Marie-Christine Marghem. © Belga

Marie-Christine Marghem, l’autre Jeanne d’Arc

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

A 52 ans, la ministre de l’Energie n’aime pas qu’on la contrarie. Elle porte d’ailleurs plainte en justice contre deux permanents syndicaux pour une action menée à son domicile le 5 juin dernier. Adepte du froncement de sourcils et du lancement de vannes, elle passe sous les missiles, convaincue que rien ne peut lui arriver. Même pas peur…

A l’époque, elle n’avait ni longs ongles vernis de bleu, ni bottillons à hauts talons, ni pantalon de cuir : pour grimper dans les arbres comme elle le faisait souvent, cela ne lui aurait été d’aucun secours. Pareil quand elle était gardienne de but, lors des interminables matchs de foot qu’elle jouait avec ses cousins.

Aujourd’hui nettement moins garçon manqué, la ministre Marie-Christine Marghem a rangé ses vieilles baskets. Restent le match et le combat, qu’elle a vissés aux entrailles. « C’est une guerrière, résume un ténor du MR. Rien ne l’arrête. » Sous ses sourcils, l’intéressée soupire d’aise. Confirme. Et assume. En commission parlementaire, où l’opposition l’attaque sans relâche sur l’avenir des réacteurs nucléaires de Doel 1 et 2, elle fixe souvent les députés de ses yeux sombres. Puis, d’un sourire silencieux bien qu’assassin, les fusille : c’est la guerre. « Je suis fondamentalement préparée à la rudesse du monde depuis toute petite », explique-t-elle. Dès lors, rien ne lui fait peur.

Sous la cuirasse de la ministre MR de l’Energie, on a du mal à imaginer l’enfant qui se rêvait danseuse. Faute d’entrechats, Marie-Christine Marghem a décidé très tôt de troquer les délicieux froufrous des tutus contre le pouvoir et les mots. Désormais, la parole serait son arme. Avec une obsession : ne jamais être la plus faible, même si la nature lui a fait cadeau d’un corps qui pourrait l’induire. Etre à tout le moins l’égale des autres, mais plus sûrement leur supérieure. Depuis des lunes, cette antienne est son moteur, alimenté par une volonté hors du commun. « On ne la comprend pas bien si on ne saisit pas ce ressort psychologique très fort chez elle », insiste un de ses proches.

On a compris. Fille aînée d’un père pharmacien et d’une maman mi-aide-pharmacienne mi-mère au foyer, elle a grandi au milieu d’une certaine bourgeoisie catholique tournaisienne. L’éducation qu’elle reçoit de ses parents aux tempéraments bien trempés (tiens donc ?) est plutôt sévère. De ces années, elle garde la mémoire des chants qu’elle entonnait dans la chorale Saint-Quentin, le sens de la famille, une certaine forme de foi. Et, dans l’oreille, la prédiction, lancée par cette marchande flamande qu’elle rencontrait souvent sur le quai du Marché aux Poissons : « De cette petite, on fera un avocat. »

Dont acte. « Mustang 100 000 volts » – c’est son totem – sort diplômée de l’université de Liège puis passe un an à la KUL. Elle ouvre un cabinet à Tournai, spécialisé dans les affaires familiales. En 1994, sollicitée par le PSC (Parti social-chrétien, ancêtre du CDH), elle se présente pour la première fois aux élections communales à Tournai. Comme toujours, elle s’est fixé un objectif et ne le lâche pas : elle est élue. Quatre ans plus tard, elle emboîte le pas à Gérard Deprez, ancien président du PSC, lorsqu’il crée le MCC (Mouvement des citoyens pour le changement), qui intègre, en 1998, la fédération PRL-FDF-MCC, ancêtre du MR. Elle s’y trouve bien, se considérant comme de centre-droit. Conservatrice sur les sujets éthiques – elle s’est prononcée contre l’adoption d’enfants par un couple homosexuel et contre l’euthanasie étendue aux enfants mineurs -, elle trouve au MR un espace où, sur ces questions, elle n’est pas contrainte de suivre une consigne de vote. « La liberté est un de mes traits de caractère fondamentaux », dit-elle. On la croit sans peine.

Karl Marx n’est pas inintéressant

Lorsqu’elle débarque dans le microcosme libéral tournaisien, c’est peu dire qu’elle est mal accueillie. Son attachement au MCC ne plaît pas à ceux qui se présentent comme des libéraux « purs ». Au point qu’une partie de la section locale du MR, emmenée par la sénatrice Marie-Hélène Crombez, refusera, en 2012, de figurer sur la même liste électorale que Marie-Christine Marghem, et créera une liste dissidente.

« Je me souviens d’une séance de présentation de liste électorale où tous les candidats avaient leur affiche exposée dans la salle, sauf Marie-Christine », confie le bourgmestre MCC Jean-Jacques Flahaux. La future ministre n’en a cure. Seule contre tous, elle avance. En quelques années, elle devient échevine, puis cheffe de file du MR à Tournai, dans l’arrondissement et à la province. Elle gagne car elle ne laisse rien au hasard. Et tue, au passage, Marie-Hélène Crombez. « Avec elle, tout est stratégie, témoigne un de ses comparses hennuyers. Elle serait capable de s’associer aux communistes si cela lui permettait de devenir maïeur, en affirmant que Karl Marx n’a pas dit que des conneries. »

Marie-Christine Marghem, l'autre Jeanne d'Arc
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Aux élections communales de 2006, elle compte 4 840 voix de préférence et six ans plus tard, 7 911, soit davantage que Rudy Demotte, son rival socialiste, ministre-président wallon et francophone. En campagne électorale, elle parcourt les rues de la ville à bord de la Marghemmobile, une camionnette Suzuki sans âge, dans laquelle elle s’installe pour saluer les Tournaisiens. Comme le pape, en somme…

Son objectif est limpide : elle veut le maïorat. « Il y a quelque chose de féodal qui se joue là, glisse Robert Delvigne, qui la remplace à Tournai : c’est la princesse qui défend sa ville. » Comme la princesse d’Espinoy, statufiée dans son armure de bronze, sur la Grand-Place de Tournai.

Pendant ce temps, au Parlement fédéral où elle siège depuis 2003, Marie-Christine Marghem se fait remarquer à la commission Justice et à la commission sur les abus sexuels au sein de l’Eglise. Cette juriste s’implique beaucoup dans la préparation de la loi sur l’indemnisation des victimes de catastrophes technologiques, comme celle de Ghislenghien. Plus récemment, elle préside la commission Dexia. Tous partis confondus, son travail de parlementaire est plutôt apprécié.

Octobre 2014. Au sein d’un gouvernement inédit, la Tournaisienne, qui aurait volontiers pris le portefeuille de la Justice cédé au CD&V, hérite de l’Energie, de l’Environnement et du Développement durable. Un dossier que beaucoup qualifient de pourri, à la veille d’un hiver qui pourrait voir se produire le premier blackout de l’histoire belge.

« Marie-Christine a été choisie parce qu’elle est membre du MCC, parce que c’est une femme et parce qu’elle est hennuyère », décrypte un parlementaire libéral. Peut-être faut-il aussi se souvenir que dans la guerre féroce qui avait opposé Didier Reynders et Charles Michel en 2009-2010, Marie-Christine Marghem avait pris fait et cause pour le second… Sa nomination n’en fait pas moins grincer quelques dents parmi ceux qui auraient volontiers pris la place, comme David Clarinval ou Jean-Luc Crucke, qu’elle traite désormais de Cruchot, du nom du maréchal des logis-chef joué par Louis de Funès dans la série des Gendarmes. Nommée ministre, Marie-Christine place (temporairement) son cabinet d’avocats dans les mains d’un associé, Henri Graulich. Elle confie son échevinat à son fidèle colistier Robert Delvigne, tout en gardant la maîtrise absolue sur tout ce qui se passe à Tournai. Puis, elle se plonge dans ses nouveaux dossiers. C’est une femme intelligente, dotée d’une excellente mémoire, et que le travail n’effraie pas. Et même ses ennemis reconnaissent qu’elle a assimilé une matière colossale et indigeste en six mois.

« Je suis juriste, quand même ! »

Mai 2015. Au Parlement, la question de la prolongation des réacteurs de Doel 1 et 2 explose. La ministre Marghem est accusée d’avoir caché un avis du Conseil d’Etat et de n’avoir pas informé les députés de l’existence d’un autre avis, rendu par un cabinet externe d’avocats. L’opposition se déchaîne, la majorité ne monte pas – ou peu – au créneau pour la défendre. Dans les travées, les noms d’oiseaux volent. On reproche à la ministre d’être arrivée en retard à la commission, de faire preuve de mépris envers les parlementaires, de mentir. « Du grand n’importe quoi », s’esclaffe-t-elle, rappelant à l’envi qu’elle est juriste depuis vingt-huit ans et qu’elle sait rédiger un avis. Olivier Chastel, le président du MR, et Charles Michel, Premier ministre, n’en jugeront pas moins publiquement que jouer davantage la transparence eût été opportun. D’autant que dans les rangs de la majorité flamande, on apprécie peu la méthode, et pas davantage le fond : Doel est en Flandre.

« Lors des premières séances, elle était explosive, pointe un député francophone. Puis, elle a été recadrée. Elle a un côté comédienne et un certain brio. » Comédienne, elle l’est évidemment. Ce n’est pas pour rien qu’elle a pratiqué la déclamation, l’art dramatique et la diction quand elle était adolescente. Ou organisé la revue du Barreau de Tournai pendant des années. Elle aurait même pu en faire un métier, si elle n’avait finalement tranché entre la psychiatrie et le droit…

« Il y a chez elle quelque chose de la théâtralisation, observe Catherine Fonck, députée CDH. Elle utilise beaucoup le non-verbal pour tenter d’imposer son point de vue. » De fait. Même quand elle ne parle pas, la ministre parle : elle lève les yeux au ciel, fait des mimiques, sourit ironiquement. « Ce sont mes yeux qui donnent cette impression, et le ton de ma voix, déclare-t-elle en riant de toutes ses fossettes. Mais je suis comme je suis. »

Habituée à être indépendante, d’abord dans son cabinet d’avocats puis au MCC dont elle est l’un des chefs de file, Marie-Christine Marghem n’est pas une adepte des logiques de parti. « C’est vrai que, parfois, ça frotte », s’amuse-t-elle. On l’a déjà vue lutter contre les siens dans le projet de loi sur les catastrophes technologiques. Il lui est aussi arrivé de se déchaîner contre la libérale flamande Annemie Turtelboom. Bref, elle a une certaine liberté de parole. « Elle va devoir apprendre à penser collectif », soupire-t-on au MR.

Vaste programme pour cette femme qui reconnaît et aime diriger sa vie comme un général-major et que la solitude n’effraie pas. « Je ne suis pas rancunière, mais j’ai beaucoup de mémoire, assène-t-elle, toujours en souriant. Il ne faut pas me marcher sur les pieds, surtout quand il y a de la place à côté. Je préfère être crainte que mal aimée. Dans ce monde, il y a les bons, et les méchants. » Elle ne supporte pas l’injustice, alors elle fait payer.  » Marie-Christine met tout le monde à genoux, confirme un de ses proches. Elle est exigeante. Et si vous n’êtes pas avec elle, vous êtes mort. »

L’art de casser les codes

A Tournai, ils sont quelques-uns à s’amuser de ce qui se passe au Parlement. « Elle fait pareil ici, signale un socialiste : manquer de transparence, raconter des bobards, donner l’impression qu’elle connaît ses dossiers sans que ce soit le cas. A Tournai, elle joue et elle peut sans doute se le permettre. Mais au fédéral, on ne joue plus. Son danger, c’est l’absence de limites. »

D’autant qu’elle est têtue. « C’est une femme qui porte ses dossiers jusqu’au bout. Mais quand elle a décidé qu’elle avait raison, il est très dur de la faire changer d’avis », relève la députée socialiste Karin Lalieu. « Je ne suis pas têtue mais déterminée », rectifie l’intéressée. Ah ! Les nuances…

Perçue comme froide et méfiante, Marie-Christine Marghem n’en est pas moins considérée comme très agréable à vivre par beaucoup de personnalités politiques, tous partis confondus. On la dit coutumière d’un humour rosse, conviviale, cultivée et bonne vivante. Elle rit aux éclats – et quels éclats ! – en écoutant l’émission de radio Votez pour moi ou en découvrant les caricatures qui sont faites d’elle. Lorsque, une fois par an, Gérard Deprez invite ses troupes pour une après-midi de détente, elle « s’ouvre », enchaîne un des convives. « Elle gagnerait à sortir plus souvent du mode combat car elle est, sur le fond, beaucoup plus humaine qu’elle ne le donne à penser. »

Elle aime d’ailleurs le beau : la musique, la peinture, la sculpture… Et les vêtements. « C’est un look, Marie-Christine, s’enflamme le chef de groupe MR Denis Ducarme. Elle casse les codes vestimentaires. » Dans la maison qu’elle partage avec son compagnon, le chef d’orchestre Norbert Nozy, elle invite ses proches à l’un ou l’autre récital dès qu’elle le peut. « Il n’y a que l’art qui réconcilie avec le monde », assure- t-elle. Nul doute alors qu’il lui en faut, de l’art…

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