© Belga

Notre grande enquête fiscale : non, le Belge ne veut pas aller chercher l’argent chez les riches

Estimons-nous que notre régime fiscal est équitable ? Nos impôts sont-ils trop élevés ? L’évasion et la fraude fiscales sont-elles acceptables ? La VUB et Knack ont étudié la morale fiscale des Belges, et l’expert fiscal Michel Maus aboutit à des conclusions remarquables : « Les Belges sont plus intéressés par des impôts justes que par des impôts moins élevés ».

« En ce monde, rien n’est certain, à part la mort et les impôts », aurait dit l’homme d’état américain et physicien, Benjamin Franklin au 18e siècle. Pendant que les Belges se penchent sur leurs impôts, les politiciens essaient de faire fonctionner les gouvernements régionaux et fédéral. Et là, il est intéressant de voir ce qu’il adviendra des impôts. Y en aura-t-il de nouveaux, quelles seront les taxes supplémentaires, et quelles réductions d’impôt seront accordées ? Et y aura-t-il enfin une simplification de l’impôt sur le revenu ?

La Vrije Universiteit Brussel (VUB) et Knack ont décidé de mener une enquête sur « la morale fiscale des Belges ». Pensez-vous que le régime fiscal est équitable ? Qu’en est-il des taux de TVA, des droits de succession et d’enregistrement, par exemple ? Et que pensez-vous de l’évasion fiscale ? Voici un aperçu des résultats les plus remarquables à l’aide de trois grandes questions.

1. Notre système fiscal est-il juste ?

La question d’ouverture était la suivante : « Trouvez-vous l’ensemble des impôts en Belgique équitable? » Près de deux Belges sur trois considèrent notre système fiscal comme injuste. « C’est beaucoup », dit Michel Maus (VUB), fiscaliste, « je ne m’y attendais pas ». Un quart des Belges pensent même que le système est « très injuste ». Il est frappant de constater que ce sont surtout les francophones, les personnes âgées de plus de 55 ans et les gens de la classe moyenne inférieure qui sont de cet avis.

Seul un peu plus d’un répondant sur dix estime que le régime fiscal est équitable, et 2 % le considèrent comme  » très équitable « . Il y a remarquablement plus de jeunes de 21 à 34 ans ici – ils sont généralement diplômés du supérieur, indépendants ou actifs dans le secteur public. Maus: « La différence entre les personnes âgées et les jeunes est particulièrement frappante : les personnes qui ont payé des impôts toute leur vie estiment que le système est injuste, alors que les jeunes qui remplissent leur déclaration d’impôts pour la première fois l’acceptent davantage ».

La question qu’il faut se poser est la suivante :  » Que doit faire le gouvernement pour rendre notre régime fiscal (encore) plus équitable ? Là aussi, les réponses sont remarquables. La moitié des Belges ne pensent pas que la charge fiscale globale devrait être réduite, mais que la charge fiscale devrait être répartie plus équitablement. « Un nombre raisonnable de personnes sont prêtes à payer des impôts », conclut Maus. « Si nous voulons maintenir notre État-providence à son niveau actuel, ce sera nécessaire. »

Un cinquième des Belges souhaitent une réduction globale de la charge fiscale. Parmi eux il y a nettement plus de jeunes de 21 à 34 ans, ainsi que des indépendants. Un quart des personnes interrogées souhaitent à la fois une réduction de la charge fiscale globale et une répartition plus équitable de celle-ci. Maus :  » C’est une observation frappante : les gens sont plus intéressés par des impôts plus justes que par des impôts moins élevés. »

Cela ne signifie pas pour autant que les Belges estiment que les taux d’imposition peuvent flamber. Cela ressort clairement des réponses à la question « Selon vous, quel est le pourcentage maximal d’impôt que le gouvernement peut prélever sur votre revenu annuel provenant d’un emploi, d’une pension ou d’indemnités? » Seulement 7% considèrent qu’un taux d’imposition sur le revenu de 50% ou plus est justifié. « C’est clair : nous pensons que céder la moitié de cette somme au fisc, c’est trop », déclare Maus.

Un Belge sur quatre estime qu’un taux d’imposition compris entre 30 et 49% est justifié, un sur trois entre 15 et 29% et un sur trois estime qu’il ne peut dépasser les 15%. Maus : « Deux Belges sur trois considèrent qu’un taux d’imposition inférieur à 30% est justifié. C’est très peu par rapport au taux que nous connaissons aujourd’hui. »

En Belgique, nous avons un système progressif d’impôt sur le revenu des personnes: les taux d’imposition augmentent par tranche de revenu. Pour la déclaration d’impôt que nous devons remplir ces jours-ci, c’est comme suit : sur les revenus entre 0 et 13.250 euros, on paie 25% d’impôt, entre 13.250,01 et 23.390 euros 40%, entre 23.390,01 et 40.480 45%, et sur tout revenu supérieur à 40.480,01, vous versez la moitié au fisc. Pour être très clair : les taxes sont calculées par tranche. Par exemple, si vous avez 25 000 euros de revenu, vous payez 25 % d’impôt sur le montant de la première tranche, 40 % sur le montant de la deuxième tranche et 45 % sur le montant restant dans la troisième tranche.

Maus : « Notre enquête révèle que les Belges considèrent qu’un taux d’imposition moyen de 22% est justifié. Une étude de l’OCDE, le club des pays industrialisés riches, révèle qu’une personne célibataire sans enfants en Belgique paie 40% d’impôt sur le revenu des personnes plus les cotisations salariales sur son salaire brut. Pour un employé avec deux enfants, cela représente 20 %. Soit dit en passant, la moyenne dans les pays de l’OCDE pour les deux cas est de 25,5% et 14% respectivement. On peut donc dire que nos taux d’imposition sont tout à fait conformes à ce que les personnes interrogées considèrent comme justifié, mais que le pourcentage belge est nettement supérieur à la moyenne de l’OCDE ».

Les employeurs paient également une cotisation de sécurité sociale. Si l’on ajoute cela à l’impôt sur le revenu des particuliers et aux cotisations des employés, la pression fiscale totale sur le revenu du travail est beaucoup plus lourde. Selon l’OCDE, la charge fiscale totale pour une personne célibataire est de 53 %, c’est-à-dire que sur les 100 euros que vous gagnez en tant que salarié dans notre pays, il vous reste encore 47 euros après avoir payé les cotisations et les impôts en tant que célibataire. Pour une famille avec deux enfants et un revenu, la charge fiscale est de 38%. En matière de pression fiscale, nous sommes champions toutes catégories.

On dit depuis des années qu’il faut réduire la pression fiscale sur le travail. Le tax shift du gouvernement Michel a agi sur ce plan: les cotisations patronales ont été fort réduites. L’intention était d’en faire une opération budgétairement neutre et que la réduction de la charge fiscale ne conduise pas à un déficit dans le budget. Du coup, on a instauré des taxes plus élevées sur la pollution, la consommation et la fortune, mais elles n’ont pas pu compenser entièrement la baisse des revenus due au tax shift, comme cela s’est avéré par la suite.

C’est pourquoi nous avons également posé la question suivante : « Si la pression fiscale sur le travail est réduite, comment le gouvernement devrait-il compenser ces recettes inférieures? » Deux Belges sur trois déclarent que la fraude fiscale est une priorité. Il est frappant que ce soient surtout les plus de 55 ans qui sont de cet avis. La moitié des Belges sont favorables à plus d’économies sur les dépenses publiques ou à des impôts plus élevés pour les entreprises. Ici aussi, ce sont surtout les plus de 55 ans qui veulent profiter de cette opportunité. À noter que le gouvernement Michel a réduit l’impôt sur les sociétés de 34 % à 25 % (à partir de 2020) afin de l’aligner davantage sur le reste de l’Europe.

Il est particulièrement intéressant de noter que « seulement » une personne interrogée sur trois parle d’impôts plus élevés sur la fortune, comme le capital et les biens immobiliers. Manifestement, les Belges ne veulent pas vraiment du slogan « Prenez l’argent aux riches ». Et seulement une personne sur dix pense qu’il faut instaurer de nouveaux impôts écologiques, tels qu’une taxe sur le CO2. Manifestement, les Belges ne sont pas très enthousiastes à l’idée de payer plus de taxes écologiques.

2. Qu’en est-il des tarifs fiscaux ?

Une autre option consisterait à augmenter les taux de TVA, c’est-à-dire d’augmenter les taxes sur la consommation. Seuls 3% des Belges sont séduits par cette idée. Le taux général de TVA dans notre pays est de 21%, mais pour certains biens et services, il a été baissé à 12% : sur les logements sociaux par exemple ou à 6%, pour un certain nombre de produits vitaux tels que la nourriture et les médicaments, et pour le transport de personnes. De temps en temps, on discute de l’ajustement des taux de TVA, parce que c’est une forme d’imposition facile à percevoir. Il s’agit également d’une taxe presque silencieuse : les consommateurs ne se rendent souvent pas compte du montant de la TVA qu’ils paient. Les syndicats ne veulent pas entendre parler d’une augmentation de la TVA parce qu’elle affecte le pouvoir d’achat.

La question est donc de savoir ce qu’il adviendra du taux général de TVA de 21%. Les trois quarts des personnes interrogées estiment que le taux général de TVA devrait être abaissé. Ce sont surtout les femmes et les responsables du ménage qui plaident en ce sens, peut-être parce qu’ils sont les plus confrontés au coût des achats du quotidien. Huit Belges sur dix souhaitent davantage de biens et de services à un taux de TVA réduit de 12 ou 6%. « Ici, on voit revenir toute la discussion sur les taux de TVA sur l’électricité et les autres besoins de base », dit Maus. « Les gens pensent qu’ils ne devraient pas avoir à payer 21% de TVA. »

Dans la plupart des pays de l’Union européenne, le taux général de TVA est d’environ 21%, comme c’est le cas en Belgique et aux Pays-Bas. En France, il est de 20%, en Allemagne de 19% et au Luxembourg, avec 17%, il est le plus bas de toute l’UE. En Belgique, nous disposons de nombreuses exonérations et de taux réduits par rapport à d’autres pays européens. On ne sait pas toujours pourquoi. Pourquoi, par exemple, le beurre est-il taxé à 6% et la margarine à 12% ? Il y a quelques années, lors d’une audition devant l’Assemblée, Bert Brys, expert fiscal à l’OCDE, déclarait : « En Belgique, seulement 48% de la consommation est taxée, donc plus de la moitié échappe d’une manière ou d’une autre à l’impôt. On pourrait dire que le taux effectif de TVA n’est pas de 21%, mais de 10% en raison des nombreuses exonérations et des taux réduits ».

Depuis quelques années, des voix s’élèvent en faveur d’un système de TVA plus efficace, par exemple en intégrant les nombreuses exceptions, en fusionnant les taux réduits de 6% et 12%, ou même en réduisant tout à un taux de TVA unique, comme cela a été le cas en Nouvelle-Zélande. On en a discuté lors de la formation du gouvernement Michel, mais en fin de compte, il ne s’est pas concrétisé. Reste à voir si le nouveau gouvernement les mettra en oeuvre.

Il est frappant que la moitié des Belges soient favorables à un taux de TVA plus élevé sur les produits de luxe. Les francophones et les personnes âgées de 65 ans et plus en particulier pensent que c’est une bonne idée, alors que les Flamands et les personnes âgées de 35 à 54 ans y sont moins favorables. En Europe, il n’y a plus de taux plus élevé sur les produits de luxe. Dans les années 1980, il existait encore – dans notre pays, il y avait un « impôt sur la fortune » de « 25% plus 8% » (soit 33 %) sur les voitures, bijoux et autres produits de luxe coûteux. Cette mesure a été supprimée avec la réforme de la TVA de 1992. Il faut toutefois signaler que la réduction de la TVA plus élevée sur les voitures de luxe a été compensée par l’introduction en 1992 par la taxe de mise en circulation, une taxe que l’on paie à l’achat d’une voiture. On le voit souvent dans notre pays : une réduction d’impôt est compensée par une autre augmentation d’impôt.

Et que faut-il faire de l’impôt sur les droits de succession? Si nous héritons, nous devons payer des droits de succession. Le principe est simple : plus le montant des biens dont vous héritez est élevé, plus vous devez payer de droits de succession. Et plus vous êtes proche de la personne décédée, moins vous devez payer d’impôts. Mais les choses se compliquent parce que les droits de succession dans notre pays varient d’une région à l’autre. L’application des législations flamande, bruxelloise ou wallonne dépend de la résidence fiscale du défunt au moment de son décès.

L’enquête révèle que 90% des Belges souhaitent la suppression totale ou partielle des droits de succession. Cinq sur dix souhaitent abolir l’impôt sur les successions en ligne droite, tandis que quatre sur dix souhaitent l’abolition totale de l’impôt sur les successions. Maus : « L’impôt sur les successions était autrefois considéré comme l’un des impôts les plus redistributifs, mais aujourd’hui comme l’un des plus injustes. Il est également facile d’y échapper, par exemple en faisant un don si c’est plus de trois ans avant le décès ».

Maus souligne également que dans 10 des 28 pays de l’UE (Autriche, Chypre, République tchèque, Estonie, Lituanie, Malte, Portugal, Roumanie, Slovaquie et Suède) les droits de succession ont été abolis. « Et d’autres pays ont souvent des exemptions importantes pour les épouses et les enfants », dit Maus. « En Allemagne, par exemple, le conjoint bénéficie d’une exonération de 500.000 euros et les enfants de 400.000 euros, aux Pays-Bas de 636.180 euros et 20.148 euros respectivement, en France le partenaire est totalement exonéré et les enfants à 100.000 euros. En Belgique, le partenaire bénéficie d’une exonération de 50.000 euros, pour les enfants il n’y a pas d’exonération. »

Une autre taxe qui fait souvent l’objet de discussions est le droit d’enregistrement que l’on paie à l’achat d’une habitation. Que faut-il faire des droits d’enregistrement? La moitié des Belges pensent que les droits d’enregistrement sur l’achat de leur propre logement devraient être supprimés, un Belge sur quatre estime que tous les droits d’enregistrement devraient disparaître.

3. Que pensons-nous de la fraude et l’évasion fiscales?

Nous avons également demandé : « Dans quelle mesure trouvez-vous acceptable l’évasion fiscale ou la fraude fiscale, qui consiste à éviter illégalement de payer des impôts? » Une nette majorité, 8 Belges sur 10, rejette la fraude fiscale. Cette conviction est très prononcée chez les plus de 55 ans et les personnes issues d’une classe sociale élevée. 5% considèrent la fraude fiscale comme acceptable. Ici, on trouve plus de jeunes âgés de 21 et 34 ans, des travailleurs autonomes et des fonctionnaires. Il y a dix ans, nous aurions vu des chiffres différents « , dit Maus. « La tolérance à l’égard de la fraude fiscale diminue. De plus en plus de gens pensent que tout le monde doit payer sa juste part d’impôts, et ils accordent de plus en plus d’importance à la lutte contre la fraude fiscale. »

La dernière question de notre enquête était « Qu’est-ce qui contribue à la fraude fiscale ? ». 60% des Belges répondent « cupidité », suivi de « sanctions légères » (56%) et de « faible probabilité d’être pris » (55%). Viennent ensuite la pression fiscale élevée (51 %), la répartition inégale de la pression fiscale (46 %), la concurrence déloyale (40 %) et la nécessité économique ou financière (28 %). Ce n’est donc pas tant la charge fiscale ou l’iniquité du fisc qui sont à l’origine de la fraude fiscale, mais plutôt le besoin humain de vouloir toujours plus. L’homme politique indien Mahatma Gandhi (1869-1948) le disait déjà : « Il y a bien assez sur cette terre pour les besoins de tous, mais pas assez pour l’ambition de chacun. »

L’enquête sur la moralité fiscale des Belges a été réalisée en avril 2019 par le bureau de recherche Kantar pour le compte de la VUB auprès de 1011 Belges, contribuables âgés de 21 ans et plus.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire