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Loi de financement : pourquoi la Wallonie a échappé au pire

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le Sud du pays perdra structurellement un demi-milliard d’euros… mais dans vingt ans seulement. Un scénario raisonnable qui lui laisse le temps de se redresser. Mais un fameux défi, avec la rigueur annoncée.

« Heureusement que nous n’avons pas dû négocier cette réforme de la loi spéciale de financement avec la N-VA. Parce qu’au bout du compte, la Wallonie ne s’en sort pas si mal que ça, même si ce sera difficile… Imaginez ce qu’il en aurait été avec les nationalistes. » Le cri du coeur – « absolument off the record ! » – vient d’un ténor francophone du gouvernement fédéral à l’heure où les huit partis représentés dans le Comori (Comité de mise en oeuvre des réformes institutionnelles) concluent dans la douleur la négociation consacrée au volet le plus délicat de la sixième réforme de l’Etat. La loi spéciale de financement est l’ossature budgétaire belge, celle qui répartit les moyens financiers entre les différentes entités du pays pour assumer les compétences qui leur reviennent.

Comme pour valider cette exclamation ministérielle, la N-VA s’est rappelée, la semaine passée, au bon souvenir des négociateurs en fustigeant le nouveau mécanisme mis en place. Le leitmotiv nationaliste est toujours le même : il faut rendre plus transparents les transferts financiers allant de Flandre vers la Wallonie. Ceux-ci, affirme le parti de Bart De Wever, s’élevaient à huit milliards d’euros en 2010. L’essentiel (61%) de cette somme concernerait les transferts en matière de sécurité sociale, qui reste fédérale, mais un petit quart (23%), soit environ 1,7 milliard, serait précisément généré par le mécanisme de solidarité de la loi spéciale de financement actuelle. « Avec le nouveau modèle mis en place par les négociateurs, la Flandre pourrait payer une facture de quelque deux milliards d’euros environ à l’horizon 2030 », clament les nationalistes. Un chiffre hautement contesté de toutes parts. La N-VA, elle, prône un système de transparence absolue, avec des budgets distincts pour chaque Région. Elle ne se dit pas opposée à la solidarité mais grince : « Chaque travailleur flamand paye 3 000 euros par an pour la Wallonie et Bruxelles. C’est trop. »

La Wallonie a-t-elle effectivement échappé au pire avec la nouvelle loi négociée sans la N-VA ? La Flandre est-elle flouée ? Le fédéral sauvé ?

La nouvelle loi de financement modifie considérablement les règles du jeu en renforçant fortement l’autonomie fiscale pour les Régions. Elle leur donne des leviers de responsabilité qui leur permettront d’influer plus fortement sur leur destin. Jusqu’ici, les Régions étaient financées via une dotation fédérale liée à l’impôt sur les personnes physiques (IPP), soit quelque 12 milliards d’euros indexés. A partir du 1er janvier 2015 – vraisemblablement, la date exacte d’entrée en vigueur devant encore être tranchée -, on passera à un système d’impôts conjoints. Traduction ? Les Régions pourront jouer sur un quart de la masse fiscale via des centimes additionnels, pour autant qu’elles ne modifient pas la progressivité de l’impôt et qu’elles ne provoquent pas de concurrence fiscale. Selon l’accord, les recettes d’additionnels s’élèveraient à 10,736 milliards d’euros.

« Nous avons analysé les perspectives budgétaires en tenant compte du fait que les Régions assumeront de 40 à 45% de compétences supplémentaires et en supposant qu’elles ne prennent aucune décision imposant des dépenses nouvelles, explique Robert Deschamps, professeur émérite d’économie à l’université de Namur. A condition d’être rigoureux, chaque entité peut arriver à l’équilibre budgétaire d’ici cinq ou six ans au plus tard. Il sera possible d’éviter de rentrer dans un système d’endettement, mais ce sera serré. »

Attention, prévient-il : « Chaque Région pourra, plus largement qu’aujourd’hui, modifier via des additionnels l’impôt des personnes physiques. Mais elle devrait éviter de le faire car c’est en réalité un impôt sur le travail. Dans un premier temps, cela réduirait le pouvoir d’achat des habitants mais surtout, par la suite, cela accroîtrait vraisemblablement les coûts salariaux à l’occasion des négociations salariales par entreprise. Ce qui aurait des effets négatifs sur l’emploi régional. » Bref, un cercle vicieux à éviter à tout prix.

Il faudra toucher aux pensions

Le cauchemar de la rigueur risque pourtant d’être encore long : lundi, la Banque des règlements internationaux, la plus ancienne institution internationale dont les banques centrales sont les actionnaires, estimait que la Belgique devrait encore économiser pas moins de 34 milliards d’euros ces neuf prochaines années, compte tenu du fait que le vieillissement de la population coûterait 8% du PIB !

Or la loi de financement intègrera d’ores et déjà un critère important, dès son entrée en vigueur : la responsabilisation pensions. En clair : une rétribution va être versée par chacune des entités fédérées pour payer les pensions des fonctionnaires statutaires. Précisément ce qui noie déjà pour l’instant les communes et Provinces. « Les Régions et Communautés peuvent répondre à ce défi, soit en y affectant une part plus élevée de leurs moyens budgétaires, soit en relevant progressivement l’âge effectif de la mise à la retraite », dit Robert Deschamps.

Le tabou, actuellement à l’étude d’une commission d’experts au fédéral, devra un jour ou l’autre être transgressé.

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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