Métro Nord à Bruxelles : le cahier des charges sera-t-il amendé ?

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Des voix s’élèvent pour réclamer une analyse approfondie d’alternatives de fond et de forme. La commune de Schaerbeek n’y va pas de main morte.

Il devrait y avoir du monde, ce jeudi après-midi, dans la salle des mariages de l’hôtel communal de Schaerbeek. On n’y mariera pourtant personne. Ceux qui seront présents ne le seront que parce qu’un dossier politico-bruxellois leur tient à coeur : la construction d’une nouvelle ligne de métro, la 3ème du genre, entre la gare du Nord et Haren, sur la route de l’aéroport de Bruxelles National.

Il ne s’agira pourtant que d’une étape dans la très longue procédure, lancée en 2009, qui devrait théoriquement aboutir à l’inauguration de ce nouveau tronçon en 2030.

Jeudi, donc, tous ceux qui souhaitent émettre une remarque, une suggestion, ou poser une question sur le projet de cahier des charges de l’étude d’incidences du métro Nord auront la parole. L’affaire peut paraître anecdotique, mais c’est tout le contraire. Car ce que contiendra ce cahier des charges déterminera évidemment la suite de la mise en oeuvre du projet. « L’enjeu de cette phase est de savoir jusqu’où ce cahier des charges imposera des études complémentaires ou l’analyse de variantes », précise un urbaniste. L’étude d’incidences elle-même devrait démarrer en septembre et durer environ un an.

Après avoir entendu les différentes remarques et questions formulées par les participants à l’enquête publique, la Commission de concertation se réunira à huis-clos pour formuler un avis sur le cahier des charges.

Un projet de cahier des charges existe certes déjà. Conformément à la réglementation, un candidat a même déjà été choisi, en mars 2018, pour réaliser l’étude d’incidences : le bureau Aries Consultants. « Le marché lui est attribué mais aucun contrat n’est signé », précise Marianne Hiernaux, porte-parole de Beliris, le maître d’ouvrage délégué par la Stib pour ce projet. Il reviendra en effet à la Commission de concertation de confirmer ou non ce bureau dans sa mission.

Si à la suite de l’enquête publique, le cahier des charges est fortement amendé, le marché pourrait faire l’objet d’un avenant. « Le chargé d’étude pourrait demander des honoraires complémentaires si les changements apportés au cahier des charges de l’étude d’incidences qui avait été publié étaient importants », précise-t-on chez Beliris.

Ce jeudi, donc, on s’attend à ce que les opposants au projet donnent, sinon de la voix, au moins leur point de vue tranché dans ce dossier. On sait les reproches essentiels formulés par rapport à la construction de cette nouvelle ligne de métro. Elle ne sera prête au mieux qu’en 2030, pour une exploitation maximale en 2040, soit bien trop tard pour répondre aux problèmes de mobilité que connaissent actuellement les Bruxellois. Elle coûtera beaucoup d’argent à une Région qui ne roule pas sur l’or. Si Beliris s’est engagée à payer 500 000 euros en dix ans, le solde, d’au minimum 1,1 milliard d’euros, sera bien à charge de la Région de Bruxelles Capitale. Sans compter les éventuels dépassements de budget. « A Bruxelles, les chantiers de métro existants ont tous dépasser les coûts d’estimation avant adjudication », rappelait récemment, dans les colonnes de l’Echo, Pierre Laconte, secrétaire général honoraire de l’Union internationale des transports publics et président de la Fondation pour l’environnement urbain. Les surcoûts représentent en général 50 à 80% des budgets initiaux. « Deux chantiers ont même dépassé les 150% », insistait-il.

L’importance et la durée du chantier font craindre le pire aux populations, commerçants et communes concernés, dont Schaerbeek. Et, selon les données fournies, le trafic attendu dans ce nouveau métro pourrait être trop peu important pour le justifier. « Les dernières estimations disponibles font état d’une faible (voire très faible) charge de trafic tout le long de la nouvelle ligne, d’une réduction du trafic automobile marginale (0,6%) et donc d’un gain environnemental dérisoire si pas négatif à cause du chantier », rappelle le géographe et chercheur de l’ULB Frédéric Dobruszkes. Avec Christian Kesteloot, professeur émérite à la KUL, Michel Hubert, professeur à l’ULB et Pierre Laconte, Frédéric Dobruszkes a d’ailleurs signé un avis collectif critique dans le cadre de cette enquête publique. Comme d’autres, le quatuor pointe notamment le conflit d’intérêt qui entache vilainement le dossier : l’association momentanée BMN (Bureau Métro Nord), qui a réalisé l’étude d’opportunité de la nouvelle ligne, était en effet assuré d’emporter les études techniques qui suivraient en cas de décision favorable.

Dès lors, certaines voix s’élèvent pour réclamer que cette étude soit remise sur le métier et réalisée par deux bureaux de consultants distincts, avec la garantie qu’aucun d’eux ne sera impliqué dans la mise en oeuvre, ensuite. Lors de l’étude d’incidences de la liaison ferroviaire Schuman-Josaphat, le gouvernement avait sollicité une seconde étude pour s’assurer du bien-fondé des conclusions de la première…

Interrogé par Le Vif/L’Express, Frédéric Dobruszkes estime que « l’opportunité du projet de métro doit être réexaminée de manière indépendante et transparente, à l’aide du modèle multimodal de déplacements MUSTI. Les chiffres de fréquentation du métro doivent également être analysés, ainsi que les alternatives possibles. »

La commune de Schaerbeek, directement concernée par ce projet colossal, s’est également montrée très critique par rapport au cahier des charges proposé pour la mise en oeuvre de l’étude d’incidences. Dans un avis de 22 pages, le collège pointe les multiples manquements repérés dans l’approche actuelle de Beliris. Il réclame dès lors que le bureau en charge de l’étude d’incidences analyse en profondeur les variantes possibles pour les lignes de trams en surface, la protection du patrimoine immobilier et naturel, la localisation des stations, la profondeur des stations, donc le choix de tunnels bi-tubes et non monotubes. Il demande la plus totale transparence sur les coûts de ce chantier. « Tous les acteurs du dossier et les riverains ont le droit de connaitre les coûts réels actualisés qu’induirait la mise en oeuvre de ce projet. Ces coûts – et surcoûts inévitables – sont susceptibles de porter atteinte aux capacités financières de la STIB, de Bruxelles Mobilité et de Beliris alors que d’autres investissements sont nécessaires en matière de transport public sur le territoire régional, et à Schaerbeek en particulier », indique l’avis du collège consulté par Le Vif/L’Express. Les élus schaerbeekois réinsistent encore sur la nécessité de penser le réseau de métro en bonne intelligence avec le futur RER et sur les solutions de compensation à trouver à la suppression de nombreuses places de stationnement automobile, du fait du métro.

Schaerbeek jugerait aussi judicieux d’inviter des experts indépendants issus du monde académique et un expert géologue au sein du comité d’accompagnement de ce dossier, tout comme Infrabel, la SNCB et l’agence régional du stationnement bruxellois. Comme d’autres observateurs, la commune souhaite que le bureau d’études, à propos duquel elle dit n’avoir aucune information alors que le nom d’Aries Consultants a bien été suggéré par Beliris, soit exclu de tout futur marché lié à la ligne de métro, afin d’éviter un conflit d’intérêt. Le précédent du bureau BMN a manifestement marqué les esprits…

A ce sujet, la commune dirigée par Bernard Clerfayt (Défi), demande que les rapports intermédiaires de BMN soit rendus publics, comme les décisions du gouvernement qui justifient le raisonnement menant au projet actuel. « Il serait opportun pour les riverains, la commune et le Parlement de pouvoir comprendre les raisons derrière les décisions retenues, au-delà de tableaux chiffrés incompréhensibles, eux-mêmes issus de résumés d’analyses multicritères », tacle le collège de Schaerbeek.

Reste à voir si la Commission de concertation lui prêtera une oreille attentive.

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