Carte blanche

Lettre à des soignants admirables (carte blanche)

Annemie Schaus, rectrice de l’ULB, rend hommage au personnel soignant, déplore les salaires dérisoires, la pénibilité de la fonction et le décrochage professionnel. « Il importe donc que les pouvoirs publics refinancent d’urgence les soins de santé », dit-elle.

Vous vous souvenez des applaudissements quotidiens, il y a un an? Aujourd’hui, vous voilà toutes et tous retournés à l’ordinaire de votre profession; le coronavirus est toujours là comme la fatigue, l’épuisement… Mais plus personne ne vous applaudit. En ce 12 mai, on célèbre l’International Nurses Day — je l’écris en anglais parce qu’en français, on oublie souvent que votre métier, celui des infirmières et des infirmiers, ne s’écrit pas qu’au féminin.

Célébrer votre travail quotidien, c’est magnifier le geste du soin, lequel demeure depuis des siècles un geste d’humanité profonde, un métier où l’on fait face à la détresse, la souffrance, la fragilité de la vie. J’y suis particulièrement sensible, et vous savez combien j’ai à coeur le projet de notre amie Virginie De Wilde « Les Veilleuses » — du nom de ces soignants qui travaillent de nuit –, un magnifique projet qui met en valeur le travail quotidien des personnels de soins. La photo de Gaël Turine qui l’accompagne est touchante, qui montre cette main ridée s’accrochant à celle d’une personne en blouse blanche…

On vous a célébrés, on vous a applaudis. Certes. Mais il faut aussi rappeler ce que sont réellement vos conditions de travail. D’abord sa pénibilité : les rotations, les nuits, le manque parfois cruel d’effectifs, la disponibilité constante, la pression psychologique… Le personnel infirmier constitue souvent la première variable d’ajustement dans un hôpital : ceux qui, pour une raison ou une autre, manquent à l’appel ne sont pas remplacés ; les normes internationales d’encadrement ne sont pas respectées, comme l’a rappelé cruellement la pandémie actuelle. Toutes ces raisons entraînent une surcharge inconsidérée de travail, laquelle devient la cause d’éventuels risques pour les patients.

Que dire de la valorisation de votre formation? Vous constituez aujourd’hui un personnel hautement qualifié, qui a fait de longues études et se spécialise, se forme tout au long de la vie, exerce un métier qui est désormais d’une grande technicité. Or vos salaires sont dérisoires, sans lien aucun avec vos qualifications. Voilà qui est inacceptable. Une étude du SPF Santé publique, en 2019, a montré que seuls 70 % des infirmiers diplômés exercent leur activité ; faut-il vraiment se demander pour quelles raisons les 30 % restant se tournent vers d’autres professions, moins pénibles et mieux rémunérées? Et les infirmiers en soins intensifs ne travaillent que quelques années dans ce secteur avant de se réorienter, la charge de travail étant beaucoup trop intense, comme le stress, ou la fatigue engendrés. Les burn-out sont légion.

Le décrochage professionnel est un défi majeur; de jeunes soignants quittent l’hôpital, frustrés de ne pas y retrouver ce qu’ils y cherchaient. Le sous-effectif entraîne le manque de temps et de proximité avec le patient. Plus d’échange, plus de réconfort, plus d’explication; quelle frustration! Le soignant est parfois maltraité lors de ses interventions et doit aujourd’hui faire face aux attitudes de plus en plus violentes, parfois des patients, plus encore de leurs familles — lesquelles, dans le stress engendré par la maladie ou l’accident, deviennent aveugles à la bienveillance du geste du soignant.

L’hôpital lui-même est impuissant face à cette situation: il importe donc que les pouvoirs publics refinancent d’urgence les soins de santé. D’abord en augmentant la part du PIB qui y est consacrée et qui, depuis dix ans, n’évolue plus, alors que les besoins croissent, notamment au rythme du vieillissement de la population. Ce refinancement doit déboucher sur une revalorisation du traitement et de la profession des infirmières et infirmiers, qui tient compte aussi de l’évolution du métier ; car l’avenir des soins se jouera de plus en plus en dehors de l’hôpital, au gré de la révolution des pratiques hospitalières et sanitaires qui est en cours.

La crise sanitaire vous a placés au coeur de la tourmente. Parmi vous, les femmes cumulent les difficultés de leur métier avec celles de leur vie familiale, où les responsabilités sont toujours aussi mal partagées. Vous avez donné énormément ; il est temps que l’on vous rende à hauteur de ce don. Votre métier est une vocation ; la vocation d’un gouvernement est de répondre aux besoins de la société et de respecter celles et ceux qui contribuent au bien commun. Améliorer vos conditions de travail, revaloriser vos salaires, travailler à l’enthousiasme pour guider les jeunes sortant des écoles vers les métiers médicaux, refinancer les soins de santé en tirant de l’expérience collective que nous vivons depuis un an les leçons adéquates… voilà que me paraîtrait une bonne manière de célébrer ce 12 mai.

Annemie Schaus, rectrice de l’ULB.

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