Sophie Wilmès et Georges-Louis Bouchez, les deux héritiers de Charles Michel, s'éloignent de leur prédécesseur. © BELGAIMAGE

« MR de rien » : les libéraux sont-ils en train d’oublier les années Michel ?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Avec Sophie Wilmès et Georges-Louis Bouchez, le MR est-il en train de faire oublier les années Michel ? La crise du coronavirus donne en tout cas aux bleus des envies de sourire sans le dire. Avec un changement de nom au programme…

C’était il y a un an, six semaines avant des élections catastrophiques pour le MR. Charles Michel avait encore resserré son emprise sur un parti à sa poigne, qu’Olivier Chastel lui avait gentiment gardé au chaud. Didier Reynders se cherchait un emploi européen et ne s’en cachait pas, Charles Michel s’en cachait et en cherchait tout autant. Le 26 mai, le MR perdait six sièges à la Chambre et ses trois figures allaient s’en disperser aux trois coins du triangle institutionnel européen, Olivier Chastel au Parlement, place du Luxembourg, Didier Reynders à la Commission, rond-point Schuman, et Charles Michel au Conseil, rue de la Loi. Charles, Didier et Olivier étaient partis.

Il y a déjà eu beaucoup d’allées et venues autour du nouveau président.

Le parti s’était vidé depuis son sommet, et sa base n’était pas très rigolarde : elle s’était fait insulter depuis cinq ans qu’on avait, là-bas en haut, choisi de s’associer avec les séparatistes flamands pour composer un gouvernement fédéral. Le parti allait si mal que personne, en fait, n’en voulait la présidence. Sophie Wilmès préférait rester au gouvernement fédéral plutôt que de se charger de cette corvée. Willy Borsus voulait rester au gouvernement wallon plutôt que de se taper ces emmerdes. Puisque personne n’en voulait sauf un, tout le monde s’est mis d’accord sauf un. Charles, Didier, Sophie, Willy, tout le monde allait soutenir Georges-Louis Bouchez, qui était le seul qui en voulait sauf Denis Ducarme, qui en voulait aussi.

Aujourd’hui, Charles Michel n’est plus là. Didier Reynders non plus. Olivier Chastel ne l’a jamais vraiment été. Ils étaient les plus puissantes figures du libéralisme francophone depuis quinze ans. Ils ne sont plus là et, pourtant, les nouvelles sont bonnes pour le Mouvement réformateur. Le pays est malade mais le parti va beaucoup mieux.

La politique sans le dire

Georges-Louis Bouchez est devenu président en novembre dernier, et Sophie Wilmès est devenue Première ministre de plein exercice en mars. Le MR dispose de sept ministres au gouvernement fédéral, de trois ministres au gouvernement wallon, et de deux ministres au gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ses représentants sont au milieu de tout aujourd’hui. Ils sont en position de faire ce dont tout politique rêve : faire de la politique en disant qu’on ne fait pas de politique, et accuser ceux qui le diraient d’en faire.

Sophie Wilmès la première, qui a crevé l’écran et dont les médias accueillent désormais le message le plus lénifiant comme le rebondissement le plus bouleversant :  » Nous devons tous persévérer « , a-t-elle ainsi fort audacieusement affirmé, dimanche 5 avril, dans un message vidéo diffusé dans les deux langues à l’heure des journaux télévisés, c‘était faire de la politique et personne n’a osé le faire remarquer. Ses camarades n’en font pas moins. Ni Willy Borsus, ministre wallon de l’Economie, lorsqu’il instaure une prime de 5 000 euros pour certains indépendants et certaines entreprises, ni Denis Ducarme, ministre fédéral des Classes moyennes, lorsqu’il s’invite au JT de RTL-TVi pour expliquer à tous les indépendants qu’il leur a débloqué leur droit-passerelle, ni David Clarinval, ministre fédéral du Budget, lorsqu’il annonce 50 000 tests quotidiens au Soir, ni Pierre-Yves Jeholet, ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, lorsqu’il demande que les écoles restent ouvertes cinq jours de plus pour sauver leur année, ni Georges-Louis Bouchez lorsqu’il propose la défiscalisation des heures supplémentaires, l’introduction d’une cotisation de crise sur les dividendes, et l’arrêt du lancement de propositions par ses adversaires alors que la crise n’est pas encore derrière nous. Ils font ce qu’il faut, les bleus. C’est à la fois leur métier et leur devoir, un besoin personnel et une nécessité démocratique, une aubaine partisane et un impératif technique. Ils le font tellement qu’ils sont beaucoup à se dire que le MR a négocié un tournant.

A Georges-Louis Bouchez, Charles Michel a cédé le parti. Le nouveau président va en changer le nom.
A Georges-Louis Bouchez, Charles Michel a cédé le parti. Le nouveau président va en changer le nom.© BELGAIMAGE

Plus qu’un tournant. Le point de départ d’une reformation

 » Charles et Didier sont oubliés par tout le monde, y compris par nous, et c’est tant mieux « , pose un ministre. La crise sanitaire, qui occupe beaucoup Charles Michel là où il est confiné, a accéléré son effacement. Elle a consacré Sophie Wilmès, et pas qu’au 16, rue de la Loi, d’ailleurs. Dans l’opinion surtout, mais au MR aussi.  » Au dernier bureau avant le confinement, début mars, elle a déjà un peu rabroué Georges-Louis « , se souvient un témoin, et il y aura pour elle encore plus que pour nous  » un avant et un après Covid-19 « . Maîtresse de sa communication, elle aura été une belligérante discrète de la législature écoulée : elle ne souffrait, au moment de son installation, d’aucun passif dans l’opinion publique, ce qu’elle a pu valoriser. Les lancinants rappels du bilan du gouvernement Michel, dont elle fut l’argentière, sont un péril à juguler, il y aura des questions à éviter, et les semaines et les mois qui viennent sont, bien sûr, pleins d’obstacles. Mais elle est pour le moment au firmament.

Certains disent que son président en prend ombrage.  » La place que Sophie prend ennuie Georges-Louis : il a très mal pris que, dans la DH, certains affirment qu’elle l’avait « chastelisé » comme l’avait fait Charles avec Olivier – il n’y a pas beaucoup de qualificatifs plus vexatoires, au parti… « , dit un membre du bureau. D’autres préfèrent insister sur une complémentarité géographique, elle à Bruxelles lui dans le Hainaut, politique, lui à droite elle moins, et polémique, lui très fort elle très peu. Tous avouent, toutefois, que ces différences pourraient bien virer à l’hostilité. Loin des tumultueuses années Reynders-Michel, mais quand même.  » Il n’y a pas autour d’eux d’allégeances claniques, pas encore, mais il y a déjà quelque chose qui ressemble à la configuration précédente : Didier était le plus populaire, mais Charles avait pris l’appareil du parti et le tenait « , raconte un ancien.

L’appareil du parti, Georges-Louis Bouchez, dont la nuque s’est raidie de plaisir à la lecture du dernier baromètre de popularité du Soir, dans lequel il a dépassé Charles Michel en Wallonie, s’en occupe en effet. Il ne fait même que ça.  » Sophie fait ce qu’elle veut au gouvernement fédéral, et Willy ce qu’il veut au gouvernement wallon. Donc Georges-Louis fait ce qu’il sait faire : faire passer des messages dans l’opinion « , résume un habitué de la Toison d’Or. Bien sûr, il y a des connexions entre le parti et le gouvernement, entre la Toison d’Or et le 16, entre les deux successeurs placés par Charles Michel sur les deux sièges qu’il occupait. La secrétaire générale du parti, l’Uccloise Valentine Delwart, est également conseillère au cabinet de Sophie Wilmès, en charge du secrétariat du Comité de concertation. Celle qui avait envisagé de se présenter contre Georges-Louis Bouchez à la présidence du MR, avait refusé, en 2014, la première suppléance à la Chambre à Bruxelles, que lui proposait Charles Michel, et qui échut à Sophie Wilmès. Elle est désormais à l’intersection de deux lignes qu’elle aurait pu tracer de sa propre plume.

A Sophie Wilmès, Charles Michel a cédé le 16, rue de la Loi. La nouvelle Première veut le rester.
A Sophie Wilmès, Charles Michel a cédé le 16, rue de la Loi. La nouvelle Première veut le rester.© BELGAIMAGE

Des élections ou un nouveau nom

Mais au parti  » là où Sophie n’a rien à dire « , précise un proche de Georges-Louis Bouchez, celui-ci s’active. Pas dans le sens d’une direction plus collégiale que celle de son prédécesseur, toutefois, comme il s’y était engagé pendant la course à la présidence.  » Celui qui a cru à cette blague, franchement…  » s’amuse le toujours proche. Mais, d’abord, en s’occupant de ressources humaines, communication y comprise. Car si la désignation d’Axel Miller comme chef de cabinet a fait l’objet d’une large propagande, l’annonce d’autres recrutements va suivre, lorsque l’actualité fera un peu de place au marché des transferts politiques : un fiscaliste, un spécialiste de l’enseignement, dont on nous dit qu’il est bien connu, et un  » dircom  » ont déjà signé pour la prochaine saison. Le shadow-bourgmestre de Mons et sénateur coopté cherche encore deux attachés de presse, un néerlandophone et un francophone pour boucler sa campagne. Mais à ces venues correspondent des allées : quatre des sept postes de la cellule communication ont été libérés, ou sont en cours de l’être. Trois des quatre ont décidé de quitter le parti, et la quatrième a demandé une réaffectation. Une fois les vides comblés, il faudra constater que le jeune héritier aura eu vite fait de beaucoup changer ce qu’il pouvait changer.

Il faudra, ensuite, s’interroger sur l’objectif premier de ce parti et de son président. Parce que le court et le long termes peuvent se contredire. A court terme, l’extraordinaire croissance de la popularité de Sophie Wilmès et l’historique visibilité des ministres réformateurs fait moins craindre aujourd’hui qu’hier, pour le MR, l’hypothèse d’élections anticipées, une fois cette crise sanitaire résolue et la crise politique revenue à son insécabilité de départ.  » Sur les six sièges perdus en mai 2019, on en récupérera trois sans problèmes, et ça passera pour une victoire « , estime déjà un calculateur. L’argument servira surtout de menace, face aux autres présidents de parti, lorsque les négociations fédérales auront repris leur cours complexe. Car le coronavirus a rapproché le long terme : il aura fallu moins de temps qu’on l’aurait cru pour oublier le renoncement de Charles Michel à son  » jamais avec la N-VA  » et moins de temps qu’on l’aurait imaginé pour faire de Sophie Wilmès une figure de proue, et pour faire des figures connues de ministres jusqu’alors inconnus. Georges-Louis Bouchez, c’était un des engagements de campagne qu’il promettait plus fermement que pour les autres de tenir, s’était engagé à changer le nom de son parti et à y faire adhérer des têtes connues. L’opération de nettoyage compléterait idéalement l’effacement récent des souvenirs traumatiques que porte encore le sigle du parti. Mais elle cadrerait mal avec une campagne électorale. On en parle déjà. On en reparlera, à coup sûr, à la prochaine rentrée.

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