Le 15 janvier, le Collectif resto bar Bruxelles menait une action symbolique, cosignée par plus de deux cents établissements de la capitale, pour soutenir l'horeca. © BELGA IMAGE

Mission antifaillite pour la S.A. Belgique

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Ce 31 janvier devrait marquer la fin du moratoire sur les faillites. Comment éviter un tsunami de dépôts de bilan dans les secteurs toujours affectés par la crise sanitaire? Tour d’horizon des mesures sur la table des gouvernements.

C’est la fausse bonne nouvelle de ce début d’année. En 2020, le nombre de faillites déclarées en Belgique a diminué de 33% par rapport à 2019, indiquait le bureau d’étude Graydon il y a quelques semaines. Un trompe-l’oeil, évidemment, dû en grande partie au moratoire sur les faillites. Prolongé à plusieurs reprises, celui-ci est censé prendre fin ce 31 janvier, alors que les effets néfastes de la crise sanitaires, eux, perdurent. Symboliquement, cette échéance marque aussi un tournant dans la gestion de la crise économique. Elle entre dans une phase hybride, où les mesures pour garantir la solvabilité des entreprises deviennent peu à peu tout aussi vitales que le maintien des mécanismes d’aide ou de soutien à court terme (double droit passerelle, chômage économique, indemnités forfaitaires, etc.). « Pour que les entreprises saines avant la crise puissent la surmonter, le pays doit de doter d’un plan de solvabilité coordonné à tous les niveaux de pouvoir, plaidait Pieter Timmermans, l’administrateur délégué de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), le 25 janvier. Gouverner, c’est prévoir ; or, les problèmes de solvabilité vont se poser graduellement. »

La santé financière des entreprises s’est dégradée après la deuxième vague de Covid-19, comme le montre le nouveau rapport conjoint de la FEB et de Graydon, dévoilé le 25 janvier. Entre septembre et janvier, la proportion d’entreprises saines avant la crise mais désormais au bord de la faillite est passée de 16,2% à 20,1% (parmi celles qui déposent des comptes annuels). Une moyenne qui ne reflète pas la réalité plus dure encore de certains secteurs toujours à l’arrêt, ni celle que vivent les indépendants. Les réserves des entreprises en bonne santé financière ont par ailleurs fondu de près de 250 milliards d’euros par rapport à septembre, soit une baisse de 23%.

Pour éviter un tsunami de faillites dans les prochains mois, l’Etat fédéral et les Régions doivent donc garnir leur arsenal de mesures, sans dilapider leurs moyens pour autant. « Au début de la crise, les gouvernements se sont engagés à aider tout le monde, résume Eric Van den Broele, directeur de la recherche et du développement chez Graydon et auteur du livre blanc « A la fin du moratoire sur les faillites ». Mais l’impact de la crise s’est révélé plus grave que ce qu’on imaginait. Inévitablement, il devient intenable de continuer à aider tout le monde, y compris les entreprises qui n’étaient financièrement pas saines auparavant. »

Plus de dix mois après le début de la crise, les Régions continuent à mettre la main au portefeuille pour aider les secteurs à l’arrêt. Fin octobre puis fin novembre derniers, la Wallonie octroyait des indemnités en deux salves, mobilisant 154 puis 202 millions d’euros à l’initiative du ministre de l’Economie, Willy Borsus (MR). Le 21 janvier, il annonçait de nouvelles mesures d’aide à l’intention des indépendants et des entreprises concernées. Elles ne seront toutefois pas mises en oeuvre avant la semaine du 1er février, indique son cabinet. La méthode du gouvernement wallon, qui n’inclut ni périodicité, ni renouvellement automatique des aides, irrite l’opposition CDH. « Nous sommes fâchés que le gouvernement attende autant, alors que le couperet qu’est la fin du moratoire sur les faillites se rapproche, critique François Desquesnes, chef de groupe du CDH au parlement de Wallonie. D’autant que lors de la deuxième vague, deux mois se sont écoulés entre les premières fermetures, mi-octobre, et l’ouverture de la plateforme pour rentrer les demandes, le 16 décembre. » Le cabinet de Willy Borsus rétorque que le contexte sanitaire présente trop d’inconnues pour envisager un renouvellement automatique: « Nous sommes tributaires des annonces du Conseil national de sécurité, l’évaluation se fait au jour le jour. »

Réaction trop tardive

Le 18 décembre, le gouvernement bruxellois a, quant à lui, débloqué 85 millions d’euros pour financer des primes destinées aux secteurs dits non essentiels. Mais là aussi, le délai de réaction et de paiement est pointé du doigt, par l’opposition MR cette fois. « Depuis le second confinement, les métiers de contact à Bruxelles n’ont reçu aucune prime, dénonçait Alexia Bertrand, ce 25 janvier sur Twitter. Le gouvernement bruxellois annonce une première tranche de 1 500 euros, mais elle surgit trop tard. »

A l’instar des Régions, la stratégie du gouvernement fédéral prévoit toujours bien des aides immédiates. « A court terme, il faut maintenir des mesures de soutien pour les secteurs à l’arrêt, confirme le ministre des Indépendants et des PME, David Clarinval (MR). Le double droit passerelle, entre autres, doit être prolongé mois par mois. » A cela s’ajoutent des initiatives sectorielles. Le 22 janvier, le gouvernement a par exemple octroyé une enveloppe de 30 millions au secteur des voyages, à la demande du ministre de l’Economie, Pierre-Yves Dermagne (PS), et du ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (SP.A). Elle vise à assurer la continuité de certains services en accordant une subvention salariale de 70% d’un coût salarial plafonné, pour 30% du personnel.

En second lieu, « il faut aussi un plan de soutien pour tous ces secteurs dont on sait qu’ils resteront fermés ou lourdement affectés par la crise au-delà du mois de mars, poursuit David Clarinval. C’est ce que j’avais appelé un plan d’hibernation, qui inclut des mesures pour préserver leur solvabilité. Avec mon collègue Vincent Van Peteghem (NDLR: le ministre des Finances, CD&V), nous travaillons à un mécanisme fédéral d’aide au cas par cas. Les entreprises en difficulté obtiendraient, par exemple, des prêts garantis ou subordonnés. Enfin, il y aura un plan de réouverture, avec des mesures pour aider à la reprise, comme la réduction de la TVA pour l’Horeca ou l’exonération des cotisations ONSS. » Ce n’est qu’ensuite qu’interviendront les plans de relance en tant que tels, dotés, quant à eux, de mesures structurelles.

Mais la mission antifaillite ne peut s’arrêter là. Pour Eric Van den Broele, il est crucial d’enrayer les aveux de faillite de la part d’entreprises qui pourraient être sauvées. « Depuis l’entrée en vigueur du Livre XX du Code de droit économique, en 2018, la loi sur l’insolvabilité donne cette possibilité remarquable de la deuxième chance, précise-t-il. Un failli honorable peut ainsi recommencer une activité avec une nouvelle boîte six mois après. Dans le contexte actuel, cela entraîne un effet pervers. Beaucoup de consultants recommandent déjà à des entrepreneurs en difficulté de faire faillite, pour repartir de zéro par la suite. Or, si on autorise cela, on assistera à un effet boule de neige, puisque ces faillites en entraîneront d’autres, comme celles de sous-traitants. »

Un pouvoir de conseil aux juges

Pour y remédier, un texte de loi visant à accorder un pouvoir de conseil inédit aux juges serait à l’étude auprès du ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), même si son cabinet ne souhaite faire « aucune communication sur le sujet » pour le moment. Il vise à leur permettre de suggérer, quand elle est possible, la procédure de réorganisation judiciaire (PRJ) plutôt que la faillite. Celle-ci octroie un sursis de six à douze mois à l’entreprise concernée pour négocier un plan de paiement avec ses créanciers. Reste à réformer la procédure, pour éviter qu’à son tour, elle menace la santé financière des créanciers, en raison de reports de paiements ou d’abandons de dettes. A cet égard, la FEB et Graydon se réfèrent au projet Ariane de l’Institut des conseillers fiscaux et des experts-comptables (Itaa). En évaluant précisément la capacité de remboursement de l’entreprise concernée par la PRJ, le mécanisme permettrait aux créanciers d’escompter immédiatement la totalité de la créance, tout en lais- sant du temps à l’entreprise en difficulté pour se reconstituer des réserves et payer ses dettes. Une idée à l’étude au gouvernement fédéral, confirme-t-on à bonne source.

Deux autres suggestions portées par la FEB et Graydon, elles aussi examinées: une réforme de la déduction des intérêts notionnels pour les petites entreprises et un renforcement du « tax-shelter Covid-19 » en vigueur du 15 juillet au 31 décembre derniers. La première consiste à revoir à la hausse le pourcentage (à l’heure actuelle proche de zéro) qu’une entreprise investissant son propre capital peut déduire de l’impôt des sociétés. La seconde incite les personnes physiques à contribuer à une augmentation de capital dans une société affectée par la crise en 2020, par le biais de réductions d’impôts. Deux sujets politiquement sensibles. « Au niveau des intérêts notionnels, on sait qu’il y a eu des malfaiteurs par le passé, concède Eric Van den Broele. Ils ont été abolis, puis la loi a fortement été corrigée. En principe, les abus de l’époque ne sont plus possibles aujourd’hui. Même si on peut les utiliser sans problème, ils gardent cette mauvaise réputation. »

Après cette phase hybride, où les aides de subsistance côtoient des mesures cruciales pour l’avenir des entreprises, viendra l’heure des choix. « Il y a plusieurs questions morales à régler, conclut Eric Van den Broele. Mon opinion très personnelle, c’est que l’on ne doit plus accorder des aides à ces entreprises fantômes, qui n’existent que sur papier, comme on a pu parfois le voir.

De même, devra-t-on continuer à financer des entreprises qui ont des liens étroits avec l’étranger lointain? Il faudra aussi identifier les secteurs à considérer comme des moteurs de notre économie. En cela, les Régions, les Provinces mais aussi les communes ont un rôle à jouer. » Avec une réflexion potentielle sur le type d’économie à privilégier à l’avenir: un modèle concurrentiel, répliquant la situation d’avant-crise, ou une économie systémique, plus centrée sur l’humain et dans laquelle les entreprises sont davantage complémentaires.

Par Christophe Leroy

« Il devient intenable de continuer à aider tout le monde, y compris les entreprises qui n’étaient financièrement pas saines auparavant. »

« Si les aveux de faillite s’accumulent, on assistera à un effet boule de neige, puisque celles-ci en entraîneront d’autres, comme celles de sous-traitants. »

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