Hendrik Vos

Nous, les Flamands

L’ACCORD SUR BRUXELLES-HAL- VILVORDE a fait la Une de tous les journaux flamands. Mais, déjà le jour même, tout le monde s’est demandé si ce compromis apporterait des changements dans la vie des Flamands. Il est bien triste d’aboutir à cette conclusion après plus d’une année de négociations.

Hendrik Vos, Directeur du Centre d’études européennes de l’université de Gand

Par chance, un autre sujet a chassé immédiatement BHV des headlines : le nouveau parcours du Tour de Flandre. Pour la première fois, de mémoire d’homme, les coureurs ne graviront plus le mur de Grammont. Le trajet en ligne directe vers Meerbeke cède la place, en fin de course, à trois petits tours autour d’Audenarde. Cela a suffi à mettre en émoi l’opinion publique flamande tout entière. Tous les journaux ont organisé des sondages sur le sujet auprès de leurs lecteurs. Les télévisions ont sacrifié à leur genre favori, l’appel à la vox populi, en demandant à l’homme de la rue de donner son opinion. Des journalistes assiégeaient le mur de Grammont et poussaient un micro sous le nez de chaque cyclotouriste qui passait par là.

Tout un chacun a donné son avis sur la question, qui prenait des allures d’affaire d’Etat. Non seulement les commentateurs sportifs, mais aussi des universitaires et des ministres se sont immiscés dans le débat. Le Flamand moyen s’est exprimé clairement et avec sévérité : le choix des organisateurs fut presque unanimement condamné. Chaque sondage livrait le même résultat : le Mur ne peut être supprimé du parcours et l’arrivée doit être maintenue à Meerbeke. On ne touche pas à la tradition du Ronde van Vlaanderen, fut la conclusion générale.

Evidemment, la décision des organisateurs est surtout une question d’argent. Davantage de tentes pour les VIP et de facilités pour les hommes d’affaires font sonner les tiroirs-caisses. Mais cela ne devrait pas poser problème sur le plan purement sportif. Le spectacle et le drame peuvent parfaitement se valoir tant à Meerbeke qu’à Audenarde. Et, soyons sincères, Audenarde est une commune plus jolie que Meerbeke, où l’arrivée avait lieu sur une de ces chaussées assez disgracieuses, à habitat linéaire, typiquement flamandes. Le mur de Grammont n’est plus au programme, mais les coureurs auront le même taux d’acide lactique dans les jambes et leurs yeux seront également noyés de larmes quand ils attaqueront les dernières côtes. Le fait que trois tours soient prévus autour d’Audenarde ne transforme pas pour autant le Ronde en une course de kermesse. Celui qui regarde les choses avec quelque lucidité doit reconnaître que la volonté des organisateurs de rompre avec la tradition se fonde sur des arguments valables.

Mais cela n’empêche pas que le changement du parcours n’est guère accepté. Il se peut que les Flamands soient davantage portés par la nostalgie. Pour eux, le Ronde est un événement très particulier. Tous les journaux et news lui ouvrent leurs colonnes, y compris les magazines féminins, les austères journaux boursiers, les feuilles des mutuelles et les bulletins paroissiaux. Il n’y a pas que des hommes obèses et usés qui suivent le déroulement de l’épreuve dans les cafés des supporters. Là où passe le Ronde, tout le monde est dans la rue. Des vieillards guidés par leurs petits trotteurs, des mamans avec leurs bébés sur le bras, des bouchers, des avocats, des professeurs d’université, des coiffeurs…

Le jour du Ronde, il y a comme un sentiment collectif très fort qui se rend maître de la Flandre : nous, les Flamands. Ce « nous » ratisse beaucoup plus large que le « nous » des électeurs de la N-VA et de ses partisans. Et, bien sûr, la joie atteint son paroxysme si le vainqueur est flamand. Ou Philippe Gilbert. Ce serait bon aussi. Heureusement !


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