Carte blanche

« Les transports en commun, sponsors de la voiture individuelle, ennemis de la transition écologique »

Dans le monde de la publicité automobile, les messages ne visent jamais qu’à préférer une voiture à une autre, et jamais à préférer la voiture aux transports en commun : ça, c’est justement les transports en commun qui s’en chargent eux-mêmes.

Assis dans le trafic congestionné, bercé par une énième interprétation de la Symphonie des Embouteillages en klaxons et cris rageurs, le pot d’échappement toussotant doucement ses crasses dans le ciel matinal, les automatismes s’occupent de tout, laissant le cerveau libre de se faire traverser par cette pensée : et en transports en commun, ne serait-ce pas mieux ?

L’Humain, doué de sens et de raison, connaît déjà la réponse à cette question ; soit par déduction, soit par le martèlement médiatique et fiscal (surtaxons les voitures, surtout les plus polluantes). Si si, ce serait bien mieux ! Diminution des émissions, donc de l’effet de serre ; fin des embouteillages, du smog, des parkings saturés. On s’assied dans un bus hybride qui file silencieusement dans le trafic fluide et nous dépose sur le perron de notre travail, où nos collègues arrivent déjà en vélos électriques, grands sourires aux lèvres. Balèze ces programmes de 3D! On s’y croirait, mais de cette vidéo promouvant la mobilité douce, quelle est la part de vrai ?

La réalité des choses, ce sont des arrêts de bus où des foules de personnes attendent des bus qui n’arrivent pas, où des ados téléphonent à leurs parents motorisés pour réclamer un ramassage en voiture, où des usagers en panique craignent que cette énième arrivée tardive soit celle qui leur amène un C4.

La réalité des choses, ce sont des travailleurs qui, après avoir passé 8 ou 10 heures au boulot, trépignent, furieux contre ce bus qui aurait dû passer, cet autre qu’ils attendent toujours, réduisant chaque minute le peu de temps qu’ils passeront avec leurs enfants. La réalité des choses, c’est que les quelque bandes de circulation dédiées aux bus se déversent dans les mêmes carrefours-goulots que les voitures, n’améliorant qu’à peine leur vitesse moyenne.

La réalité des choses, ce sont des tarifs qui augmentent chaque année pour des fréquences de passages (théoriques) qui diminuent, des gares supprimées et des applis/automates qui remplacent les humains. La réalité des choses, c’est une société de bus qui n’a pas assez de chauffeurs ni assez de bus, et qui supprime service après service en supposant que l’usager s’adaptera. La réalité des choses est bien loin des vidéos où des citoyens lisses vivent heureux dans l’air pur. La réalité des choses, c’est que les usagers des transports en commun en ont marre et ne sont pas satisfaits, loin de là.

Et si vous, vous étiez décideurs ? Pousseriez-vous le « petit peuple » vers des transports publics de ce type ? Bien sûr que oui ! Car, avec votre salaire de décideur, l’induite déconnexion du monde réel rendra la vidéo « verte-air-pur » super crédible. Finie l’époque du ‘poêle-à-mazout-sur-4-roues’, des oxydes d’azote soufflés à tout-va, des particules fines crachées dans cette atmosphère qu’il faut protéger. Nous sommes à l’heure de la transition écologique; comprenez : ce que l’on fait est découragé/surtaxé et ce que l’on doit faire… n’existe pas.

C’est u0026#xE7;a, le quotidien des navetteurs en transports en commun, et qu’est-ce que u0026#xE7;a donne envie d’avoir une bagnole !

Comment, d’ailleurs, est-ce possible ? « Dans la famille des dépenses inutiles, je demande l’abonnement à puce », mais, enfin, qu’est-ce qu’il se passe en haut ? L’usager ne demande que de la ponctualité et de la fiabilité, rien d’autre. Il n’a droit à aucun des deux, mais patience ! Il y a quelque part une task force qui pense mettre du wi-fi dans certaines rames à l’horizon 2045. S’il y a du budget, hein.

Alors que faire ? Râler et taper du pied en attendant d’hypothétiques bus/trains ? Hurler comme un possédé sur le ou la pauvre chauffeur/contrôleuse dont la compétence et l’investissement ne parviennent pas à contrebalancer l’organisation déplorable de sa hiérarchie ? Envoyer des courriers de plaintes au TEC, à la SNCB ? Expliquer à son chef qu’on ne décide pas vraiment de quand on arrive ? Tout ça n’est ni utile ni constructif. Ce qui l’est, par contre, c’est la possession et l’usage d’une voiture individuelle. N’est-ce pas malheureux ?

Les dirigeants se disent, pour beaucoup, touchés par le cri d’alarme de Greta Thunberg. Ils font même des milliers de kilomètres en avion pour la voir en chair et en os. Mais avant de saupoudrer chaque discours ou tweet des mots « transition écologique », il faudrait peut-être savoir vers quoi nous allons ? Visiblement, faire payer encore et toujours plus les automobilistes, sans leur donner d’alternative sérieuse. Et les petits salaires qui perdent des heures chaque jour dans les transports en commun de rêver de voiture. Quelle facilité, quelle efficacité, je pourrais me lever plus tard et rentrer plus tôt ! Tant pis si ça coûte cher, vivement m’en acheter une !

D’un côté, les petits revenus, donc sans voiture, n’ont pas trop le choix. Ils subiront la gestion catastrophique des transports publics. De l’autre, les revenus un peu plus élevés, qui ont le choix entre leur voiture et des transports en commun dont l’inefficacité est difficilement descriptible, subiront pointage du doigt et déferlante de taxes diverses s’ils n’abandonnent pas leur voiture personnelle. Le citoyen est donc supposé trouver lui-même une alternative, un peu comme quand un ministre informe les « gueux » qu’ils feraient bien de se constituer eux-mêmes un pilier ou l’autre de pension… Ponctualité déplorable, annulations incessantes, fiabilité défaillante des transports publics : on dirait bien qu’à la voiture individuelle … « there is no alternative« , pour reprendre une punchline déjà bien usée.

J’ai écrit ces quelques lignes un peu dépitées sur mon temps de midi, et tantôt à 17h, j’irai attendre le bus. J’attendrai calmement, 5 minutes ou des heures, qu’un bus passe. Surtout, ne pas être tenté de lire l’horaire, ça rend fou. Une attente incertaine, anxieuse parfois, irritée souvent, peut-être interrompue quand je déciderai que j’irai plus vite à pied. C’est ça, le quotidien des navetteurs en transports en commun, et qu’est-ce que ça donne envie d’avoir une bagnole !

Un usager intensif des transports publics depuis 20 ans, qui, s’il a un jour les moyens de financer une voiture, n’hésitera pas une seconde.

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