Lettre de Marc Uyttendaele, avocat et constitutionnaliste, à Paul Magnette: « Un arc-en-ciel ou, si c’est impossible, la clarté »

Le Vif

Cher Paul Magnette,

Monsieur l’informateur,  »Avec le temps. Avec le temps va tout s’en va. On oublie les passions et l’on oublie les voix Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens. Ne rentre pas trop tard surtout ne prends pas froid ».

Voilà les mots que j’ai envie aujourd’hui de vous murmurer. Le temps s’écoule, de manière indicible, depuis le 21 décembre de l’année passée, date où la Belgique a perdu son gouvernement, depuis le 26 mai dernier, date où la Belgique est devenue ingouvernable ou presque. Le temps passe. Le temps corrode. Le temps abîme la parole politique. Nul ne pourra vous reprocher de ne pas vous allier avec votre exact contraire au seul motif que le pays doit être doté d’un gouvernement. En ce faisant, vous auriez trahi ceux qui vous ont fait confiance. On ne peut tout à la fois reprocher à votre parti son goût immodéré du pouvoir et sa volonté de ne pas y accéder en bradant ses idéaux. Est indigne à cet égard la leçon de morale délivrée par ce Premier ministre démissionnaire qui, désertant le vaisseau gouvernemental pour une aventure personnelle, vous invite, comme il l’a fait certes jadis, à faire au lendemain des élections le contraire de ce qui avait été annoncé avant celles-ci. C’est cela aussi, abîmer la parole politique. Si vous pouvez dessiner dans le ciel national un arc-en-ciel, il ne faudra pas hésiter à avancer, à célébrer le courage de vos partenaires néerlandophones tout en regrettant – mais toute autre solution aurait été impossible – que ce gouvernement ne soit pas soutenu par une majorité au nord et au sud du pays. Une coalition arc-en-ciel serait teintée de la nostalgie du début des années 2000, cette époque si lointaine où les Belges aimaient leur gouvernement.

Mais si cette option devait être impossible à mettre en oeuvre, il faudra la clarté. Faire l’inverse de ce que le monde politique fait depuis le 21 décembre 2018 : admettre l’existence d’un fossé entre les communautés, admettre que la Belgique est confrontée à une crise existentielle et cesser de considérer les élections comme un virus dont il faut à tout prix se prémunir. Il vous faudra alors proposer des formules originales qui conduisent à un vrai débat national sur le devenir du pays et à rendre la parole aux électeurs. Il vous faudra proposer que la Constitution soit, dans son ensemble, soumise à révision et inviter tous les partis politiques à soumettre aux citoyens ce que doit être à leur sens la Belgique demain, celle qui aujourd’hui est déjà plus que coupée en deux. En ce faisant vous redonnerez son lustre à la parole politique.

Mais il est une certitude. Il ne faut plus traîner. Il faut enrayer le processus de décomposition démocratique qui, sournoisement, progresse tous les jours. Faire vite Monsieur l’informateur. Voilà pourquoi je vous murmure : « Ne rentre pas trop tard. Ne prends pas froid ». »

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