Jonathan Piron

Nous n’avons pas besoin d’un plan de relance mais d’un plan de sortie

Jonathan Piron ETOPIA - Conseiller à la prospective

Le pic de l’épidémie de coronavirus n’a peut-être pas encore été atteint en Belgique que, déjà, les débats s’engagent sur la situation économique et son futur quand nous pourrons sortir de notre confinement. D’un peu partout montent les idées autour de la nécessité de  » plans de relance « , dans une société  » qui doit faire face à la récession « .

Au même moment, la crise sociale semble prendre de l’ampleur. Les pressions se font chaque jour de plus en plus fortes sur le personnel toujours au travail, essentiellement des femmes dans des métiers exposés, sous-payés. « Des sacrifices seront nécessaires » pourrait être d’ailleurs la prochaine phrase qui s’imposera dans les débats publics. Le « retour à la normale » l’imposera.

S’engager dans cette rhétorique d’un plan de relance pour revenir à la normale, et de tout ce qu’il sous-entend, reviendrait à dire que nous n’avons rien compris à ce qui nous arrive aujourd’hui.

Pour mieux comprendre pourquoi, revenons d’abord sur les causes de la pire crise sanitaire que vit l’humanité depuis un siècle.

La crise du coronavirus ne trouve pas son origine dans un comportement individuel punissable mais dans le fonctionnement d’une structure globale qui démontre à la fois sa grande fragilité et sa grande déconnexion des conséquences de ses actes. Il semble aujourd’hui établi que la destruction de la biodiversité crée les conditions pour que de nouveaux virus et maladies tels que Covid-19 se répandent. Les épidémies ayant pour origine une transmission de l’animal à l’homme sont en pleine croissance depuis ces trente dernières années. La mondialisation et la société de croissance contribuent à cette dégradation de nos espaces naturels. Les forêts tropicales reculent sous le poids des exploitations minières ou forestières. Le covid-19 trouve ainsi une de ses origines dans la perturbation profonde des écosystèmes pour des motifs d’accaparement et de commercialisation poussées de ses ressources. La détérioration de notre environnement renforce, en outre, la propagation des virus et autres infections. Le virus semble ainsi trouver un autre terrain favorable via l’air pollué, qui aide à sa diffusion. Si la crise actuelle n’a que peu de choses à avoir avec la crise climatique, elle est cependant connectée avec la manière dont nous considérons notre environnement et accélérons sa détérioration.

Ce n’est cependant qu’un élément. De l’autre côté, notre rapport à l’économique contribue à fragiliser notre système social, nous rendant au final particulièrement vulnérable face aux pandémies. Les coupes à l’égard des soins de santé, qui n’ont guère cessé tout au long de ces dernières décennies, démontrent aujourd’hui tous leurs effets néfastes. D’après Benoît Hallet, directeur général adjoint l’Unessa, en cinq ans, ce sont 1,2 milliards d’économies qui ont été imposés dans le secteur hospitalier. Sans compter les autres mesures qui ont progressivement amené la délocalisation des unités de productions de nécessaires à la lutte contre de tels virus, tels les masques. La volonté de notre système de faire des profits à tout prix et de produire à tout-va nous amène, au final, à nous exposer aux déstabilisations environnementales et sociales que le coronavirus révèle.

Le XXIème siècle en est, en fait, à sa troisième crise globale. La première est celle liée au 11 septembre 2001. La deuxième à la crise financière de 2008. La troisième vient de commencer. Tous les 10 ans, un nouveau choc apparaît. Ce n’est pas prendre beaucoup de risques que d’affirmer que la suivante devrait arriver à la fin de la décennie et sera celle du choc environnemental. À chaque crise, c’est notre sécurité qui est mis à mal : physique, financière et maintenant sanitaire. À chaque crise, c’est le recul des droits et des libertés qui se sera finalement imposé. Si le succès avait été là, nous pourrions penser que ces contraintes ont du sens. Mais l’analyse raisonnée nous prouve le contraire : les causes de 2001 et de 2008 n’ont pas disparu.

Le principal problème de nos sociétés est le suivant : la critique et l’action restent largement prisonnières du mode de pensée qui fait de l’économie la seule valeur valable du monde. Le débat sur les changements profonds à apporter est régulièrement évacué au nom d’un retour à la normale à atteindre le plus vite possible. Or, c’est ce fonctionnement anormal du monde qui pose problème. Certes, quelques nouvelles normes sont ajoutées. Mais ces dernières ne sont, en général, que des mesures adoucies et peu contraignantes jouant le rôle de faire-valoir pour un système qui cherche surtout à se re-légitimer.

Il ne s’agit pas ici à s’engager dans des « polémiques stériles », ce qui revient à empêcher le débat. Si, bien entendu, il est important de ne pas sombrer dans le populisme, il est cependant fondamental de s’interroger sur ce qui est bon ou mauvais pour notre société et notre devenir. Dans ce cadre, peut-être avons-nous, en fait, oublié le vrai sens de la liberté. Notre société, notre culture, nos modes de fonctionnement quotidien nous amènent à penser que la liberté signifie pouvoir faire ce que l’on veut, comme on veut, quand on veut. Que l’argent et son accumulation nous permettent encore plus d’accès à ces libertés et que l’étalement de ce capital économique soit le signe ultime de la réussite sociale. Nous avons laissé l’économique prendre le dessus sur le fonctionnement de notre système politique, social, culturel. Et nous avons laissé les contraintes s’organiser en fonction de ce seul postulat économique. Nous avons laissé de côté ce que signifie réellement le sens de liberté et donc des conditions de cette liberté. Nous contraignons aujourd’hui les plus précaires à travailler, ceux-là qui précisément font déjà l’objet, en « temps normal » de contraintes sur leur sécurité financière. Et certains pensent déjà aujourd’hui à contraindre encore plus le social pour aider au retour à la normale après la crise. La proposition de supprimer les congés d’été est le discours de la contrainte sociale, oubliant que pour une majorité de personne le confinement n’est en rien une période de congé. Nous avons abandonné l’État aux lois du marché. Le bien commun a été ainsi complètement privatisé.

Face à cette crise, deux options semblent finalement s’imposer dans les consciences : celle d’un retour à la normale qui ne fait que prolonger la crise dans laquelle nous sommes, en dépit du bon sens. Vouloir la relance de l’économie alors sa structure même est défaillante est une aberration. Une nouvelle stratégie du choc ne ferait qu’accélérer la venue de la prochaine crise tout en laissant une grande majorité des membres de notre société sur le côté. L’homo oeconomicus n’est plus un horizon ensoleillé.

L’autre solution proposée est celle du retour à l’État fort, autoritaire. Cette idée représente tout autant un danger. Couplé à la tentation populiste, il supprime les libertés tout en ayant besoin d’un bouc-émissaire pour exister. Déjà l’oeuvre dans la Hongrie d’Orban, ce scénario ne peut que nous emmener vers la destruction de nos droits et de nos solidarités.

Il nous faut donc un troisième scénario. Celui-ci pourrait s’articuler autour de trois pistes simples et claires.

La première, déjà acceptée par de nombreux acteurs, est celle de la relocalisation de notre économie et de notre production. Circuits-courts alimentaires et économiques, indépendance énergétique, etc. Cet axe est celui de l’autonomie qui nous libère des dépendances problématiques.

La deuxième piste est celle qui intègre les enjeux futurs à la transformation de notre économie. Le danger des dérèglements climatiques est toujours là. Le risque est d’autant plus fort de sombrer dans des « années folles » qui accéléreront les dérèglements par une ivresse de la consommation. Il faut continuer à nous engager vers la société sans carbone et contraindre les grands acteurs polluants à y participer pour atténuer les chocs à venir. Cette piste est celle la résilience.

La troisième est peut-être la plus compliquée car elle nécessite un changement mental. Elle est cependant essentielle. Il s’agit de remettre l’économie à sa juste place et la soumettre aux besoins de l’homme. L’État social-écologique doit être ce nouvel acteur à créer qui renouvelle les conditions de la liberté, avec une vision plus juste sur la redistribution et la protection des plus faibles. Écologie et social sont désormais liés. Cet État social-écologique est également celui qui se dote de nouveaux outils pour assurer cette plus juste redistribution : terminé la référence à la croissance, qui d’ailleurs n’existe plus. De nouveaux indicateurs sont à promouvoir, centrés sur le bien-être de chacun. Terminé la promotion d’un État gestionnaire qui confie la définition du bien commun aux seuls intérêts privés. Il est temps de transformer le marché, de taxer les responsables, de sortir de la destruction des ressources et de faire émerger la capacité d’action des citoyens via de nouvelles formes de solidarités. Ce pilier est celui de la solidarité. Autonomie, résilience, solidarité. Ces trois piliers doivent devenir les matrices de cette société de l’après dont le besoin se fait aujourd’hui puissamment ressentir.

Nous n’avons pas besoin d’un plan de relance mais d’un plan de sortie d’un système qui se trompe de cible. Il ne s’agit plus de soumettre l’humain à l’économique mais l’inverse. Nous ne pouvons plus laisser personne au bord de la route, ni maintenant ni dans le futur. La transformation nécessaire n’est donc pas seulement une répartition plus équitable de la richesse et des produits mais une transformation plus profonde sur le sens même de nos conditions d’existence. Chaque crise est une opportunité à saisir. Celle qui nous frappe est une chance unique à ne pas laisser s’échapper.

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