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Magnette: « Je veux gouverner avec la société, pas contre elle »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le ministre-président wallon affiche une méthode en rupture avec celle du gouvernement Michel. Au Vif/ L’Express, il évoque ses recettes pour préserver la paix sociale. Non sans dénoncer les dysfonctionnements du Comité de coopération avec le fédéral.

Depuis juillet 2014, Paul Magnette dirige la Wallonie, une ministre-présidence à laquelle il a conféré une certaine réserve en début de législature. Vingt mois plus tard, il se confie longuement au Vif/L’Express, à l’heure où l’action de son gouvernement est enfin visible. « Je suis vraiment très heureux là où je suis, je suis passionné par l’enjeu wallon », insiste-t-il. Irrité de devoir « le répéter toutes les semaines ». Le numéro un wallon le reconnaît toutefois sans ambages : la période actuelle est vertigineuse en raison de la rigueur budgétaire, d’un fédéralisme grippé et de la crise de la démocratie. Dans ce climat anxiogène, une priorité : « Gouverner dignement. » Voici ses credo et ses défis.

1. « La Wallonie a raccroché »

Comment va la Wallonie ? A l’heure de présenter son deuxième état de santé de la Région au parlement, ce 24 mars, le ministre-président refuse de simuler l’euphorie. « Je n’ai jamais voulu employer la méthode Coué en affirmant que tout va bien, déclare-t-il. Depuis mon arrivée, j’ai essayé d’introduire un peu de nuance dans un débat caricatural entre ceux qui affirmaient que tout va mieux et ceux qui criaient au désastre. Il y a toutefois un fait incontestable : la Wallonie a raccroché… »

C’est en 1966 que la Wallonie s’est enfoncée dans la crise. Il y a cinquante ans, l’année où la Flandre l’a rattrapée ! « Depuis la fin des années 1990 et la mise en place du plan Marshall, tous les chiffres montrent que l’écart entre nord et sud ne s’est plus creusé. Vous allez me dire : ce n’est que ça? Oui, mais retrouver la moyenne de la zone euro, c’était la première étape. » Le socialiste évoque d’autres signaux positifs. Les petites et moyennes entreprises ont atteint un seuil de rentabilité équivalent à celui des PME flamandes, « ce qui était loin d’être le cas pendant très longtemps ». Le taux d’investissement des PME sur fonds propres est « meilleur en Wallonie qu’en Flandre ». Et le taux de dépenses en recherche et développement est bon. « Ce sont les indicateurs d’un redressement à long terme. »

Paul Magnette tord le cou aux oiseaux de mauvais augure : « Arrêtons de faire comme si nous étions toujours une Région complètement à la traîne. Ce n’est plus vrai! Nous avons de vraies pépites technologiques. Le journal économique flamand De Tijd, qui n’est jamais tendre avec nous, titrait au moment de l’entrée en Bourse d’une start-up à Gosselies : « Biotechnologies, le nouvel acier de la Wallonie. » C’est en partie vrai. Le milliardaire flamand Marc Coucke vient investir chez Mythra et Pairi Daiza, c’est révélateur. Des secteurs historiques comme l’aéronautique spatiale se portent très bien: Techspace et la Sonaca nous versent des dividendes inespérés. »

Bref, il y a de l’espoir, même si Paul Magnette ne nie pas « un taux de chômage trop élevé et inacceptable chez les jeunes » : « Cela doit nous obséder jour et nuit. Notre plus grand défi, c’est notre démographie vigoureuse. Si nous avions celle de l’Allemagne, nous serions au plein emploi. »

2. « L’équilibre en 2018 ? 2019 ? Nous verrons ! »

L’avenir wallon est toutefois hypothéqué par un profond marasme budgétaire. « Les difficultés sont colossales », reconnaît le ministre-président wallon. Les effets de la nouvelle loi de financement, les mesures du fédéral et les ajustements européens creusent le trou. « 1,3 milliard de déficit nous est imposé de l’extérieur, souligne-t-il. Tout le monde se demande ce qui va se passer après 2025, quand le mécanisme de solidarité sera remis en question, mais on oublie qu’il sera démantelé en dix ans. Les économies à réaliser seront alors de 598 millions. Nous devons faire aujourd’hui, en une législature, deux fois plus d’effort que ce que l’on devra faire à ce moment-là, en dix ans ! » Un gouffre.

Voilà pourquoi Paul Magnette avoue « assumer un déficit très important », supérieur à 450 millions. « Ça ne m’amuse pas de creuser la dette wallonne, mais ce n’est pas dans les années creuses qu’il faut faire cet effort. Je ne sais pas quand nous retrouverons l’équilibre, mais je ne suis pas obsédé par une date. 2018 ? 2019 ? Nous verrons… »

Le plus important? Préserver la cohésion sociale. « Pour moi, c’est un miracle qu’on s’en sorte avec une société wallonne aussi sereine. On n’a pas de manifestation contre le gouvernement wallon et la société n’est pas à feu et à sang. Voilà l’essentiel. »

3. « Nous gouvernons dignement »

Depuis son arrivée à l’Elysette, le Carolo a fait de la concertation sociale une priorité. « Il faut gouverner avec la société, pas contre la société, scande-t-il. Certains, tant le premier ministre socialiste Manuel Valls en France que la droite chez nous, ont adopté une posture: ‘Je suis un homme politique courageux, je décide, même si je vais mettre tout le monde dans la rue’. C’est le choix de la facilité. La vraie difficulté consiste à mener un travail long, patient – discret, malheureusement… – pour convaincre et mobiliser. C’est plus efficace. »

Voilà pourquoi la réforme des aides à l’emploi, une compétence transférée par la sixième réforme de l’Etat, a mis du temps à voir le jour, suscitant les railleries de l’opposition. « Cette réforme, j’aurais pu vous l’écrire en quelques jours avec quelques experts ! Mais on aurait reçu des critiques de toutes parts et les patrons l’auraient jugée inutilisable. On a pris un temps fou pour discuter, j’y ai mis beaucoup d’énergie personnelle. Mais les partenaires sociaux sont arrivés eux-mêmes à 95 % du résultat. »

Le ministre-président défend ainsi son « modèle mosan »: « Les études de l’OCDE montrent que les pays les plus modernes, les plus efficaces sont ceux où il y a le meilleur dialogue social. On cite les pays nordiques en exemple, mais on oublie que ce sont ceux qui ont le taux de syndicalisation le plus fort. Quand on implique les partenaires sociaux dans la décision, on arrive à des résultats mieux acceptés. Et ça construit un syndicalisme de projet, plutôt qu’un syndicalisme de résistance. C’est ce à quoi on travaille en Wallonie. »

Au coeur d’une Belgique polarisée comme jamais, la Wallonie constituerait donc une forme de laboratoire de ce que son ministre-président appelle « gouverner dignement ». « Nous avons un partenaire (NDLR : le CDH) qui partage beaucoup de sensibilité avec nous. Ayant un lien régulier avec une grande organisation syndicale, il sait ce qu’est le dialogue social. Même s’il est plus petit que nous, c’est un parti de masse ; enraciné dans la société, avec beaucoup de liens dans le secteur associatif, dans l’enseignement… La méfiance est beaucoup plus forte avec le MR qui n’aime pas les corps intermédiaires. Nous, nous gouvernons dignement, dans une époque très difficile, au climat anxiogène et avec une rigueur budgétaire terrible… »

Et si des errements coupables ont eu lieu dans la gestion et dans le contrôle de l’Office wallon des déchets, Paul Magnette les condamne fermement et assure mettre tout son « poids politique pour réformer la fonction publique ».

4. « Les Wallons doivent acheter wallon »

L’autre clé du redressement ? Le développement d’un patriotisme wallon, sur le modèle flamand. « Les Wallons n’achètent pas assez wallon, alors que les Flamand vont tout faire pour acheter flamand. Quand on prend la part des produits qu’une entreprise achète dans sa propre Région, on est pratiquement du simple au triple entre la Flandre et la Wallonie. Ça a été un élément essentiel du redressement flamand, c’est incontestable. Les Flamands ont créé de vrais écosystèmes économiques. En Wallonie, pas encore assez. C’est pour ça que je lance un tel appel, pas pour la beauté du geste. »

Il est vital d’attirer en Wallonie une part de l’économie de services aujourd’hui cantonnée à Bruxelles ou au Luxembourg, explique Paul Magnette. « Une nécessité, si l’on veut un PIB qui rejoint la moyenne européenne. J’ai fait le tour des banques, des bureaux de consultance pour qu’ils installent leur siège social chez nous. Petit à petit, ça prend. Un des enjeux pour la Wallonie, c’est de garder sur son territoire les effets induits par son propre développement. » Ce patriotisme économique, poursuit-il, est réalisable sans grande difficulté pour beaucoup d’entreprises. C’est un réflexe culturel à acquérir. Gratuit.

5. « Une majorité pour régionaliser »

La fonction faisant l’homme, Paul Magnette est devenu un régionaliste convaincu. Il a rejoint les rangs de ceux qui plaident pour un transfert à la Wallonie de compétences communautaires. En restant réaliste. « Je ne suis pas favorable à une septième réforme de l’Etat. Quand on met le pied là-dedans, on ne sait pas où ça se termine. C’est le piège vers lequel la N-VA essaie de nous entraîner. Par contre, utiliser les facultés que nous donne la Constitution pour réorganiser les compétences francophones, c’est du bon sens. Ce serait positif de recréer des paquets de compétences plus clairs et plus homogènes. Il y a d’ailleurs un assez large consensus pour le faire… »

Le ministre-président cite le secteur des crèches ou des sports. Et la culture ou l’enseignement, secteurs autrement plus stratégiques ? « A terme, oui. Mais j’ai le sens du temps en politique et ce n’est pas mûr maintenant, il n’y a pas de majorité pour ça. » Pas même alternative, avec les libéraux, qui ont mis le dossier sur la table ? « Non. Mais je sens que le CDH a bougé, j’en ai parlé beaucoup avec eux. Au MR, il y a un courant régionaliste fort, chez nous aussi et chez Ecolo il y a une ouverture pragmatique. »

Paul Magnette se dit partisan de la « ligne Marcourt » portée par son ministre de l’Economie : « Ne coupons pas les liens entre la Wallonie et Bruxelles, mais posons-nous la question de savoir comment nous construirions la Fédération si elle n’existait pas. »

6. « Le Comité de concertation ? Une comédie… »

En raison des majorités asymétriques au fédéral et dans les Régions francophones, le fédéralisme de coopération s’est mué en fédéralisme de confrontation. Paul Magnette ne dément pas le constat, préoccupant : « Les rouages sont tout à fait grippés. Le Comité de concertation est une vaste comédie, il faut le dire tel quel. C’est une grande table où le gouvernement fédéral se met d’un côté et les Régions de l’autre. Le Premier ministre ânonne les points à l’ordre du jour… Ceux sur lesquels il y a eu un accord en groupe de travail, on les entérine ; pour les autres, on crée un groupe de travail. Il n’y a pratiquement aucune discussion. On le réunit tous les mois, oui, mais on le réunit pour ne rien faire. »

C’est le fruit d’une absence de volonté politique, selon lui. « Regardez la DLU (NDLR : la régularisation fiscale). Tel quel, c’est un mécanisme de blanchiment d’argent fiscal permanent, on ne peut pas l’accepter. Nous étions prêts à discuter de mécanismes de régularisation avec des balises, mais le fédéral ne veut pas ! Ils ont préféré éliminer tout ce qui relève des compétences régionales pour faire les choses dans leur coin. »

Paul Magnette « assume les conflits ». « Je n’ai pas de problème avec ça. C’est l’essence de la politique. Mais il y a un agresseur et un agressé, on a tendance à l’oublier ! » Et le Wallon de charger le gouvernement fédéral… Il rappelle trois conflits, « dont deux un peu sonores », au sein du Comité de concertation. « Le premier, sur le problème budgétaire, était dû à une erreur 100 % fédérale. C’était d’ailleurs la première grosse bourde de M. Van Overtveldt : 750 millions, c’est colossal! Je me suis presque fait engueuler parce que je protestais. Six mois après, il est apparu que nous avions raison, mais nous n’avons pas reçu d’excuses… Le deuxième conflit concernait le tax-shift. Il y a eu une volonté délibérée du fédéral de ne pas faire de concertation. Par esprit de revanche, je ne peux pas l’expliquer autrement. Or, il y avait moyen d’atteindre le même objectif en neutralisant l’impact sur les entités fédérées. Je l’ai dit à Charles, mais c’est resté sans suite. » Le troisième conflit concernait le pacte climatique. « Le Premier ministre a exprimé un mensonge éhonté et caractérisé en accusant, au Parlement, la Wallonie d’être à l’origine du blocage. Je ne pouvais pas laisser passer ! Au téléphone, il m’a répondu que ce n’était pas tout à fait cela qu’il avait dit. Mais je me suis repassé la bande et, oui, c’était exactement cela… Or, j’étais en contact tous les jours avec Geert Bourgeois (NDLR : ministre-président flamand N-VA) pour tenter de trouver des solutions. Charles Michel est un joueur, un bagarreur. Pour ma part, j’attends toujours que l’on me donne un fait, un seul, où c’est la Wallonie qui aurait agressé le fédéral. »

Le Comité de concertation, plaide Magnette, devra être modifié lors d’une prochaine réforme de l’Etat. « Il faut créer un équivalent du Bundesrat allemand, un vrai lieu de concertation. Notre Comité de concertation a la nostalgie de la Belgique unitaire : c’est le Premier ministre qui convoque, qui fait les ordres du jour, qui le préside, qui le tient dans ses locaux… Or, il devrait avoir lieu tour à tour à la place des Martyrs, à Namur, au siège du gouvernement bruxellois, à Eupen… pour symboliser le fédéralisme de coopération. »

Comme pour mieux épingler la responsabilité de Charles Michel, Paul Magnette prolonge : « A l’étage inférieur, les conférences interministérielles fonctionnent. Au sein de celle des Affaires étrangères, à laquelle je participe, il y a un vrai dialogue, sans déclarations sur les trottoirs, ni déclarations unilatérales du Premier ministre à la sortie. Didier Reynders préside de manière collégiale et très correcte. Ça prouve qu’il est possible de coopérer. Il faut de la volonté et elle n’est pas là pour le gouvernement socio-économique ! »

7. « L’aggiornamento du PS doit aller loin »

« Militant socialiste », comme il se décrit, Paul Magnette est par ailleurs préoccupé par l’avenir de son parti. Il a contribué à la réflexion collective en publiant un livre : La gauche ne meurt jamais. La priorité : réinventer de nouveaux combats progressistes.

« Nous vivons une période où l’évolution de la société va à une vitesse colossale. Quand le philosophe Michel Serres dit que la transformation du numérique est aussi importante que la naissance de l’écriture ou de l’imprimerie, je pense qu’il a raison. Cette révolution génère un potentiel d’émancipation extraordinaire pour les individus, mais elle diffuse aussi des messages de haine, de radicalisation. L’enjeu pour la gauche, c’est de faire en sorte que le meilleur en ressorte. Que toutes les tâches pénibles soient numérisées, c’est formidable, c’est le rêve du socialisme depuis toujours. C’est une libération extraordinaire, à condition que tout le monde en profite. Si c’est pour que certains se retrouvent sans boulot, désespérés, avec des allocations sociales de misère pendant que d’autres font des fortunes colossales, ça n’a pas d’intérêt. »

Le Chantier des idées initié au PS par Elio Di Rupo doit tracer le sillon de ces nouveaux combats de la gauche. « C’est une sorte de psychanalyse du parti, détaille Paul Magnette. Chaque atelier conduit à des choses assez décapantes. Lors du dernier en date, l’ancien Premier ministre italien Massimo D’Alema a dit que l’Internationale socialiste était morte. Il l’avait déjà exprimé à Florence à la fin des années 1990 et le PS n’avait pas du tout adhéré à ce raisonnement-là. Maintenant, je dois reconnaître que son argumentation nous a convaincus. Pour les socialistes, c’est un choc ! Si on aboutit à conclusions comme celle-là dans chaque domaine, ce sera l’aggiornamento le plus profond de notre histoire. »

En tant que président du PS, Elio Di Rupo, estime Paul Magnette, doit donc faire la synthèse. « Si ça part dans tous les sens et qu’on connaît comme nos amis français l’ont connu des motions dont le spectre est trop large, ce n’est pas utile. Il faut qu’Elio cadre tout ça, c’est normal. Moi, j’apporte des pièces au dossier. Je ne suis pas du tout dans l’optique d’un Manuel Valls qui veut changer le cours du parti, transformer le PS, changer son nom, pas du tout… Mais plus le temps passe, plus je me dis que l’aggiornamento doit aller loin. Je pense par exemple qu’il va nous falloir une refonte radicale de la démocratie, parce que je suis très inquiet de voir la profondeur du dépit politique. La politique ne survivra que dans une dynamique post-représentative, c’est une conviction très profonde chez moi. Or, la gauche est intrinsèquement liée au défi de la démocratie, ça a toujours été notre moteur. On ne peut pas passer à côté d’un tel défi… »

Ce n’est pas le politologue qui parle, conclut Paul Magnette, mais le « démocrate inquiet ». Un ministre-président aux aguets.

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