Patrick Dupriez

Nucléaire – Démocratie : 5 – 0 !

Patrick Dupriez Président d'Etopia, Centre d’animation et de recherche en écologie politique

L’industrie nucléaire sait désormais ses jours comptés, mais elle transmettra son héritage empoisonné à quelques centaines ou milliers de générations qui se demanderont sans doute comment – en démocratie – nous avons pu faire preuve de tant d’aveuglement en basant l’organisation de notre société sur une source d’énergie aussi problématique, toxique, dangereuse.

La réponse tient en un constat: depuis son origine dans les années 50, le secteur nucléaire carbure à la dissimulation et échappe aux règles démocratiques.

L’industrie nucléaire est-elle compatible avec la démocratie ?

Un exemple ? C’est l’Agence internationale de l’énergie atomique qui a pour mission d’en contrôler la sécurité, d’assurer la non-prolifération des armes nucléaires… bref, le gendarme du secteur doit assurer sa promotion. Un conflit d’intérêts majeur qui n’émeut pas la Belgique.

Nucléaire 1 – démocratie 0

Où est le Parlement ?

Dans une démocratie moderne, des décisions aussi importantes que le choix de l’atome comme stratégie énergétique peuvent-elles échapper au Parlement ? Eh bien oui…

Les décisions de construire les réacteurs nucléaires de Doel et Tihange ont été prises sans débat, ni feu vert du parlement. Jusqu’à 1999, des choix politiques aussi importants que la tarification électrique, les politiques d’amortissement des centrales, la constitution des provisions nucléaires… ont été actés en petit comité, loin du Parlement.

Histoire ancienne ? Bof ! Ces dix dernières années encore, des orientations essentielles ont été prises sous le signe de la « Pax Electrica », via des pactes entre le gouvernement et le secteur industriel (Electrabel – Engie), qui doivent ensuite être minutieusement mis en oeuvre sous peine d’amendes à payer par les contribuables. Tout cela sans la moindre intervention du Parlement. Ce type de mécanisme d’affaiblissement de l’Etat de droit n’existe dans aucun autre secteur économique.

Monter au niveau européen pour remettre un peu de démocratie dans tout ça ? Raté ! Le traité EURATOM « protège » en effet le secteur de l’atome du regard du Parlement européen.

Nucléaire 2 – démocratie 0

Vous reprendrez bien un peu de Pax Electrica « MR – N-VA »

Fin novembre 2015, le gouvernement fédéral conclut un pacte avec ENGIE. Il porte sur la prolongation de la durée de vie de nos réacteurs nucléaires, mais prévoit également plusieurs dispositions relatives au régime fiscal appliqué à la société durant les dix prochaines années. Voilà donc une entreprise autorisée à négocier avec le gouvernement le montant des impôts qu’elle payera dans le futur ! En annexe à la convention signée à cette occasion se trouvent deux avant-projets de loi que les parlementaires devront approuver tels quels sous peine de devoir renégocier la convention afin d’en respecter l’équilibre. Le gouvernement fédéral a donc privatisé partiellement le processus législatif. Pire, cette Pax Electrica prévoit des amendes à payer par l’Etat belge à ENGIE au cas où les parlementaires modifieraient cette loi sans l’aval de la société durant les 10 prochaines années.

Nucléaire 3 – démocratie 0

Les citoyens restent sans voix.

Il existe dans notre pays une série d’outils permettant la participation de groupes d’intérêts et de citoyens aux processus décisionnels : des conseils d’avis, des instances de coordination, des procédures d’enquête publique, etc. Rien de tout cela n’est de rigueur en ce qui concerne l’énergie nucléaire. Le gouvernement ne doit consulter aucun conseil d’avis avant de prendre des mesures, par exemple, en matière de sécurité ou de politique de déchets nucléaires. Il refuse même de respecter les accords internationaux (Espoo et Aarhus)qui l’obligent à consulter la population en cas de projets nucléaires importants.

Nucléaire 4 – démocratie 0

Une transparence très relative

Il n’y a pas de démocratie sans garanties d’accès à l’information pour les citoyens. Le secteur nucléaire profite pourtant encore d’un régime d’exception : les tarifs relatifs à la gestion de déchets nucléaires qu’ENGIE doit payer à l’ONDRAF (l’organisme public compétent en la matière) sont un secret d’État et les documents de la Commission des provisions nucléaires restent confidentiels.

Il est donc impossible pour les citoyens, le monde associatif ou même les parlementaires de vérifier s’il y aura assez de moyens financiers pour démanteler les centrales nucléaires. Tout aussi impossible d’accéder à l’inventaire portant sur les passifs nucléaires…

Quant aux statistiques et études scientifiques portant sur les conséquences sanitaires et environnementales de l’énergie nucléaire, c’est peut dire qu’elles sont lacunaires et peu transparentes.

Nucléaire 5 – démocratie 0

Les bénéfices pour le privé, les risques pour la collectivité.

Et si un accident devait survenir dans nos centrales atomiques ? Improbable sans doute. Mais potentiellement gravissime dans une région aussi densément peuplée que la Belgique. Le secteur nucléaire profite d’un régime juridique exceptionnel en matière de dédommagement de tiers. Les montants à payer sont plafonnés à 1,2 milliard d’euros alors qu’un accident concernant un réacteur pourrait entraîner des coûts s’élevant à des centaines de milliards. Le risque nucléaire est donc assumé par la société dans son ensemble : une forme de subvention supplémentaire et importante du secteur.

Nucléaire – démocratie : score de forfait ! Mais le match retour s’annonce pour les citoyens…

Même s’il n’est pas propre à la Belgique, un constat s’impose : le développement de l’industrie nucléaire est fondé sur un secteur énergétique très puissant qui semble à l’abri des règles et contraintes de la démocratie.

Pour les écologistes, il est plus que jamais nécessaire de sortir de l’ère nucléaire, pour des raisons liées au modèle économique et financier de cette industrie, à ses risques sanitaires et environnementaux, à la durabilité de la filière d’approvisionnement en combustible, à notre sécurité face à la menace terroriste, à la dimension éthique de notre relation aux générations futures et à bien d’autres raisons qui méritent le débat, mais aussi à cette carence démocratique permanente du secteur.

Le vent tourne. Les citoyens se mobilisent, les énergies renouvelables se déploient, les études sanitaires inquiètent, les grands acteurs du secteur nucléaire défaillent, les pays voisins protestent… la prochaine manche se joue dans les prochains jours à la Chambre qui doit décider de prolonger – ou pas – les vieux réacteurs Doel 1 et Doel 2. Mettons-les hors-jeu !

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