Dans Les Prédateurs, Catherine Le Gall et Denis Robert démontent la mécanique qui a permis à Albert Frère de s’enrichir sur le dos des Etats.
Le célèbre journaliste à la base de la révélation du scandale Clearstream qui s’attaque au baron de Gerpinnes, ça s’annonçait volcanique. Mais voilà que Denis Robert exhume un cold case, remontant à 2006 : l’affaire de la vente de la société Quick, du groupe Frère, à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qui gère, en France, des caisses de retraites publiques et des fonds d’épargne.
A l’époque, l’homme d’affaires d’origine lorraine Jean-Marie Kuhn avait accusé la banque d’Etat française d’avoir repris la chaîne belge de hamburgers au richissime ami de Nicolas Sarkozy à un prix très surévalué, soit 746 millions d’euros alors que, deux ans plus tôt, Quick n’en valait même pas 300. Une vente scellée en un temps record. Jean-Marie Kuhn avait saisi le procureur de la République, à Paris, en vain, avant de se tourner vers le parquet de Charleroi, dans le fief même du milliardaire belge.
Depuis la fameuse soirée du Fouquet’s du 6 mai 2007, où le patron carolo et son ami tycoon canadien Paul Desmarais ont célébré la victoire du tout fraîchement élu président français, les deux milliardaires n’ont cessé d’obséder Denis Robert et Catherine Le Gall. Comme d’autres journalistes français et belges, ils avaient été pressés, à l’époque, par Jean-Marie Kuhn qui, floué par Albert Frère dans la revente des magasins Disport dans les années 1990, rêvait de prendre sa revanche avec le dossier Quick en le médiatisant. Bref, les deux journalistes ont ressorti le dossiers poussiéreux de leurs cartons avec une idée derrière la tête. » Celle de montrer comment des milliardaires comme Frère ou Desmarais s’enrichissent sur le dos des Etats, déclare Catherine Le Gall, et ce en disséquant leur modus operandi complexe et invisible. Quick est un cas exemplaire pour expliquer cette violence prédatrice. »
Les deux journalistes ont mené une enquête haletante et fastidieuse, épluchant rapports d’activité, documents de vente, prospectus d’OPA, cuisinant les anciens dirigeants de la CDC, essayant d’approcher Albert Frère (sans succès). Ils ont surtout mis la main sur les documents de l’instruction judiciaire ouverte à Charleroi, qui révèlent les lourds soupçons de la juge France Baeckeland et de ses enquêteurs sur le maquillage des comptes de Quick et l’entente préalable entre vendeur et acheteur précédant l’OPA. Ils dévoilent aussi le prix auquel Quick, vendu 746 millions d’euros en 2006, a finalement été racheté par Burger King dix ans plus tard : un euro…
Fort de ces constats, le duo fait un parallèle avec deux autres scandales d’OPA réalisées à la même période – Petrobras et Uramin – dans lesquelles apparaissent les noms du Belge et du Canadien. Et en tire une hypothèse : » L’astuce consiste à trouver chaque fois de bons appâts qui n’ont que peu de valeur réelle, de faire monter leur prix artificiellement puis de les vendre à des organismes publics avec, à l’intérieur de ceux-ci, un complice qui a la main sur les négociations, le tout sans jamais vraiment enfreindre la loi « , relève Catherine Le Gall. Cette dissection de la méthode Frère-Desmarais est plutôt rigoureuse, dans un livre qui, par ailleurs, ne manque pas de clins d’oeil ni d’humour.