"Le Peuple n'est pas l'organe du Parti populaire ! Je ne suis pas le gérant, ni le rédacteur en chef du journal." © BENOIT DOPPAGNE/Belgaimage

Modrikamen finance-t-il son parti en douce ?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

La justice s’intéresse aux comptes du Parti populaire. Après une enquête sur la manière dont la formation de Mischaël Modrikamen a utilisé des fonds européens, d’autres mécanismes financiers sont dans le viseur, notamment des dons déguisés en parts sociales.

En novembre de l’année passée, une perquisition était menée à Watermael-Boitsfort, à l’avenue du Houx, siège du Parti populaire et domicile de son président, Mischaël Modrikamen. En phase avec les révélations du Vif/L’Express du 16 octobre 2016, les enquêteurs du Parquet général venaient y chercher des informations sur la façon dont le PP profitait de fonds européens attribués à l’Alliance pour la démocratie directe en Europe (ADDE). Cette fédération de partis eurosceptiques, à laquelle l’Ukip de Nigel Farage est notamment affiliée, a dû rembourser des subventions perçues dès lors qu’elle n’a pas pu démontrer que cet argent était exclusivement utilisé au niveau européen, et pas sur le terrain national.

C’est ainsi que, depuis janvier dernier, Nigel Farage doit reverser au Parlement européen la moitié de son salaire d’eurodéputé. Les prestations facturées à l’ADDE et à son centre d’études, l’Initiative pour la démocratie directe en Europe (IDDE), par Freedom Media Group (FMG), censée alors prester des services audiovisuels pour l’ADDE et l’IDDE, ont également attiré l’attention des limiers bruxellois. Cette société, fondée en janvier 2014 par Mischaël Modrikamen, son fils Nathan et la Fondation populaire, colonne vertébrale du parti, était sise elle aussi avenue du Houx. Sa principale activité est de gérer le site Internet du Peuple, journal en ligne lancé par Mischaël Modrikamen, mais aussi de lui trouver des annonceurs. Et d’attirer des investisseurs sympathisants. Cela pourrait également intéresser les enquêteurs, que Mischaël Modrikamen a rencontrés début février, pour une courtoise journée d’auditions.  » Ils sont charmantissimes « , nous dit-il.

Un généreux millionnaire anonyme

Le resteront-ils ? Ils pourraient, eu égard à la loi sur le financement des partis politiques, tiquer à l’examen des quelque cinquante classeurs emportés en novembre 2017, et qui ne concernent pas seulement le rapport du PP à sa coupole européenne, mais tout son fonctionnement. Car les comptes de la société Freedom Media Group, éditrice du Peuple et fondée par Modrikamen, gardent trace de quelques tours de table menés par le même Modrikamen, président du Parti populaire et éditeur du Peuple, donc. Une quinzaine de coopérateurs, propriétaires de parts sociales, y ont été sollicités.  » En trois ou quatre tours de table, on a dû récolter 75 000 euros, nous explique Mischaël Modrikamen. Mais si j’en avais eu l’énergie et le temps, croyez bien que j’aurais adoré en lever plusieurs millions « , précise-t-il. Si cela n’a pas été possible, un coopérateur en particulier a néanmoins contribué à la cause libérale-conservatrice.

Un sexagénaire bruxellois, ingénieur de formation et homme d’affaires, actif dans le secteur de l’énergie et climatosceptique, et dont nous sommes tenus de respecter l’anonymat, s’est en effet montré spécialement généreux avec cette initiative éditoriale. Il a, tout d’abord, accepté le déplacement du siège de FMG du domicile des Modrikamen à l’une de ses propriétés de l’avenue Bertrand, à Schaerbeek, déménagement décidé par une assemblée générale du 10 mars 2016.  » Nous l’avons fait à un moment où nous envisagions de diversifier nos activités. Dans la presse, avec Le Peuple, mais aussi avec le Pourquoi Pas ? , bien sûr. Mais nous avions lancé quelques sondages fondés sur une nouvelle méthode, et on a changé d’adresse pour que ces sondages ne soient pas taxés de parti pris ou de biais idéologique. Il disposait de bureaux libres, je lui ai demandé s’il pouvait nous en donner un, et il a accepté, voilà « , lance benoîtement Mischaël Modrikamen.

La largesse de ce discret bienfaiteur ne s’est pas limitée à l’hébergement de FMG. Il a également acquis 25 000 euros de parts sociales de la société l’an dernier, ce qui en fait, de loin, le plus généreux contributeur à la société éditrice du Peuple. Il s’est également physiquement investi puisqu’après avoir offert un de ses bureaux à Schaerbeek à Freedom Media Group, il en occupait lui-même un à l’avenue du Houx.  » C’est un monsieur qui dispose de moyens considérables, et qui s’engage bénévolement avec nous. Il est venu travailler sur plusieurs sujets, surtout à caractère scientifique, qui ont fait l’objet de publications sur le site du Peuple. On ne va pas lui reprocher de s’engager, quand même ?  »

Nigel Farage, président du groupe parlementaire européen ADDE visé pour avoir indûment dépensé des fonds européens, notamment dans le financement de campagnes nationales.
Nigel Farage, président du groupe parlementaire européen ADDE visé pour avoir indûment dépensé des fonds européens, notamment dans le financement de campagnes nationales.© WIKTOR DABKOWSKI/BELGAIMAGE

Le parti ou le journal ?

On ne le lui reprochera pas, non. Mais dès lors que les dispositions légales sur le financement des partis politiques interdisent à toute personne, physique ou morale, de donner plus de 500 euros par an à une formation, dès lors, aussi, que le PP a souffert financièrement d’une série de défections, dont celle de son député wallon André-Pierre Puget qui l’a privé d’une partie de ses ressources publiques, cette prise de parts dans une société amie ne renflouerait-elle pas discrètement l’entreprise politique de la famille Modrikamen ? Requalifiée en don, cette prise de parts de 25 000 euros constituerait incontestablement une infraction à la législation…

De même, les annonceurs du Peuple ne financeraient-ils pas, plutôt qu’un journal, ce qui est autorisé, un parti, ce qui est interdit ? Les deux causes, celle du Peuple et celle du Parti populaire, sont intrinsèquement liées. Le président du PP est aussi l’éditeur du Peuple. Son nouveau rédacteur en chef, Alain De Kuyssche, ancien de Télé-Moustique et d’ Ubu-Pan, dirige la section molenbeekoise du parti. Et, on l’a vu, parti et journal partageaient encore naguère les mêmes bureaux…  » Vous raisonnez à l’envers ! tance l’avocat d’affaires. Ce n’est pas le PP qui se finance à travers FMG, c’est Freedom Media Group qui reçoit de l’argent du Parti populaire. Une partie de notre dotation, qui tourne autour des 500 000 euros, est versée à FMG. Environ 1 000 euros, utilisés pour diffuser nos idées, notamment via Le Peuple. Mais Le Peuple n’est pas l’organe du Parti populaire ! Je ne suis pas le gérant, ni le rédacteur en chef du journal. Dans le tour de table des coopérateurs, on trouve des membres d’autres partis. Et on n’y parle pas que du PP, mais aussi de politique internationale ou de sciences « , dit Mischaël Modrikamen.

Cette scission d’un parti et de son journal pourrait, aussi, expliquer ce déménagement de l’avenue du Houx vers la boîte aux lettres schaerbeekoise d’un charitable millionnaire.

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