Alain Van Hiel © Maroesjka Lavigne

« Nous sommes tous racistes, et les allochtones davantage que les autochtones »

Au plus profond de nous, nous sommes tous racistes, estime le psychologue Alain Van Hiel qui publie le livre « Iedereen racist » (Tous racistes). Selon lui, que nous le voulions ou non, nous pratiquons tous la discrimination.

« L’intolérance et le racisme ont toujours existé et existeront toujours. Les gens qui disent que, même inconsciemment, ils n’éprouvent pas d’émotions négatives à l’égard d’autres groupes se leurrent. Il est certain que cohabiter avec des personnes d’autres cultures n’est pas évident », estime Van Hiel

Van Hiel aime citer l’exemple de la réalisatrice néerlandaise Sunny Bergman. Dans le cadre de son documentaire intitulé Zwart als roet, Bergman a demandé à trois hommes de couleur de peau différente de scier l’antivol d’un vélo dans un parc. L’homme blanc n’a pas été dérangé et a même été aidé par des employés de la commune alors que son congénère noir a immédiatement été interpellé. « C’est un comportement automatique », assure Van Hiel. « Nous interprétons le même acte différemment en fonction de la couleur de peau ».

Depuis quelques années, on assiste à une recrudescence du débat sur le racisme. Le racisme est-il de retour ?

Alain Van Hiel : Non, c’est le racisme grossier et explicite qui a fort diminué. Il est de plus en plus rare que quelqu’un crie « macaque » ou « sale nègre » à une personne d’une autre couleur. Dans notre pays, on est de moins en moins tolérants vis-à-vis de ce genre d’insultes. Les politiques qui faisaient des déclarations racistes ont perdu beaucoup de plumes. Cependant, cela ne signifie pas que la société soit devenue moins raciste, c’est la forme d’expression qui est différente.

Qu’est-ce qui a changé?

C’est un glissement. Nous avons désappris à utiliser un langage grossier. On ne dit plus : « Je déteste les étrangers. » On préfère dire : « En fait, je n’éprouve pas beaucoup de sympathie pour les allochtones ». Le ton est différent, mais cela signifie exactement la même chose.

Vous faites la distinction entre le racisme grossier et inavoué.

Ce racisme inavoué est souvent inconscient. L’expérience de Sunny Bergman en est un exemple. L’épreuve classique consiste en un test où il faut associer des noms comme Jean et Mohammed avec des notions comme « sympathique ». Dans ce genre de tests, on remarque qu’on hésite plus longtemps à associer Mohammed à des qualités positives que Jean. Cela va très loin. Une étude américaine révèle même que les Afro-Américains associent plus rapidement un blanc à des qualités positives qu’un noir, alors qu’ils indiquent préférer fréquenter des noirs que des blancs.

Peut-on se débarrasser de ces réflexes ?

On peut s’entraîner, de sorte qu’on apprenne aussi à associer Mohammed aux caractéristiques positives, mais s’en débarrasser complètement me paraît difficile. Quand on monte dans le tram, et qu’on n’a qu’une seconde pour choisir une place, on s’assied souvent à côté d’une personne qui appartient à son groupe. La plupart des gens le font même sans réfléchir. Il en va d’ailleurs de même dans l’autre sens aussi.

Vous écrivez même que les allochtones sont plus racistes que les autochtones.

En effet. Et il y a plusieurs raisons. D’abord et avant tout, les liens mutuels dans les communautés de migrants sont beaucoup plus étroits. Si vous sentez que votre groupe occupe une position inférieure dans la société, vous aurez beaucoup plus tendance à vous démarquer du groupe dominant. Et puis il y a des différences culturelles : beaucoup de migrants viennent de sociétés moins politiquement correctes et où il est plus facile d’exprimer ses préjugés. Dans beaucoup de pays arabes, il est tout à fait normal de dire que tous les juifs sont mauvais. Quand les migrants de ces pays viennent ici, ils conservent ces attitudes et les transmettent aux générations suivantes.

À présent que l’aéroport de Bruxelles est rouvert, la police a le droit de sélectionner les personnes à l’air suspect pour les contrôler. Estimez-vous que cette forme de profiling racial est du racisme ?

C’est plutôt de la discrimination, car vous faites la distinction en fonction du groupe de population dont quelqu’un est issu. Dans le travail quotidien de la police, le racial profiling est inintelligent, mais dans le cas de l’aéroport c’est pour le moins compréhensible.

En Yougoslavie, au Rwanda et au Soudan, la discrimination a entraîné des conflits sanglants. Estimez-vous qu’un tel scénario soit possible en Belgique ?

Je ne vois pas pourquoi cela ne pourrait pas arriver ici. Si toutes les conditions préalables sont remplies, un conflit peut dégénérer. L’exemple de la Yougoslavie est particulièrement frappant. C’était un pays assez tranquille, il n’était pas impliqué dans les conflits internationaux, et on ne voyait presque pas de tensions entre les groupes de population. Il serait orgueilleux de prétendre qu’une guerre ne pourrait pas avoir lieu.

On entend de plus en plus que la société multiculturelle est un échec ?

Je trouve bizarre que des politiques disent ça. Surtout parce que la réussite ou l’échec dépendent de leurs décisions. Il leur manque un besoin d’agir. Beaucoup de politiques de gauche ont été naïfs trop longtemps, mais l’intégration ne se fait pas toute seule. Si vous pensez que vous pouvez rassembler des gens de différentes cultures et qu’ils s’entendront, vous n’avez pas compris le fonctionnement de la psychologie sociale. Ceux qui prétendent aujourd’hui que le vivre ensemble est évident ne regardent pas la réalité.

Une meilleure politique aurait-elle pu changer la situation ou les problèmes d’aujourd’hui sont-ils inévitables ?

Nous aurions pu faire mieux. Les responsables politiques ne sont pas impuissants. Mais la Wallonie n’a commencé l’intégration de primo-arrivants que cette année. C’est inimaginable, non ? Nous sommes en 2016.

Croyez-vous au retour du Vlaams Belang?

C’est certainement possible. Pour cela, il ne doit pas redevenir plus raciste: il y a d’autres raisons pour lesquelles les gens veulent voter pour ce parti. Si le flux de migration reste aussi important, je peux m’imaginer qu’un parti qui lutte là-contre obtient de bons résultats aux élections. Il n’y a pas que les racistes qui s’interrogent sur les vagues de migration.

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