Selma Benkhelifa

Nouveau secrétaire d’Etat, vieilles recettes en politique migratoire ? (carte blanche)

Selma Benkhelifa Avocate - Progress Lawyers Network

C’est une vraie déception d’entendre le tout nouveau secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration faire l’éloge de ses prédécesseurs et affirmer que sa politique migratoire se fera dans la continuité, en mettant l’accent sur la détention et les expulsions.

Plus de centres fermés, plus d’expulsions, des pistes juridiques pour aller chercher les sans-papiers chez leurs hébergeurs et hébergeuses.

On aurait pourtant aimé l’entendre insister sur les droits humains, à l’instar de l’accord de gouvernement qui leur fait la part belle (le terme « droits humains » y est repris à neuf reprises).

Les droits fondamentaux ne sont pas uniquement de belles paroles sur du papier. Pour être autre chose qu’un mantra ou une ritournelle, ces droits doivent être effectifs. Or, le respect de ces droits est incompatible avec la continuité d’une politique migratoire qui a valu à l’Etat belge bon nombre de condamnations tant par les juridictions belges que par la Cour européenne des droits de l’homme.

Fedasil a reçu mille condamnations pour défaut d’accueil cette année, après avoir laissé des demandeurs d’asile à la rue.

L’Etat belge a été condamné pour violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme par le Conseil du Contentieux des Etrangers pour avoir voulu expulser des demandeurs et demandeuses d’asile, sans examen de leur demande, vers des pays comme l’Erythrée ou le Soudan.

Au cours de la dernière décennie, la Belgique a fait l’objet d’une dizaine de condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme à l’occasion d’affaires introduites par des étrangers détenus en centre fermé [1]. Au-delà de ces condamnations, les droits fondamentaux dans les centres fermés sont souvent violés. On se rappellera l’émission télévisée qui a montré les détenus du centre fermé de Merksplas qui recevaient du pain moisi comme seule nourriture.

La Belgique a aussi été rappelée à l’ordre par le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies concernant la détention d’enfants.

Concernant ses obligations européennes et internationales en matière d’asile, la Belgique a aussi été un très mauvais élève. En 2019, il n’y a pas eu de relocalisations de réfugiés. Une relocalisation est le transfert d’un demandeur ou d’une demandeuse d’asile d’un État membre de l’UE à un autre. En 2019 toujours, le nombre de personnes réinstallées (transfert d’un.e réfugié.e en provenance d’un Etat tiers) a chuté de 70% par rapport à 2018.[2]

Et ce n’est pas le pire, nous avons eu un secrétaire d’Etat qui négociait avec le président du Soudan, poursuivi pour génocide devant la Cour pénale internationale. Des membres de son parti sont poursuivis pour avoir trafiqué des visas humanitaires vendus à plusieurs milliers d’euros.

Et la liste est loin d’être exhaustive.

Comment, après tous ces scandales, peut-on affirmer vouloir poursuivre cette voie ?

Il est pour le moins contradictoire de prétendre accorder une importance primordiale aux droits humains et poursuivre la politique migratoire menée jusqu’ici.

Pour garantir le respect des droits humains proclamé par l’accord de gouvernement, le nouveau Secrétaire d’Etat Sammy Mahdi devra pratiquer la rupture avec ses prédécesseurs.

Une politique migratoire humaine sera celle qui mettra tout en oeuvre pour que l’Etat belge cesse enfin d’être condamné pour ses violations des droits humains.

[1] – MUSKHADZHIYEVA (2010), concernant la détention d’une famille tchétchène au centre 127bis

– M.S.S. (2011), concernant le renvoi Dublin d’un Afghan vers la Grèce

– KANAGARATNAM ET MUBILANZILA MAYEKA ET KANIKI et AUTRES (2011), concernant des Sri Lankais que la Belgique voulait refouler vers le Congo

– YOH-EKALE MWANJE (2011), concernant l’expulsion vers le Cameroun d’une femme séropositive

– M.S. (2012), concernant l’expulsion d’un irakien

– SINGH (2012), concernant l’expulsion d’une famille Sikh d’Afghanistan

– FIROZ MUNEER (2013), concernant l’absence de recours effectif contre la détention

– M.D (2013), concernant la détention en centre fermé

– S.J. (2014), concernant l’expulsion d’une nigériane atteinte du VIH

– V.M. (2015), concernant une famille serbe laissée à la rue, dont l’enfant handicapé est décédé à leur retour en Serbie

– PAPOSHVILI (2016), concernant l’expulsion d’un géorgien atteint de leucémie

– MAKDOUDI (2020) concernant l’expulsion d’un tunisien qui avait un bébé en Belgique

[2] Myria, Protection internationale, rapport 2020, page 2

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