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Mobilité: les solutions faciles et rapides d’un expert pour désencombrer Bruxelles

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Mathieu Strale est spécialiste en géographie des transports et géographie économique à l’ULB. Il aborde pour LeVif.be les solutions à court terme et ne nécessitant pas d’importants investissements – ni financiers, ni politiques – pour fluidifier le trafic dans la capitale et sa périphérie.

Le réseau de transports publics est bien développé dans la capitale, pourtant ça coince… Quelles solutions envisagez-vous pour inciter les usagers à maximaliser l’usage des transports en commun ?

Bruxelles n’est pas dans une situation particulière à l’échelle européenne. Ce qui est plus problématique à Bruxelles, c’est la présence de quatre opérateurs de transport public. La SNCB, la STIB, mais aussi pas mal de lignes De Lijn et quelques lignes des TEC. Malgré cela, il n’existe pas, ou très peu, d’outils de collaboration ou de mise en réseau de ces quatre opérateurs. Et quand ils existent, c’est très complexe. Plutôt que d’avoir une intégration complète de l’offre de transport, on a des outils mal aboutis. On constate que si les Bruxellois pouvaient utiliser les quatre opérateurs avec une billetterie harmonisée, et cela sans modifier les lignes, les fréquences ou les arrêts, on estime qu’entre un tiers et un quart des Bruxellois pourraient gagner un temps significatif sur leurs déplacements. Ce gain à court terme ne nécessite pas beaucoup d’investissements. Dans un premier temps, on met simplement à disposition le réseau qui existe.

Mathieu Strale, géographe des transports à l'ULB.
Mathieu Strale, géographe des transports à l’ULB.© © bx1
Cette logique municipaliste est historique en Belgique

Derrière cela, il y a évidemment des enjeux politiques assez lourds, car derrière un billet intégré, il y a des clés de répartition des moyens. C’est compliqué pour les quatre opérateurs, et surtout leur pouvoir organisateur, de remettre cela à plat et de faire une enquête. C’est une situation très belge, ce statu-quo. C’est la situation la moins risquée, car s’avancer, c’est risqué d’être critiqué alors que ne rien faire c’est reporter la faute sur un autre niveau de pouvoir. Ce problème de non-coopération ne se pose pas qu’entre les régions, mais aussi entre les communes, entre les communes et les régions, même entre organismes régionaux. Cette logique municipaliste est historique en Belgique. A Bâle, par exemple, les trois opérateurs sont arrivés à coopérer et à mettre en place – même si ça a mis du temps – un RER international.

Comment pourrait-on réaliser d’autres gains à court terme ?

Des bénéfices rapides pourraient être réalisés en élargissant les zones tarifaires, en établissant des couronnes comme dans les périphéries des grandes villes européennes, avec un tarif transparent, quel que soit l’opérateur utilisé. A Paris ou à Londres, par exemple, on applique un tarif unique selon le nombre de kilomètres parcourus.

Pas mal de gens pourraient aussi gagner du temps en prenant leur vélo, notamment avec le développement du vélo électrique. Il existe par exemple une autoroute pour vélos très fréquentée, entre Leuven et Bruxelles, ainsi que le long du canal à Bruxelles, et le long des voies de chemin de fer qui rentrent dans la capitale. Les taux de croissance de l’utilisation du vélo à Bruxelles sont difficiles à estimer, mais ils sont élevés, de l’ordre de 10, 15, voire 30% par an. On part de très bas aussi.

Les taux de croissance de l'utilisation du vélo à Bruxelles sont de l'ordre de 10, 15, voire 30% par an.
Les taux de croissance de l’utilisation du vélo à Bruxelles sont de l’ordre de 10, 15, voire 30% par an. © BELGA IMAGE

Les budgets ne sont pas gigantesques, de l’ordre de 150 millions par exemple, pour un projet de coopération entre Bruxelles et la Flandre pour la réalisation d’une « fietsnelweg » (NDLR : autoroute pour vélos). L’extension du métro à Bruxelles, par exemple, c’est dix fois plus en termes de budget.

Toutes ces solutions ne nécessitent pas beaucoup d’investissements, ni politiques ni financiers. Politiquement, le statu-quo ne doit plus être la meilleure solution.

Mais tout le monde ne peut pas se déplacer à vélo. Il faut aussi des transports publics. Ce qui demande relativement peu d’investissements, mais bien des coopérations, ce serait d’allonger les lignes de la STIB plutôt que de les arrêter aux limites des communes. La régionalisation complique beaucoup la donne. Il faut des initiatives très locales, dans un même réseau. Au niveau des administrations, on rencontre très peu d’obstacles pour mettre ces projets en oeuvre, mais dès qu’on atteint un niveau qui nécessite une prise de position politique et un investissement financier, cela se complique. Les mentalités doivent aussi évoluer. Quand on veut par exemple prolonger des lignes de la STIB en périphérie, il y a des refus de communes qui ne veulent pas être considérées comme la continuité sociologique de Bruxelles, alors que les bruxellois, y compris issus des classes populaires vont déjà y habiter actuellement. A Uccle, quand on ouvre une nouvelle ligne de bus, les habitants ont peur d’être envahis. Il y a aussi pas mal de préjugés à faire sauter.

Toutes ces solutions ne nécessitent pas beaucoup d’investissements, ni politiques ni financiers. Politiquement, le statu-quo ne doit plus être la meilleure solution. Il faut que ces gains locaux rendent intenable la non-coopération. Des leviers doivent être trouvés pour changer la mentalité, par des mobilisations citoyennes, par exemple.

Le débat sur la gratuité des transports en commun commence à émerger.
Le débat sur la gratuité des transports en commun commence à émerger. © belga

Les applications mobiles de planification de déplacements modifient-elles les déplacements urbains?

On remarque que la simple utilisation des smartphones pour prévoir un déplacement joue aussi un rôle, que ce soit Google à pied ou en transport en commun ou Waze en voiture. Ces opérateurs combinent de fait l’offre des opérateurs publics. Pas mal de personnes se rendent compte qu’en utilisant le train à Bruxelles, elles peuvent gagner du temps. On voit de plus en plus de monde dans les gares bruxelloises. Par ailleurs, la SNCB, même si c’est marginal, a augmenté l’offre dans ces gares et amélioré leur visibilité, ce qui participe aussi à cette hausse de la fréquentation. L’un des enjeux est de savoir qui va maîtriser ces informations ? Doit-on mettre en place une structure qui coordonne l’offre des opérateurs publics ou laisser faire les applications privées ? Sur les embouteillages à l’entrée de la ville, ces applications ont une influence parfois paradoxale. Quand l’autoroute est bloquée, les routes locales le sont aussi. Toutes les communes autour de Bruxelles vivent cette situation.

A part un péage urbain, les autres solutions créeraient des discriminations qui seraient sans doute contestées devant le Conseil d’Etat.

La gratuité des transports en commun est-elle la solution pour inciter le plus grand nombre à les emprunter ?

Le débat sur la gratuité des transports en commun commence à émerger. Un des dispositifs qui fonctionnent bien dans ce domaine, c’est le dispositif du tiers payant. Au sein des entreprises qui remboursent leur abonnement de train et de bus à leurs employés, on remarque que le taux d’utilisation des transports publics augmente significativement. Un débat sur la tarification est important, surtout dans un contexte où le coût de la mobilité automobile augmenterait, via une taxe kilométrique ou l’exclusion des véhicules plus anciens et plus polluants.

Dans le même temps, la SNCB rend la plupart de ses parkings payants… n’est-ce pas décourageant pour les navetteurs ?

Cette politique payante est tout à fait paradoxale. La logique est très simple et un peu triste; pour la SNCB, les parkings sont une source de revenus et ils ont été construits comme ça. Ce n’est pas une politique de mobilité mais une politique financière car la SNCB est sous-financée. Une gestion du parking a pourtant du sens. On pourrait très bien imaginer que des parkings ne soient accessibles qu’à des habitants qui n’ont pas d’alternatives, comme des bus de rabattement. Ce ne serait donc pas avec une politique tarifaire unique telle qu’elle existe en général aujourd’hui.

La première couronne de villes périphériques sont les communes où on utilise le plus la voiture pour se rendre à Bruxelles.
La première couronne de villes périphériques sont les communes où on utilise le plus la voiture pour se rendre à Bruxelles.© BELGA IMAGE

Quel est l’impact des voitures de société sur la mobilité ?

Le système des voitures de société en Belgique a un impact important sur la mobilité. On estime qu’environ un quart des voitures qui rentrent à Bruxelles à l’heure de pointe serait des voitures de société. Il y a bien 2 milliards d’exonérations fiscales, mais à part des estimations du volume – un dixième des voitures – on ne sait pas précisément combien de véhicules sont concernés. La situation est aussi particulière à Bruxelles. La première couronne de villes périphériques situées à 5, 10 kilomètres – Tervuren, Grimbergen, Rhode-Saint-Genèse – sont les communes où on utilise le plus la voiture pour se rendre à Bruxelles. Quand on regarde la géographie des transports publics, ce sont des communes situées immédiatement après les lignes de la STIB. Pour venir en transport en commun, il faut combiner deux bus ou venir en train et pour l’instant l’offre locale de trains est assez faible. Le RER, pour ainsi dire, inexistant. De plus, ce sont des communes plutôt riches où le taux de voitures de société est plus élevé. On a un pays qui a encouragé fortement la mobilité automobile et l’accès à la propriété plutôt en périphérie, c’est difficile d’en revenir sans créer de nouvelles inégalités.

Le Belge semble s’accrocher à la voiture de société: 59 % des salariés déclarent ainsi vouloir changer de travail si l’employeur ne leur en offre plus, à en croire une étude du prestataire en services RH Securex auprès de 1.500 travailleurs. Les alternatives de mobilité à ce système sont en outre trop peu connues. La moitié des salariés qui travaillent à Bruxelles trouvent par ailleurs les trajets domicile-travail pesants.

Que pensez-vous, à ce titre, de la proposition de taxe kilométrique de la ministre bruxelloise de la mobilité Elke Van Den Brandt (Groen) ?

Il est très difficile de mettre en place un dispositif dans une région et pas dans une autre. A part un péage urbain, les autres solutions créeraient des discriminations qui seraient sans doute contestées devant le Conseil d’Etat. Le fait que le Bruxellois ne paierait plus la même chose pour se déplacer serait facilement attaquable. C’est facile, encore une fois, pour les autorités bruxelloises de reporter la faute sur les navetteurs qui ne sont pas leurs électeurs. Rappelons aussi que la moitié des voitures qui roulent à Bruxelles appartiennent à des Bruxellois. La ville n’est pas envahie par des navetteurs chaque matin comme on pourrait le penser.

Comment désencombrer la périphérie bruxelloise ?

Vu la complexité des enjeux, en attendant la mise en oeuvre du RER ferroviaire, il faut sans doute commencer par des projets simples. Un exemple concret qui fonctionne bien en termes de lignes rapides et qui n’a pas demandé beaucoup d’investissements est celui du « Conforto » des TEC qui relie Wavre à Bruxelles. Le projet a été compliqué à concrétiser, mais à partir du moment où De Lijn avait aussi la possibilité de faire rouler ses bus sur la bande rapide prioritaire de l’E411, il a été plus simple de convaincre tout le monde. Le nombre de voyageurs augmentent régulièrement, le nombre de bus aussi, de nouvelles lignes sont créées et elles fonctionnent. Peu de personnes sont au courant qu’en Wallonie cette bande rapide peut aussi être utilisée pour le covoiturage, en cas d’embouteillages. On y revient, l’idéal maintenant serait d’avoir une offre tarifaire intégrée pour une meilleure coordination avec les connexions de la STIB.

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