Thierry Fiorilli

« Mais quand on dit ‘vingt vingt-et-un’, comme Alexander De Croo, ça a plus de gueule » (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

C’est bizarre, les mots. Une lettre varie, un son diffère et c’est une autre planète. Vingt vingt, ça sonnait comme un numéro d’appel au secours. Vingt vingt-et-un, au moins, ça fait code de sécurité.

C’est bizarre, les mots. Une lettre varie, un son diffère et c’est une autre planète. Passez par exemple de « Vérone » à « vérole », de « mieux » à « vieux », d’ « amante » à « amende », de « vain » à « vin », de « lame » à « l’âme », de « pitre » à « titre », ou « litre », ou « mitre » et vous voyez toute une palette de sentiments, d’images, de tons, de saveurs qui n’ont rien à voir entre eux ou elles. Pareil avec la façon de prononcer: le mot change de tête, de corps, de vie, d’odeur parce qu’un « r » a été très marqué, ou parce qu’on a traîné sur une syllabe, qu’on l’a craché ou déposé, qu’on l’a fait danser ou marcher au pas, qu’on a acéré ou cajolé ses voyelles, ciré ou souillé ses consonnes.

Vingt vingt, u0026#xE7;a sonnait comme un numu0026#xE9;ro d’appel au secours. Vingt vingt-et-un, au moins, u0026#xE7;a fait code de su0026#xE9;curitu0026#xE9;.

Et ça vaut pour les chiffres. Qui, eux, en plus, muent et mutent selon leur environnement. Seuls ou en bande? Façon queue devant des toilettes publiques ou en escouades de commandos? Prenez le « 4 ». « Quatre ». Ou « quat », ou « khâât ». Il n’est ni majestueux, comme le sont le « 10 », le « 50 », le « 100 » ou le « 1 000 » – au-delà, c’est vite prétentieux, trop massif – ni mignon (comme le « 2 ») ni moelleux (ce que sont le « 6 » et le « 8 ») ni intimidant (le « 1 », le « 7 » et le « 11 » le sont, parce qu’ils se tiennent droit, qu’ils semblent émerger de la masse, un peu superviseurs, un peu mystérieux, séduisants officiers au bal du château, à la fois athlètes de haut niveau et multidiplômés). Le « 4 », il ne ressemble à rien. On dirait qu’il est raté, pas fini, qu’il va tomber en arrière, ou qu’on lui a claqué la porte au nez. Le « 4 », c’est le truc moyen. Les recettes de cuisine, c’est pour 4. Le modèle familial bateau, c’est 4. On reste entre 4 murs. Le monde a 4 coins. Les points cardinaux? Quatre. Les saisons, quatre. Les éléments, quatre. La bulle sanitaire, quatre. La défense classique au foot, quatre. Les couleurs, au cartes, quatre. Le nombre standard pour monter un groupe rock, quatre. Bref, un cliché sur une patte. Sauf en Asie où, dans beaucoup de pays, il porte malheur, parce qu’il symbolise la mort. Mais attention! Envoyez-lui des renforts et c’est une autre chanson. Le 4×4, ça secoue. La 4L, ça émeut. Le C4, ça assomme. Avaler l’escalier quatre à quatre, c’est fort. 1984, chef-d’oeuvre. Le « 14 », chiffre magique. Les quatre vérités, c’est du lourd. A la six-quatre-deux, ça frise le chaos. Quatre chevaliers, et c’est l’Apocalypse. Entre quatre-z-yeux, on s’en souvient toujours. Un de ces quatre matins, ça va barder. Si on se coupe en quatre, c’est vraiment intensif. Et donc, là, on est tout de suite très loin du « 4 » en mode eau tiédasse clapotante. Il nous fait sentir ce que vivre veut dire, quand on le regarde de plus près.

De quoi se persuader que l’année qui commence ne pourra qu’être meilleure que celle qui finit. 2021. Ça n’a pas une allure folle, ça fait resucée de film d’anticipation. Mais quand on le dit « vingt vingt-et-un », comme Alexander De Croo, ça a plus de gueule. La combinaison d’un coffre. Un code de sécurité. Le chiffre tatoué sur l’omoplate de l’héroïne. Le mot de passe qui fait s’ouvrir le palais des délices. Alors que « vingt vingt », évidemment que ça sonnait comme un numéro d’appel au secours.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire