Carte blanche

Lutte contre les violences faites aux femmes: plus d’investissement est nécessaire

La Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes est l’occasion de nous rappeler qu’en Belgique, les femmes subissent encore de nombreuses violences, qu’elles soient psychologiques, physiques, sexuelles ou institutionnelles. D’année en année, la marche nationale organisée par la plateforme Mirabal autour de cette date rassemble de plus en plus de personnes révoltées par le fait que malgré les Plans d’action successifs, malgré les dizaines de mesures accumulées année après année, la violence persiste et signe.

Au moins 21 femmes ont été victimes de féminicide cette année. En 2018, une étude de Vie féminine a montré que 98 % des femmes sont victimes de harcèlement dans les lieux publics. Un sondage réalisé en 2014 par Amnesty International a montré que près d’un quart des femmes interrogées ont été victimes de viol conjugal, et 13 % de viol en dehors du couple. Avec, en toile de fond, un appel latent à la violence et au viol dans les médias et dans la publicité. Qu’a à nous dire une société dans laquelle une marque se permet encore d’utiliser une scène de violence conjugale pour vendre des hamburgers ? Dans laquelle un philosophe peut appeler les hommes au viol conjugal à la télévision, sous couvert de l' »ironie » ? Ces deux exemples nauséabonds parmi tant d’autres participent de ce que l’on appelle la « culture du viol », entraînant une terrible banalisation de la violence à l’égard des femmes.

Belgique : peut (vraiment) mieux faire

La lutte contre ces violences, et contre le système patriarcal qui en est à l’origine, doit être une priorité absolue pour les pouvoirs publics. Les organisations féministes le répètent depuis des années et les autorités semblent de plus en plus enclines à agir pour y mettre fin. La ratification de la Convention du conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (appelée également Convention d’Istanbul) par la Belgique en 2016 a été la concrétisation de cette volonté, mais, dans les faits, seule une partie des obligations qui lui incombent sont réellement appliquées. Un collectif de plus de cinquante organisations belges a publié début 2019 un rapport alternatif sur l’application de la Convention, montrant que le travail à faire pour se débarrasser des violences faites aux femmes était encore colossal.

Une conférence interministérielle a été tout récemment annoncée par Nawal Ben Hamou, Christie Morreale et Bénédicte Linard, ministres en charge de la compétence égalité des chances/droits des femmes à différents niveaux de pouvoir. Si la coordination entre les gouvernements est primordiale, notamment dans le cadre de la rédaction des futurs Plans d’action national et intra-francophone de lutte contre les violences sexistes, cela ne doit pas nous faire oublier l’importance qu’une politique, aussi concertée soit-elle, n’a aucun avenir si elle ne dispose pas des budgets nécessaires. Jusqu’ici, les Plans d’action précédents se sont résumés à un étalage assez complexe de mesures qui ne disposaient d’aucun budget attitré, ce qui, au final, n’apportait que frustration et désillusion. Aujourd’hui, il est plus que temps que nos autorités comprennent que les multiples déclarations de bonnes intentions ne suffisent pas et que la lutte contre les violences faites aux femmes a un prix. Pas dans la bonne direction : le gouvernement wallon a décidé de doubler le budget consacré aux violences conjugales, mais nous sommes encore loin du compte.

Une priorité absolue

Les ministères de l’Intérieur et de la Justice doivent également en faire une priorité. Dans le Plan national de sécurité (PNS) 2016-2019, les violences intrafamiliales et sexuelles font partie des 10 phénomènes de sécurité auxquels une attention toute particulière doit être apportée. En l’absence d’un nouveau gouvernement, ce Plan est prolongé jusqu’à fin 2020, mais des sources bien informées nous ont rapporté qu’il n’était pas assuré que les violences faites aux femmes soient maintenues dans le prochain plan. Alors que selon les statistiques de criminalité diffusées par la police, le nombre de viols déclarés a augmenté entre 2014 et 2018, passant de 3188 à 3416.

L’effacement de ce type de violence du PNS reviendrait à en nier la gravité et l’importance et participerait à la banalisation de celle-ci. En outre, comment attendre de nos institutions qu’elles les combattent de manière optimale si elles ne sont plus prioritaires ? Comment s’assurer qu’elles améliorent les enquêtes et les poursuites ? Comment obtenir qu’elles renforcent la formation de base du personnel policier et judiciaire à la prise en charge les victimes de violence, qui est déjà minimaliste (voire inexistante dans certains cas) ? Face à l’ampleur du phénomène, il serait absolument incompréhensible, contre-productif et contraire aux objectifs de la Convention d’Istanbul que les ministères de l’Intérieur et la Justice passent ces violences sous le tapis.

Zoé Spriet-Mezoued

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