Noël Slangen © PhotoNews

Noël Slangen: « Les personnes défavorisées ne sont pas des électeurs intéressants »

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Noël Slangen, l’ancien spindoctor de Guy Verhofstadt, a vaincu la pauvreté de son enfance grâce à la bibliothèque locale. Il se montre dur envers la politique belge.

Âgé de 52 ans, Noël Slangen est désormais entrepreneur et chroniqueur à temps plein. Il y a un an et demi, il rompait définitivement avec son parti l’Open VLD. « Un politique doit suivre la ligne du parti. Pour un libre penseur comme moi, ça ne va pas. Je voulais analyser la politique de l’extérieur. »

La pauvreté est au coeur de ses préoccupations. Il siège d’ailleurs au Kinderarmoedefonds (Fonds de la pauvreté infantile) de la Fondation roi Baudouin. Cette sensibilité est liée à sa propre jeunesse. Il vient d’une « famille du quart monde » comme il dit, un milieu où tout le monde est pauvre et vit d’indemnités. Dans son livre « Slangen in de Coulissen », il raconte qu’il arrivait régulièrement que ses parents disparaissent pendant des jours, alors qu’il n’y avait rien à manger à la maison. C’est la bibliothèque locale qui le sauvera. « J’ai arrêté l’école prématurément. Mais je dévorais des livres qui m’ont sorti de ce cercle vicieux. Ensuite, j’ai commencé comme entrepreneur, avec succès. Mais soyons clairs : ce n’est pas la norme. Tout le monde ne réussit pas de cette manière. C’est pourquoi je ne suis pas un modèle. Mais j’entends partager mes idées. »

Comment expliquez-vous les chiffres de pauvreté déplorables de ce pays ?

Noël Slangen: Quand on parle d’exclusion sociale, il y a deux moments de la vie extrêmement délicats. Une étude internationale révèle que les stimuli positifs sont essentiels durant les trois premières années d’une vie. Mais plus les parents sont pauvres, plus les stimuli sont négatifs. Leurs enfants vont moins souvent à la crèche et en classe d’accueil. Il est primordial de les sortir de cet isolement. Le deuxième moment, c’est l’enseignement primaire. Notre système d’enseignement est fait pour les familles de classe moyenne. On part du principe que les parents sont chez eux le soir pour aider aux devoirs, que la famille entretient des contacts sociaux, que l’enfant a la possibilité de ramener un journal à l’école. Ce n’est pas le cas. En enseignement primaire, les devoirs après les cours devraient se réduire au minimum absolu.

Nos gouvernements prennent-ils la lutte contre la pauvreté au sérieux ?

Je trouve que non. Mais j’ajoute tout de suite que les gouvernements précédents ne s’en sortaient guère mieux. Quand on mise sur les enfants âgés de 0 à 3 ans, on ne voit les effets que 15 ans plus tard. En plus, les personnes défavorisées ne sont pas des électeurs intéressants. Elles ne votent pas, ou alors blanc ou contre l’ordre établi. Regardez combien de personnes ont voté contre leurs intérêts aux Etats-Unis. C’est pour cela aussi que les politiques ne traitent pas ce problème comme une priorité.

Voilà qui paraît cynique.

C’est vrai, mais c’est ce qui passe. N’oubliez pas qu’une politique de pauvreté sérieuse coûte très cher. Une mesure importante serait d’accorder automatiquement tous les droits sociaux. Pourquoi ce n’est pas le cas, pensez-vous ? Cela coûterait beaucoup d’argent à l’État. Après, je crains aussi qu’il y a un manque de connaissance et de vision. Il n’y a pas de politique de pauvreté globale. Tous les ministres devraient être ministre de la Lutte contre la Pauvreté. Au fond, tout miser sur la création de jobs est une solution de facilité.

D’après la ministre flamande compétente Liesbeth Homans (N-VA), un job constitue le meilleur remède contre la pauvreté.

Elle n’a pas tort. Il est très important d’avoir un travail. Mais cela ne suffit pas. Pour les personnes défavorisées, le coût du logement constitue le plus grand obstacle. Il y a une vingtaine d’années, c’étaient la nourriture et les vêtements. Ils sont bien meilleur marché aujourd’hui, grâce aux Primark de ce monde, aussi contestés soient-ils. Cependant, les coûts du logement ont augmenté de manière phénoménale. Et je ne pense pas uniquement aux coûts du logement lui-même, mais aussi à ceux de l’eau et de l’énergie. Et je le répète : il y a des corrections sociales, mais les gens qui vivent dans la pauvreté ne savent pas comment les obtenir. Je trouve incompréhensible qu’on augmente la garantie locative de deux à trois mois.

Considérez-vous les allocations familiales comme un instrument pour lutter contre la pauvreté?

Non, sinon on redistribuerait deux fois. Notre système fiscal redistribue déjà. Celui qui gagne plus paie plus. Mais ensuite, tout le monde doit pouvoir profiter d’une manière égale des avantages. Et les allocations sont un montant que l’on perçoit quand on a des enfants. Si on les redistribuait aussi, on risque de miner tout le système. Soudain, les gens trouveraient logique de ne plus devoir contribuer, parce qu’ils ne profitent pas des avantages de la solidarité. Ce serait un précédent dangereux. Si on souhaite vraiment utiliser cet argent des allocations familiales pour s’en prendre à la pauvreté, il vaut mieux abolir cet instrument et l’utiliser pour d’autres domaines tels que le logement.

Le gouvernement fédéral a augmenté les indemnités des plus faibles. Est-ce une mesure importante ?

Pour les familles monoparentales et les pensionnés, oui, mais pour les personnes en exclusion sociale non. Il faut séparer les deux. Pour ces derniers, une augmentation de leurs revenus ne résoudra pas leur problème de manière structurelle. Briser l’isolement est au moins aussi important.

Paul Cobbaert/Deze Week

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