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Magritte, ce jeune tyran

Le Vif

« Possédé du diable » ! Enfant, le pape du surréalisme belge se riait de la discipline, s’amusait au cimetière, jouait des poings… Le psychanalyse Jacques Roisin s’est livré à une minutieuse enquête sur les premières années de René Magritte.

Jacques Roisin s’est lancé, entre 1985 et 1998, dans la biographie de la jeunesse du peintre surréaliste, opus réédité aujourd’hui (1) ? Une terra incognita que René Magritte (1898-1967) lui-même avait quasiment oblitérée, sinon à travers deux souvenirs d’enfant censés justifier sa propension au mystère. N’avait-il pas décrété : « Je déteste mon passé et celui des autres », allant jusqu’à douter du prénom de son propre père et renâclant à retourner dans les villes du « Pays noir » où il avait grandi. Les lieux du crime ? En tout cas « l’indice d’un quelque chose à cacher qui justifierait l’entreprise biographique », estime Michel Draguet, le directeur du musée Magritte, à Bruxelles (2).

L’enquête du psychanalyste allait de toute façon mettre en pièces l’idéal, tant Magritte et ses frères, dans le souvenir des gens qui les avaient côtoyés à Châtelet, Lessines ou Charleroi sont systématiquement dépeints comme des « tchaukîs », comme on dit en dialecte picard, des « possédés du diable ». En complet porte-à-faux avec l’attitude bien connue du peintre, petit bourgeois routinier, ennuyeux à souhait et tellement provincial avec son manteau raide et cet indécrottable chapeau melon que l’on retrouve dans nombre de ses toiles.

Dès que Jacques Roisin se mit à gratter, les langues se délièrent pour conspuer ces « bons à tout » qu’étaient les fils Magritte, à commencer par René, le mauvais génie des excréments. Il en badigeonnait les poignées de porte, les dissimulait dans des pièges à passants, les déversait par seaux entiers. N’est-ce pas une dernière attaque du genre, contre le pianiste du cinéma du dénommé Zénon Emplit, que Magritte adorait fréquenter pour y voir son héros, Fantomas, qui contraindra la famille à quitter la région du Centre ? A moins que ce ne soit une énième provocation à l’adresse de l’occupant allemand, durant la Première Guerre mondiale. Suite à une invasion de mouches, les Allemands avaient affiché une pancarte dans l’école de Magritte : « Tuez les mouches ou les mouches vous tueront »… qui deviendra un matin : « Tuez les Boches ou les Boches vous tueront ». « C’est René », jura à Jacques Roisin Raymond Pétrus, un ancien camarade. « Et il ne s’est jamais dénoncé ! »

Il faut dire que l’ordre ne règne pas à la maison. Magritte père, marchand tailleur, originaire de Pont-à-Celles, ne reste pas en place : Lessines, Gilly, Châtelet, Charleroi, Bruxelles, sans compter les nombreux voyages que lui imposent ses activités de représentant de commerce. Roisin révèle un homme hautain, imbu de lui-même, coureur et dépensier, méprisant la « populace ». Il tyrannise sa femme, Regina Bertinchamps, trop bonne et d’humeur dépressive, aussi catholique que son mari était anticlérical. Léopold Magritte se mettait en colère quand on osait critiquer l’attitude de ses fils, mais il ne fait aucun doute qu’il était un père et un mari absent.

En février 1912, Régina Bertinchamps se jette dans la Sambre après plusieurs tentatives de suicide. « Un accès de fièvre chaude », avance la presse de l’époque. Il y aura un avant et un après suicide. Selon l’auteur, un lien secret va se tisser entre le décès de sa mère et la transformation du jeune tyran en peintre. « C’est comme si les actions réalisées jusqu’alors par les uns et les autres n’avaient fait que déployer des lignes d’influence d’une force centripète. Le temps suivant avait été celui d’une force centrifuge », souligne Jacques Roisin en achevant son récit.

Par Xavier Flament

(1) René Magritte, La première vie de l’homme au chapeau melon, par Jacques Roisin, Les Impressions Nouvelles, 256 p. Jacques Roisin publie par ailleurs Le fils de l’homme, Le récit généalogique de René Magritte, Les Impressions Nouvelles, 64 p.

(2) René Magritte, par Michel Draguet, biographie construite à partir d’une chronologie publiée en 2009 à l’occasion de la création du Musée Magritte, à Bruxelles, Folio Biographies, 416 p.

La suite du récit dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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