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Médias : le gendarme de la déontologie sans matraque

Dérives, atteintes à la vie privée, parti-pris : le Conseil de Déontologie Journalistique est chargé de faire le ménage dans la presse. Mais il n’a aucun pouvoir de sanction. Et les mauvais élèves n’en font qu’à leur tête.

Ils vous énervent, bien entendu, ces journalistes qui « disent n’importe quoi », ces éditeurs qui publient des photos de corps ensanglantés, ces reporters qui rentrent dans votre vie privée. Ils vous énervent, on le lit assez souvent sur les réseaux sociaux, mais les consommateurs d’information sont assez peu enclins à porter plainte contre un journaliste : pour des milliers de lignes et d’images produites chaque jour, seulement 78 plaintes ont été déposées en Belgique francophone en 2012.

Après trois ans d’une existence plutôt discrète, le Conseil de Déontologie Journalistique (CDJ) a bénéficié d’un coup de projecteur à plusieurs reprises l’année dernière. Ce fut le cas au moment de la photo des petites victimes du drame de Sierre, du GSM « qui rappelle tout seul » lors de la rencontre Martin-Lejeune, ou encore du livre de Frédéric Deborsu. Oui, 2012 fut bien « l’année de la notoriété », comme l’annonce le CDJ dans son rapport d’activité. Le nombre annuel de plaintes a d’ailleurs fait un petit bond, passant de 50 à 78.

Pour autant, le nombre de « condamnations » est resté, lui, très peu élevé : neuf au total en 2012. « Le CDJ ne statue que sur le respect des normes déontologiques, explique André Linard, secrétaire général du CDJ. On peut très bien respecter les règles mais faire néanmoins du mauvais journalisme, vulgaire et racoleur. Seulement nous ne sommes pas là pour édicter des règles de bienséance. »

Au rayon des comportements prohibés, neuf journalistes ont appris l’an passé qu’ils ne pouvaient pas faire ce qu’ils ont fait : laisser visible la façade de maison d’un témoin anonyme (RTL-TVi), évoquer la vie privée de la présentatrice Caroline Fontenoy (Le Soir Magazine, Sudpresse), ne pas donner la parole à un fonctionnaire mis en cause dans un article (La Dernière Heure), citer des marques dans un pseudo-reportage sur les vacances de vedettes de la télé (Paris-Match), laisser un témoin accuser un ministre de harcèlement (RTBf).

A leur encontre, le CDJ a déclaré la plainte « fondée » voire « partiellement fondée ». Et… ? Et c’est tout. Les journalistes sont toujours en poste, ils n’ont reçu ni blâme, ni amende. Le CDJ n’a en effet aucun pouvoir de sanction, contrairement à un Ordre des médecins par exemple. « Les avis sont publiés dans le bulletin de l’association des journalistes, rétorque André Linard. La crédibilité professionnelle des journalistes qui ont reçu un avis négatif est touchée, c’est pour ça que c’est dissuasif. »

Vraiment ? Le rédacteur en chef de La Dernière Heure, Ralph Vankrinkelveld, affirme avoir une très bonne opinion du CDJ et il lui arrive même de solliciter spontanément son avis. Mais il n’a pas hésité à publier la photo d’un homme à la jambe arrachée après l’attentat de Boston. « Je pensais que j’allais me faire rappeler à l’ordre par le CDJ, s’étonne-t-il, et je suis passé outre. Mais il n’y a pas eu de plainte et quand j’ai évoqué le sujet par la suite avec eux, ils ont trouvé que la photo reflétait bien la violence de l’explosion ».

La tentation de faire le buzz sera toujours plus forte que la peur d’un gendarme aussi clément, comme en témoigne ce responsable de rédaction qui a demandé l’anonymat : « On nous a discrètement fait savoir que le CDJ s’intéressait à la fameuse vidéo de Stromae où il apparaît ivre en rue. Il est célèbre, cela se passe sur la voie publique, mais c’est sa vie privée. Personne ne savait à ce moment qu’il s’agissait d’un teaser pour son nouvel album. On a quand même laissé la vidéo plusieurs heures en ligne, histoire de bénéficier du buzz, avant de la retirer. »
Le calcul est vite fait : 10.000 clics, ça pèse plus qu’un gros doigt.

Diederick Legrain

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