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Mons : la Cité aux deux patrons

Le Vif

La Cité du Doudou compte deux bourgmestres. L’un en titre mais empêché, élu avec plus de 14 000 voix. L’autre faisant fonction, qui en a récolté 6 000. Bien que très occupé par le 16, rue de la Loi, Elio Di Rupo reste proche de sa ville. Omniprésent ? Omnipotent ? Les avis sont partagés.

Bien sûr, Nicolas Martin n’a pas remporté la moitié des voix de son chef de file. Néanmoins, celui qui a été élu conseiller communal en 2000 comme candidat d’ouverture et est devenu échevin du Développement économique et du Tourisme en 2006, jouit d’une légitimité électorale que personne ne lui conteste. En octobre 2012, toutes listes confondues, il a obtenu le 2e score derrière Elio Di Rupo, qui l’a très logiquement désigné comme bourgmestre faisant fonction.

Les deux priorités pour la ville de ce jeune maïeur ff de 37 ans sont le développement économique et la sécurité. Pour gérer les dossiers relatifs à ces matières, mais aussi l’administration courante, les réunions syndicales et les quelque 200 demandes quotidiennes qui arrivent par voie électronique, il se donne « à 100 %, 200 %… Je n’ai plus de vie privée. Je considère qu’il n’y a pas de « petits problèmes », que tout prend autant de temps qu’un gros dossier. C’est la caractéristique d’une gestion communale ».

Nicolas Martin affirme avoir appris à déléguer. « J’aime toujours consulter les responsables de services et les échevins afin d’échanger les points de vue, avant de prendre une décision. J’ai la chance de pouvoir compter sur des responsables de qualité. Il est toujours important à mes yeux de pouvoir développer ce schéma d’écoute interne à l’administration et de le croiser avec les éléments qui me sont rapportés par la population. »

Ses réseaux

Au sein de son cabinet, il s’appuie en toute confiance sur Ermeline Gosselin, chargée des ressources humaines, de la culture et de Mons 2015 – et proche de Di Rupo (lire ci-dessous) -, sur Stéphane Maucci, responsable de la police, des travaux et des sports, et sur Tiphaine Storez, qui s’occupe d’urbanisme, de développement économique, de contacts avec les investisseurs, d’urbanisme et d’agriculture. On nous glisse que cette dernière « sauterait du pont pour lui ! ».

Fort d’un carnet d’adresses bien fourni, qu’il a étoffé en assumant les fonctions de conseiller en charge des fonds structurels européens, puis de chef de cabinet du ministre-président de la Région wallonne, Nicolas Martin se targue d’avoir des contacts à tous les niveaux de pouvoirs – au fédéral, à la Fédération Wallonie-Bruxelles et dans les deux Régions -, tant dans les administrations que dans les cabinets ministériels.

Dans les milieux économiques, il se dit proche de Caroline Decamps, directrice générale de l’intercommunale Idea, de Jean-Sébastien Belle, patron de l’Invest Mons-Borinage-Centre, et d’Alain Belot, directeur général de la Sowaer (Société wallonne des aéroports). Côté syndical, il cite Bernard Meurice, retraité de la CSC Mons, et Alain De Nooze, ancien président de la FGTB de Mons-Borinage, pensionné depuis peu. Il mentionne aussi l’Ecolo Christos Doulkeridis et le socialiste Paul Furlan, les ministres du Tourisme des deux Régions, et Viviane Jacobs, directrice générale de Wallonie Bruxelles Tourisme (WBT). Sans oublier Chantal Bouchez, directrice générale du CHU Ambroise Paré, dont Nicolas Martin est le président (lire aussi en pages 92 à 94). Pour conserver cette fonction, il est allé jusqu’à refuser un mandat de député fédéral. Rien d’étonnant, « le CHU, c’est sa machine de guerre », nous susurre-t-on.

L’ombre d’Elio Di Rupo

Nicolas Martin admet que, comme d’autres jeunes, il est « le produit du renouveau du PS initié par Elio, ce qui ne m’empêche pas de ne pas toujours être d’accord avec lui ni de ne pas lui demander systématiquement l’autorisation dans la gestion des dossiers de la Ville. Si j’exerce une fonction, j’entends l’exercer pleinement ! Je ne vais pas rester les bras ballants en me disant « mon dieu, il faut que le chef revienne » ». L’exerce-t-il vraiment pleinement la fonction ou Elio Di Rupo, bourgmestre en titre, mais surtout Premier ministre, continue-t-il de régner sur Mons, même à distance ? A l’hôtel de ville, un huissier confie que l’administration est du ressort du bourgmestre faisant fonction et que « le Premier ministre est très strict là-dessus ». Anne-Sophie Charle, qui a été sa cheffe de cabinet jusqu’au 1er janvier 2013, date à laquelle elle a passé le flambeau à Ermeline Gosselin pour devenir coordinatrice de la Fondation Mons 2015, souligne toutefois qu’en tant que bourgmestre en titre, « Elio Di Rupo a la responsabilité de la gestion de la commune devant le citoyen. Et donc, il est évident qu’il reste attentif à la stratégie des grands dossiers et est associé aux grandes questions ».

« Par stratégique, entendez tout ce qui engage Mons pour l’avenir, précise Gilles Mahieu, qui a été son chef de cabinet de 2001 à 2004. Mais personne n’est la marionnette de personne ! Elio Di Rupo délègue énormément et chacun connaît la nature de son mandat. » Lors de manifestations de prestige, comme l’inauguration du siège de la Fondation Mons 2015 ou les différents vernissages de l’exposition consacrée à Andy Warhol, le Premier ministre et son jeune bourgmestre faisant fonction prononcent chacun leur discours.

Quand on parvient à lui arracher quelques mots sur le sujet, celui que ses fonctions au 16, rue de la Loi occupent bien assez confirme. « Les choses sont très simples, martèle Elio Di Rupo. Tout ce qui relève de la gestion communale journalière est assuré par le collège. En revanche, je participe aux discussions relatives aux orientations des grands projets. » De son côté, le bourgmestre ff Nicolas Martin, élu avec 6 000 voix, s’agace de ce qu’il perçoit comme un fantasme de la part de certains journalistes qui ne connaissent pas Mons. « A aucun moment je n’ai engagé ma propre responsabilité de bourgmestre sans autonomie ! »

En dehors des rangs socialistes, on glisse quand même que « quand il y a des divergences entre les deux hommes, c’est Elio qui a le dernier mot. C’est lui le patron ! Mons est la seule ville en Wallonie où, contrairement à ce que préconise le Code de la démocratie locale, les deux chefs de cabinet du bourgmestre et la porte-parole de la Ville et du collège assistent aux réunions du collège. Ils jouent donc un rôle politique. »

Savine Moucheron, chef de file CDH (opposition), trouve symptomatique que « lors de la présentation de voeux du collège, c’est Elio Di Rupo qui prend la parole, alors qu’il ne fait plus et ne peut plus faire partie de ce collège. Avant, les bourgmestres ff ne s’exprimaient même pas à cette occasion. Avec Nicolas Martin, c’est quand même un peu différent, parce qu’il a une personnalité assez forte et une assise électorale importante. Il a aussi voix au chapitre. »

Elle qui a connu Elio Di Rupo comme bourgmestre effectif estime que le patron, c’est toujours lui. « J’en veux pour preuve l’arrivée d’Ermeline Gosselin, porte-parole du PS sous la présidence Di Rupo, comme cheffe cab du bourgmestre empêché. » La conseillère communale et députée wallonne rappelle aussi que c’est lui qui a inventé le concept de bourgmestre en titre. « Cela peut paraître comme un avantage sous-localiste, et ça l’a surement été à un moment, d’avoir pour bourgmestre un président de parti, un ministre-président ou un Premier ministre, mais au final, c’est un gros handicap pour la ville : cela ralentit le travail de l’administration, parce que tout doit passer par Elio Di Rupo ! C’est en tout cas ce que des membres du personnel m’ont confié plusieurs fois. »

Caroline Dunski

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