Jan Nolf

Lettre à Michelle Martin : « surmontez votre honte et bravez votre peur »

Jan Nolf Juge de paix honoraire

Aujourd’hui une porte va s’ouvrir pour vous. Mais vous ne serez pas libre: une autre se refermera derrière vous. Votre passage entre les deux sera bref. Ensuite suivra un très long chemin solitaire.

Une fois la première porte franchie, ne souriez pas : votre sourire serait répété en boucle dans les journaux télévisés et ferait la ‘une’ de tous les journaux. Ne vous crispez pas non plus, car vous donneriez l’impression d’avoir peur. Ne levez pas la tête, car vous ne devez surtout pas être fière. Ne la baissez pas, car on vous nierait le courage dont vous allez avoir besoin.

Quoi que vous fassiez, vous rencontrerez la colère, voire la haine. Tous ceux qui portent cette haine vous crieront d’ailleurs que c’est une haine juste. Effectivement, il y a eu quelques très rares guerres justes contre l’injustice et la barbarie. Mais il y a aussi eu des procès justes, de Nuremberg à Oslo.

La loi réformée, suite aux crimes cruels que vous avez commis, vous accorde une pause afin de mieux vous retrouver. Cette pause ne vous procurera même pas un semblant de paix, mais il faudra pourtant la faire, cette paix.

Ce soir, quand l’autre porte se refermera derrière vous, ce ne sera pas une victoire. Pour la justice, un très amer parcours. Pour vos victimes et leurs familles, une nouvelle étape à franchir. Ils n’accepteront pas votre petit pas vers cette fausse liberté qui est une autre peine.

Tout reste à reconstruire : vous, eux, nous. Quatre filles ne rentreront jamais. Mais où retrouverons-nous ceux qui restent ? Vous, fragile dans un couvent qui tient plus du bastion que de la prison, des parents condamnés à vie chez eux, et notre société aigrie dans des discussions furieuses qui remettent tout en cause.

Demain vous appartient. Faites un geste, et faites-en un chaque jour. Ne comptez pas sur un pardon, il faudra vivre sans. Si vous croyez en Dieu, préparez-vous à pardonner à ceux qui ne vous pardonnent pas, même quand ils sont injustes dans leur colère humaine.

Demain, restez secrète derrière les murs, mais ne restez pas muette. Pour ceux qui ont gardé un mince espoir de consolation : surmontez votre honte et bravez votre peur.

Faites un geste. Faites un geste plus fort chaque jour. Ne vivez pas en comptant vos jours. Vivez pour réparer. Une justice qui ne répare pas, ce n’est pas la justice.

Vous connaissez les questions qui restent et qui hantent. A vous de réfléchir et d’agir. Les regrets, vous les avez. Sinon, vous ne seriez pas là, prête à vous réfugier chez celles qui ont été les seules à avoir le coeur et le courage de vous accueillir.

Quand enfin ce jour, la nuit tombera après cet âpre procès du procès, la justice sera à bout de souffle. Elle ne peut plus rien réparer sans vous. Elle a donc besoin de vous, de votre parole. Faites-le pour ces parents et faites-le aussi un petit peu pour nous tous, pour notre état de droit. Afin qu’il reste présent pour tout le monde, y compris pour vous.

Jan Nolf, Juge de paix honoraire

www.JustWatch.be – Twitter@NolfJan

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