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Noir- vert – rouge

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Les élections communales ont bouleversé le paysage politique : retour du Belang, fortes progressions d’Ecolo et du PTB… Ce vote à deux vitesses sanctionne les partis traditionnels. Le MR, renié par le PS, en paye le prix. Si cela se confirme en 2019, l’avenir du pays se complique.

Les électeurs ont esquissé un bouleversement politique majeur ce dimanche, singulièrement du côté francophone du pays. Ils ont lancé à la fois un appel à la responsabilité pour les générations futures (Ecolo) et un cri d’alarme sur le plan social (PTB). Leur vote est – aussi – un rejet sans concessions de la politique menée au fédéral et le souhait d’une meilleure gouvernance, sur fond de scandales.

Il s’agit d’une protestation mûrement réfléchie et raisonnée : les partis traditionnels perdent tous du terrain, même si le PS sauve davantage les meubles en formant des majorités progressistes partout où c’est possible. Résultat : c’est le MR qui apparaît comme le grand perdant de ces élections communales. Il ne profite pas d’une ligne sécuritaire et dure sur la crise des migrants. En Wallonie et à Bruxelles, le PP et les autres petites formations d’extrême droite n’en profitent pas, eux non plus. C’est en Flandre que cette actualité-là se manifeste, à la marge, avec le retour du Vlaams Belang qui grignote sur les autres formations du centre et de la droite.

Un autre résultat est probable à terme, si ces résultats se confirment lors des élections législatives et régionales du 26 mai 2019 : le pays promet d’être encore plus difficile à gouverner

Une vague verte, partout. Ecolo est « le » grand vainqueur des élections, comme l’a justement décrit sa coprésidente Zakia Khattabi. Contrairement à Défi qui ne perce pas comme attendu en Wallonie et stagne à Bruxelles. Les verts progressent parfois de plus de 10% à Bruxelles, montent aussi en Wallonie et se posent en faiseurs de rois – voire en rois, tout court. C’est le reflet d’un air du temps, d’une époque où le réchauffement climatique est devenu une réalité palpable dans les bulletins météo et où les cris d’alarme (du Giec, encore, récemment) sont pressants. Mais Ecolo profite aussi de son positionnement en matière de gouvernance (il a joué au plus radical, lors des scandales), voire de ses positions en faveur de l’accueil des migrants. Un jackpot multiforme.

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© Danny Gys/Reporters

Là où ils étaient au pouvoir, les écologistes confortent leur position ou se maintiennent. Ainsi en est-il d’Olivier Deleuze à Watermael-Boitsfort, de Julie Cantry (qui succède à Jean-Luc Roland) à Ottignies-Louvain-La-Neuve ou de Jean-Michel Javaux à Amay. Mais ils décrochent d’autres places fortes symboliques en Région bruxelloise – Ixelles (Christos Doulkeridis) et Forest (Stéphane Roberti) – et en Wallonie, à Floreffe (Albert Mabille), tout en rentrant dans de nombreuses majorités, dont la Ville de Bruxelles, Forest ou Tournai. De façon générale, Ecolo confirme son ancrage à gauche en privilégiant des majorités progressistes, même si cela ne l’empêche pas de gouverner avec le MR et le CDH quand cela se présente (Namur ou Forest).

Cette vague verte, qui se reproduit dans une moindre mesure en Flandre, est un signal important pour tous les politiques en termes de priorités. L’environnement doit être protégé, il y a urgence ! Même si ce n’est pas la première : Ecolo est un habitué du yo-yo électoral selon qu’il soit dans la majorité ou dans l’opposition.

Une colère ultra-rouge, surtout au Sud. Le porte-parole du PTB, Raoul Hedebouw, se félicitait dimanche soir d’avoir assuré l’ancrage local de la gauche radicale partout dans le pays. A juste titre. Même si les trois premiers élus à Gand ou dans d’autres villes flamandes ne sont pas comparables avec la forte progression dans les cités industrieuses de Wallonie et de Bruxelles (Charleroi , La Louvière, Liège, Molenbeek…) où il devient le deuxième ou le troisième parti. Le triomphe de la gauche de la gauche reste surtout une affaire francophone. C’est l’expression d’une forme de désespérance vécue au quotidien dans les quartiers paupérisés. Et le signal de protestation le plus clair à l’encontre de la politique menée par les gouvernements de centre-droit fédéral et wallon.

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© hatim kaghat pour le vif/l'ex press

Il reste à voir ce que va engendrer cette colère ultra-rouge. Catherine Moureaux, « fille de » Philippe Moreaux et grand vainqueur de l’élection à Molenbeek, a déjà tendu la main au PTB en vue de former une majorité. Une revanche face au MR. Et une façon de mettre à l’épreuve la capacité de ce parti à prendre ses responsabilités. En retour, la formation d’extrême gauche a exprimé son désir de prendre le temps pour négocier un programme de rupture. De tels tourments pourraient potentiellement avoir lieu à Charleroi ou Liège. Un tournant. En réalité, l’impact du PTB est fort depuis qu’il progresse dans les sondages : il induit une gauchisation du discours en Wallonie. Même si certains socialistes, comme le Bruxellois Rudi Vervoort, le taxent de « populisme ».

Les partis traditionnels bousculés, le MR sanctionné. Les partis traditionnels payent tous cette double progression gauche-verte en subissant une érosion manifeste. Avec des fortunes diverses.

Le PS se félicite de ne pas avoir subi autant que cela le poids des affaires : il préserve ses places fortes, y compris là où les scandales ont éclaté (Paul Magnette à Charleroi, mais surtout Willy Demeyer à Liège et Philippe Close à Bruxelles). Tout en imposant une nouvelle génération qui prend déjà sa revanche sur les libéraux : Catherine Moureaux renverse Françoise Schepmans à Bruxelles et Ahmed Laaouej, chef de groupe à la Chambre, bascule la dynastie Pivin à Koekelberg, tandis que Pierre-Yves Dermagne remplace François Bellot à Rochefort. Sans oublier ce tournant majeur dans l’histoire du parti : Nicolas Martin remplace Elio Di Rupo à Mons. Globalement, tout en perdant parfois sèchement, le PS réussit son changement de génération et impose des majorités progressistes partout où il le peut, comme son président l’avait annoncé. Même s’il perd !

Le CDH évite une déconvenue majeure grâce à la stratégie Lutgen. En ne maintenant que 24 listes labellisées CDH, son président avait construit à l’avance un discours médiatique lui permettant de mettre en avant les succès. Encore fallait-il les conquérir, ce qui a été le cas avec lui-même à Bastogne face à son frère, Maxime Prévot à Namur ou la belle histoire de Pierre Kompany, le père de Vincent, à Ganshoren. Mais le CDH s’effondre parfois lourdement, comme à Bruxelles ou à Liège.

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Quant au MR, son président Olivier Chastel affirme qu’il n’a pas été sanctionné de sa participation au pouvoir au fédéral ou en Wallonie. C’est vrai, il garde un nombre d’élus et de bourgmestres relativement stables. Pour autant, les libéraux prennent une série de claques qui laisseront des traces . A Bruxelles, ils perdent Ixelles (Dominique Defourny), Molenbeek (Françoise Schepmans) et Koekelberg (les Pivin). En Wallonie, ils ratent leur pari à Liège (Christine Defraigne), Tournai (Marie-Christine Marghem) ou Mons (même si Georges-Louis Bouchez y dépasse les 20%). Pour le parti de Charles Michel, une remise en cause s’impose pour éviter une désillusion majeure le 26 mai 2019.

Une Flandre à droite +. En guise de contraste avec la réalité francophone, et même si les situations sont forcément contrastées d’une commune à l’autre, la Flandre ne sanctionne pas la N-VA, sans pour autant lui donner un chèque en blanc. Bart De Wever, son président conserve sa place forte anversoise, tandis que les autres ministres (Jan Jambon, Theo Francken, Steven Vandeput, Zuhla Demir ou Geert Bourgeois) sortent renforcés. Là où la N-VA perd des plumes, le plus souvent, c’est le Vlaams Belang qui en profite. Le retour de l’extrême droite, qui avait été laminée par les nationalistes en 2012 et 2014, est un mauvais signal. D’autant qu’il pourrait s’accompagner d’une rupture du cordon sanitaire : le Vlaams Belang s’est déclaré disponible pour former des majorités avec la N-VA. Le parti d’extrême droite pourrait même obtenir le premier bourgmestre de son histoire à Ninove, avec le député flamand Guy D’Haeseleer (Forza Ninove). Salut hitlérien à la clé.

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Cela indique que, là où la Wallonie bascule à gauche, la Flandre glisse vers la droite. Même s’il convient de nuancer le constat avec la progression de Groen (à qui De Wever a stratégiquement tendu la main à Anvers, en vain) où l’arrivée du PvdA (pendant flamand du PTB).

Tout cela promet pour 2019. Si le résultat de ce scrutin venait à se confirmer dans huit mois, deux blocs se feraient potentiellement face : une Flandre plus à droite et un Wallonie plus à gauche. Ce serait de nature à compliquer singulièrement la gestion du pays. Car une Suédoise II, pour autant qu’elle dispose encore d’une majorité, sortirait affaiblie des urnes. Tandis que PS, Ecolo et PTB pourraient être tentés de créer une alternative progressiste au sud du pays. Tandis que la Région bruxelloise serait déchirée.

En clair, on verrait poindre du nez le spectre du confédéralisme. Ou d’un blocage politique majeur.

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