"Je suis heureux de partager mon succès avec les gens, confie Novak Djokovic. C'est mieux que de dire : "Eh, j'ai réussi ! Prends ça !"" © reuters

Novak Djokovic: « Je joue le meilleur tennis de ma vie, et je veux continuer »

Le Vif

Favori de Roland-Garros, le n° 1 mondial peut décrocher le seul titre du grand chelem qui lui manque – après trois finales perdues à Paris… C’est un homme au sommet de son art qui monte au filet des confidences.

Parce que votre famille a connu la guerre, on parle souvent de votre résilience quand vous retournez une situation désespérée sur le court. Est-ce une bonne explication ?

Oui, c’est un peu inscrit dans mon ADN, du fait de la culture serbe et balkanique, de notre histoire et de ce que nous avons traversé, des guerres et de notre place entre l’Est et l’Ouest. Les gens de cette région ont développé une sorte de besoin existentiel de combat. Et j’ai vécu dans mon enfance des choses bien différentes de certains de mes rivaux… Avec le recul, tout cela m’a endurci, m’a aidé à savoir ce que je veux et à apprécier ce que la vie me donne. Ce passé m’a donné plus faim qu’à d’autres.

Quels souvenirs demeurent ?

Mes parents ont fait beaucoup de sacrifices pour que leurs enfants puissent vivre aussi bien que possible, malgré la guerre, l’embargo, les restrictions. J’ai pu continuer à jouer au tennis et à poursuivre mon rêve, mais c’était dur : je m’entraînais contre un mur criblé de balles…

Avez-vous un jour perdu l’espoir de dominer Roger Federer et Rafael Nadal ?

En 2010, c’était mentalement très difficile pour moi. Après avoir gagné mon premier titre du grand chelem en 2008, j’ai eu beaucoup de mal dans les grands matchs pendant deux ans et demi. Bien sûr, j’étais quand même n° 3 mondial, mais je n’étais pas satisfait. Donc, oui, j’ai eu ma période de doute, car je perdais la plupart des rencontres face à  » Rafa  » et à Roger. En même temps, cela m’a fait comprendre ce que je devais traverser mentalement pour arriver au sommet, ce que je devais changer dans mon approche. Alors j’ai progressé techniquement, pour briser leur domination et devenir n° 1 mondial. C’était une immense tâche, mais j’ai réussi à basculer, assez vite finalement, du doute vers la confiance.

Roland-Garros est le seul tournoi majeur que vous n’avez jamais remporté : cela devient-il une obsession ?

Je n’aime pas ce mot, car il ne vient pas d’une bonne émotion. Gagner Roland-Garros, c’est un objectif comme un autre. Bien sûr, je vais essayer de franchir la dernière marche à Paris, après en avoir été proche plusieurs fois déjà, mais je ne suis pas le seul à vouloir gagner ! Que Roland-Garros soit le seul titre du grand chelem qui me manque me motive encore plus. Cela dit, la terre battue est la surface la plus lente et la plus exigeante physiquement, cela demande beaucoup de patience.

Est-il facile d’être le favori à chaque tournoi ? Vous avez perdu contre Murray en finale du tournoi de Rome…

J’ai travaillé dur pour être n° 1 mondial et connaître ce type de pression, je ne peux donc pas me plaindre. En fait, ça me plaît assez, parce que je l’ai provoqué… Nous sommes tous sous pression, elle fait partie du job. Je joue le meilleur tennis de ma vie, après des années de dévouement, et je veux continuer. Je ne m’occupe plus du classement mondial. Ce qui m’importe, c’est de garder ce niveau.

Avez-vous toujours été convaincu d’être destiné à accomplir de grandes choses ?

Dès mon plus jeune âge, je me voyais dans la peau du n° 1 mondial et d’un vainqueur de Wimbledon. J’avais ces deux images en tête. Mais je ne m’imaginais pas remporter tout ce que j’ai déjà gagné. On a un rêve, et puis le reste arrive au fur et à mesure qu’on grandit – en tant que personne et en tant que joueur – et qu’on comprend ses forces et ses faiblesses. C’est un apprentissage qui dépend aussi des choix qu’on fait, notamment celui de la bonne équipe.

On en revient au commencement : j’ai grandi en Serbie et les événements survenus dans mon enfance ont construit la personne que je suis aujourd’hui. J’ai dû, très jeune, affronter des situations d’adulte et je n’ai eu d’autre choix que de grandir vite mentalement. Après, je n’ai eu qu’une envie : apprendre, m’éduquer, me développer en tant qu’individu. J’ai aussi toujours gardé les bonnes valeurs : respecter les autres, être reconnaissant envers la vie, généreux et bon. Quand on a des craintes et des doutes, c’est peut-être qu’on est plus introverti. Mais, de la même manière qu’on travaille ses muscles en salle de gym, il faut aussi bosser le mental. Je crois au pouvoir de l’esprit : si on l’entraîne fort, on maximise son potentiel. On ne peut pas savoir jusqu’où on peut aller tant qu’on n’a pas cet état d’esprit : toujours vouloir progresser. La puissance de l’esprit et la visualisation de mes objectifs font partie de ma vie de tous les jours. Je travaille la pleine conscience et essaie de conserver cette discipline par des exercices quotidiens. Cela a vraiment très bien fonctionné pour moi…

Votre perfectionnisme vous joue-t-il des tours ?

Il y a des moments où, dans l’intensité de la bataille sur le court, vous êtes à fleur de peau. Vous pouvez perdre le contrôle de vos émotions, et ça se voit. Ce qui me fait avancer, c’est de toujours chercher dans mon jeu les petites choses que je peux encore améliorer.

Vous parlez une demi-douzaine de langues, écoutez de la musique classique, jouez aux échecs, lisez beaucoup…

En avançant dans la vie et au fil des succès, je vois que d’autres opportunités se présentent pour continuer de grandir humainement – et pas seulement financièrement ! Améliorer la société est ma plus grande motivation. Par exemple, je me passionne pour la nutrition depuis 2010 (NDLR : quand il a découvert ses intolérances alimentaires, dont celle au gluten). Les gens disent qu’on ne devrait pas se rendre dingue au sujet de ce que l’on mange : je ne suis pas du tout d’accord. C’est prendre soin de soi, se donner de l’énergie ; plus on y fait attention, plus on est en bonne santé, plus on s’améliore. Je suis un athlète professionnel, c’est ma responsabilité. J’essaie aussi de garder une vision philanthropique : j’admire Bill Gates, Richard Branson, Larry Ellison ou Elon Musk, qui ont marqué leur domaine et gardé cette volonté d’améliorer la planète. La pire chose est de stagner, de n’être nulle part. Dieu – ou l’Univers – nous donne tous les jours des chances de faire quelque chose de nos vies.

Que lisez-vous ?

Je suis curieux, je lis de tout, aussi bien en serbe qu’en anglais. En ce moment, je m’intéresse à tout ce qui est bien-être, développement personnel et pensée positive. J’ai aussi beaucoup lu sur l’oeuvre du scientifique d’origine serbe Nikola Tesla, spécialiste de l’électricité et du magnétisme.

A vos débuts, votre nationalité a suscité une certaine hostilité : compter parmi les plus grands joueurs de tous les temps donne-t-il un goût de revanche ?

Pas du tout. Je suis heureux de partager mon succès avec les gens. C’est mieux que de dire :  » Eh, j’ai réussi ! Prends ça !  » Evidemment, je suis très fier de ce que mon équipe, ma famille, tous ceux qui ont cru en moi dès le premier jour et moi-même avons accompli, mais cela vient de la bonne place dans le coeur.

Vous qui avez vu la guerre de près, que ressentez-vous face à la situation géopolitique actuelle ?

Les terroristes, la violence qui ne s’arrête pas, le manque de respect de certaines personnes ou de certaines nations… Cela prouve que chacun doit d’abord essayer de travailler sur soi-même : changer notre monde au niveau micro avant de le changer au niveau macro. L’humanité a beaucoup évolué, très rapidement. L’argent, la gloire et le pouvoir sont devenus des valeurs cardinales, c’est pourquoi la situation est très dangereuse. La cupidité a conquis de multiples parties du monde, et le business est devenu la principale priorité pour de nombreux humains, qui en oublient la famille et ce qu’est vraiment la vie : veiller à être en paix, entouré d’ondes positives et non de chaos. Chacun devrait déplacer son attention sur ce qui l’entoure. D’où venez-vous ? De la nature. Et vous finirez dans la nature, vous retournerez dans le sol, donc si vous ne prenez pas soin de la nature et de vous-même, ce qui est la même chose, vous finirez votre vie plus vite que prévu. Aussi longtemps qu’on ne pensera qu’au succès, qu’à créer des rivalités explosives, qu’à se battre, rien ne changera. C’est pourquoi je crois que le tennis masculin d’aujourd’hui envoie un message crucial : nous nous respectons et avons des relations amicales. Stan Wawrinka, Andy Murray, Roger Federer, Rafael Nadal et moi : les meilleurs mondiaux se parlent, rigolent ensemble. Evidemment, sur le court, chacun veut gagner, mais dans un bon esprit et en restant fair-play. Pas de commentaires irrespectueux, pas de volonté d’humilier l’autre ni de créer des rivalités fondées sur la course au succès ou l’ego.

Votre sport a été touché par des scandales : les matchs truqués, le contrôle positif de Maria Sharapova… Est-il malade ?

Cela n’est pas bon pour le tennis, mais c’est une occasion pour les instances de faire preuve de fermeté et d’envoyer un message : nous n’allons rien tolérer. Quand les gens viennent nous voir dans les plus grands tournois, ils veulent savoir que l’on joue dans des conditions justes. Mais les joueurs ne sont pas qualifiés pour discuter de ces sujets et doivent faire confiance aux autorités qui mènent les investigations.

PROPOS RECUEILLIS PAR CAROLE BOUCHARD

Bio express

1987 Naissance à Belgrade (Serbie).

2004 Débuts professionnels, classé 186e joueur mondial.

2008 Première victoire à l’Open d’Australie.

2011 Premières victoires à Wimbledon et à l’US Open ; premier au classement mondial ATP.

2015 Record du nombre de points ATP obtenus en une saison (16 585) : il remporte 11 titres (trois tournois du grand chelem, le Masters, six masters 1 000 et un ATP 500).

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