Lettre de Pierre Kroll, caricaturiste, à Paul Magnette: « Vous pourriez peut-être marquer l’histoire de ce non-pays »

Le Vif

Cher Paul Magnette,

Je suis parfois las de vivre dans ce non-pays.

Je m’épuise à répéter que c’est tellement bien d’avoir une identité faible, tant d’autodérision, de modestie, que nous sommes surréalistes et que c’est tellement formidable … mais j ‘en ai marre de me mentir. J’aimerais m’épanouir dans une Belgique qui fonctionne au mieux de son potentiel, qui utilise tous ses avantages – dont ses trois langues – et qui cesse de les subir, mais ce n’est visiblement pas possible. Ils sont trop nombreux à vouloir l’empêcher par calcul ou par médiocrité.

Alors, il m’arrive de penser que la Wallonie devrait partir, ou presser les autres de le faire mais ce n’est apparemment pas possible non plus parce qu’il y a Bruxelles – me dit-on – et parce que, comme en témoigne l’exemple catalan, l’Europe ne le permettrait pas. Le confédéralisme ? Je ne peux pas m’empêcher de penser que ses partisans ne souhaitent pas que ce soit une formule qui marche, mais un truc qu’ils saborderont aussi pour montrer que rien n’est possible ensemble.

Je vais vous dire : au fond … je m’en fous. Je continue à voter par obligation.

Je ne vise pas uniquement les Flamands en parlant comme ça mais toute la classe politique belge. Nous-mêmes, francophones, n’avons pas été à la hauteur des enjeux : nous nous défendons très mal. Nous avons installé notre capitale à Namur, quand les Flamands choisissaient fort opportunément Bruxelles. Nous avons même réussi à séparer Wallons, et Bruxellois alors qu’ils sont 90% de francophones, sous prétexte qu’ils vivent en ville, ce qui leur donnerait une autre culture, etc.

François Perin avait raison de considérer, dans les années 1970-80, que le mieux eut été de laisser les Flamands partir avec Anvers comme capitale. Nous aurions pu développer un projet fort en gardant le reste, le nom, le roi et surtout le lien entre Bruxelles et la Wallonie.

J’ai des enfants qui vivent à Washington et à Londres. Ils y rencontrent évidemment des Flamands. Ils se parlent en anglais et même pas de la Belgique. Ils n’ont pas quitté un pays qu’il fallait fuir. Non, ils s’en foutent. ! Ils ne sont ni pessimistes, ni optimistes, ils sont dans une autre dimension. Pour eux, tout cela n’a plus d’importance, ils ont une identité d’un genre nouveau, transportable.

Je pense parfois que la Belgique pourrait aller de l’avant et donner précisément naissance à un projet d’un genre nouveau, avec de l’enthousiasme et qui fonctionne bien, comme c’est le cas dans des pays scandinaves. Parce que dites-moi, monsieur l’informateur, c’est quoi le projet actuel de la Belgique ? Elle ne parvient même pas à faire son état des lieux comment pourrait-elle faire des plans ?

Faire de ce pays un seul vrai pays ce n’est plus possible, se séparer pour en faire deux (ou trois ou quatre) c’est pas possible non plus. Alors ?

Vous pourriez peut-être marquer l’histoire de ce non-pays, Paul Magnette, en faisant comprendre que le redressement de la Wallonie est dans l’intérêt de tous, mais je crois que vous essayez déjà, ou peut-être aussi en osant remettre tout sur la table (je crois que vous appelez ça un dialogue institutionnel) mais vraiment tout ! Et si les Flamands veulent leur indépendance pour économiser 6 milliards d’euros et bien tant pis, vous aurez accéléré les choses. Merci.

Et si vous n’arrivez à rien dans un mois ou deux, que l’on convoque de nouvelles élections. Si une majorité se dégage en Flandre avec la N-VA et le Vlaams Belang, cela aurait le mérite de la clarté. Nous, Wallons, pourrions alors enfin nous tenir debout dans l’adversité pour dire que nous ne voulons rien avoir à faire avec des fascistes… Vous aurez aussi accéléré un peu les choses. Bon travail, à bientôt. »

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