit pouvoir se généraliser. C’est avant tout une question d’état d’esprit : soyons des partenaires avant d’être des adversaires ! Ne taisons pas nos différences, mais un moment, il faudra réconcilier ces visions. Face à la montée des populismes, les partis ayant l’ambition de défendre le bien commun sont des alliés et doivent montrer que l’on peut faire quelque chose de pertinent avec la politique. Faute de quoi, on aura de moins en moins de sièges au parlement. On n’a plus le choix, c’est vrai pour le CDH, mais aussi pour les autres partis !

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