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Nominations politiques et soif de pouvoir des partis: le casse-tête de Charles Michel

Muriel Lefevre

Les nominations politiques, fruit d’âpres tractations, font souvent polémiques. La nomination de Steven Vanackere (CD&V) au poste d’administrateur à la Banque Nationale n’a pas fait exception à la règle. Du coup on est en droit de se demander pourquoi cette pratique, qui donne des migraines au Premier ministre, est encore de mise. Le point.

« L’aristocratie n’est pas morte, elle survit grâce à l’aide de certains politiciens », dit le politicien Carl Devos dans une opinion parue dans De Morgen. Il vise les nominations politiques qui restent florissantes en Belgique. La nomination de l’ancien ministre Vanackere à la Banque Nationale est, pour lui, particulièrement révélatrice de la politique du pouvoir dans notre pays. « Les partis au pouvoir ont de profonds tentacules dans le système politique belge. Ensemble, ils l’ont colonisé et se sont enfermés dans l’État. Ils sont l’État. Dans leur empire, les cartels colonisateurs gèrent les institutions politiques par des accords mutuels. Ils choisissent, chacun dans leur coin, leur homme, sans que personne ne s’en mêle. (…) Il arrive, mais rarement, que ces reliques d’une époque antérieure s’éloignent tellement de la décence contemporaine que certains n’arrivent plus à garder cela pour eux. Surtout à l’approche des élections. (…) On nous promet alors que celle-ci sera la dernière. Mais bien sûr ! », conclut-il, cynique.

Nominations politiques et soif de pouvoir des partis: le casse-tête de Charles Michel
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Un problème de mentalité

Wim Moesen, professeur émérite en finances publiques à la KU Leuven, pense lui aussi que ces nominations politiques ne s’arrêteront jamais. La Belgique manque pour lui d’un  » capital civil « , ou autrement dit d’un certain sens des responsabilités. « Le problème ne concerne d’ailleurs pas seulement les politiciens ». Ce serait une question de mentalité: « Nous faisons tous preuve d’une certaine irresponsabilité et tentons souvent de passer par la bande » dit Moesen, dans De Morgen. Une tare partagée par l’Allemagne et la France où il y a aussi de nombreuses nominations politiques. Sans parler des États-Unis qui est la nation par excellence de la nomination politique. Donald Trump a ainsi remplacé sans vergogne certains ambassadeurs et placé son candidat à la Cour suprême. « Les choses sont pourtant tout autres dans les sociétés où les citoyens partagent des valeurs basées sur le respect et la solidarité », explique-t-il. « Les pays scandinaves, par exemple, placent sur ces questions la barre très haut pour eux-mêmes, les autres citoyens et les décideurs politiques. Ils sont beaucoup moins tolérants envers le clientélisme. » Un rejet du clientélisme qui gagnerait pourtant en ampleur, et ce tant dans notre propre pays qu’à l’étranger, si l’on en croit les appels à la transparence et à des procédures objectives de plus en plus nombreux.

D’autant plus que ces nominations politiques plombent les fonctions que ces hommes et ces femmes occupent. « Des études ont montré une corrélation entre le nombre de politiciens dans la gestion des banques régionales et la performance de ces banques. Plus il y a de politiciens, moins c’est efficace », ajoute Lannoo toujours dans De Morgen. Si le système se maintient, c’est parce que les partis ont beaucoup à y gagner. De telles positions sont un symbole de pouvoir et leur permettent de récompenser de loyaux collaborateurs. « Les partis cherchent à assurer la continuité du pouvoir par le biais de nominations politiques. Ces postes s’inscrivent dans la durée, contrairement au pouvoir politique qui est lui souvent temporaire. » précise encore Lannoo. De quoi plomber sérieusement toute tentative sérieuse d’éradication du système.

Le casse-tête de Charles Michel

Un bel exemple de la pérennité de ce système est la nomination pour quatre postes de haut niveau qui se joue en ce moment. La situation est complexe et a tout du véritable casse-tête pour le Premier ministre. Les problèmes débutent à Bpost où « trois sièges d’administrateurs sont vides depuis plusieurs mois étant donné que le CD&V et la N-VA visent tous deux un siège dans cet important conseil d’administration » dit L’Echo. Personne ne cédant, tout est bloqué depuis. La seule solution pour sortir de cette crise est alors de trouver d’autres postes offrant une solution satisfaisante pour tout le monde. Problème, il faudra attendre qu’il y ait suffisamment de postes à offrir, quitte, si besoin , à geler certaines nominations. Dans certains cas, cette attente va pourtant se révéler problématique, des mandats vont en effet expirer sans que l’on nomme un remplaçant. Un de ces cas est les six mandats d’administrateurs à la SFPI (Société Fédérale de Participations et d’Investissement), le holding qui détient les participations de l’État et dont la gestion en affaires courantes pourrait se révéler catastrophique.

Charles Michel, Jan Jambon, et Alexander De Croo
Charles Michel, Jan Jambon, et Alexander De Croo © Belga

Quatre postes au coeur des convoitises

Seulement, voilà, la nomination de l’administrateur délégué de la SFPI est un morceau de choix dans le grand puzzle des nominations de Charles Michel. Avec un salaire annuel brut de 290.000 euros par an, ce poste serait une très belle prise pour les partis. Tout comme celui du vice-gouverneur à la Banque Nationale (BNB) (avec un salaire de 391.000 euros brut par an), du président pour la Commission de Régulation de l’Électricité et du Gaz (CREG) (250.000 euros) et du vice-président à la Banque européenne d’investissement (BEI) (276.000 euros). Un poste européen qui aurait dû, en principe, être pourvu il y a dix mois. Voilà quatre postes pour lesquels les partis au gouvernement risquent bien de se battre comme des chiffonniers.

À la SFPI, l’Open VLD plaide pour le renouvellement du mandat de Koen Van Loo, mais la N-VA souhaite placer son candidat. A la Banque européenne d’investissement intéresse particulièrement la N-VA qui souhaiterait y placer Philippe Muyters ou encore le ministre fédéral des Finances Johan Van Overtveldt. Problème : le MR a aussi son candidat pour ce prestigieux mandat de six ans qui est choisi en alternance avec les Pays-Bas. À la Banque Nationale, les trois partis flamands visent le poste de vice-gouverneur, une position stratégique qui ouvre généralement en grand vers le poste de gouverneur. Celle-ci devrait donc faire l’objet d’âpres discussions.

La présidence du CREG, acteur fort du secteur de l’énergie, est, elle aussi, fort disputée puisqu’elle intéresse presque tous les partis au pouvoir. Elle est convoitée par le MR qui pousse la candidature d’Anne Junion, chef de cabinet de la ministre de l’Énergie Marie-Christine Marghem, mais aussi la N-VA qui propose Francis De Meyere, le spécialiste en énergie de Jan Jambon, l’Open VLD qui souhaite lui Andreas Tirez et même le CD&V qui milite pour Sven Vaneycken, spécialiste en énergie du vice-Premier ministre CD&V Kris Peeters.

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Migraine et travail d’équilibriste

On l’aura compris, à ce jeu, et comme le veut l’adage, « choisir, c’est renoncer ». Et si, par exemple, le MR veut vraiment le CREG, il devra lâcher un autre poste de haut niveau. Or le Premier ministre craint qu’on lui reproche de nommer « trop de Flamands » à des postes internationaux. Et si la nomination de Steven Vanackere la semaine dernière signifie le probable démarrage du « puzzle de nominations » qui tenait en haleine les couloirs de la rue de la loi, il vient aussi rajouter une complication supplémentaire. Devant les nombreuses critiques des derniers jours, Charles Michel ne pourra en effet faire autrement que de nommer au minimum une femme.

Le Premier ministre va mener des entretiens bilatéraux à ce sujet avec les vice-Premiers au cours des prochains jours. Un véritable jeu d’équilibriste, car la valeur d’un poste varie en fonction des partis et que ceux-ci ne savent pas exactement quels postes sont réellement en jeu. Il se murmure donc qu’on pourrait chercher à élargir encore le cercle des nominations pour faciliter le compromis. « Quitte à anticiper certaines nominations. L’an prochain, une série de mandats importants viendront à échéance (SNCB et Electrabel par exemple), probablement après les élections. Ne serait-il pas possible de conclure dès à présent des accords à ce sujet? C’est une piste à laquelle on réfléchit », précise encore l’Echo.

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