Claude Demelenne

Les socialistes flamands ne gouverneront jamais sans le PS (carte blanche)

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Plus de 400 jours après les élections, les palabres politiques deviennent une farce. La droite flamande et Georges-Louis Bouchez veulent former un gouvernement comprenant les socialistes flamands, mais pas les socialistes francophones. Un scénario voué à l’échec.

A force de tourner en rond comme des guêpes dans un bocal, certains responsables politiques en arrivent à faire absolument n’importe quoi. Le dernier épisode est burlesque. Georges-Louis Bouchez (MR), Joachim Coens (CD&V) et Egbert Lachaert (Open VLD), les présidents des trois partis soutenant l’actuelle « majorité » (en fait, une minorité, disposant seulement de 38 sièges sur 150 au parlement) tentent de jeter les bases d’un gouvernement inédit. Il rassemblerait les formations de l’ancienne « Suédoise » (NV.A, CD&V, Open VLD, MR) ainsi que le CDH et le SP.A.

Un scénario abracadabrantesque

Dans un premier temps à tout le moins, la famille socialiste (PS-SP.A) serait donc fracturée. Le SP.A de Conner Rousseau négocierait la formation d’un nouveau gouvernement avec les familles libérale et chrétienne, ainsi qu’avec la NV.A, tout en étant isolé autour de la table, coupé de son parti-frère, le PS. « Ce parti n’est pas exclu, il pourrait éventuellement se joindre au processus en cours de route », a précisé Georges-Louis Bouchez. On nage en plein surréalisme. Qui pense un instant que Paul Magnette accepterait que le PS joue le rôle de cinquième roue de la charrette et vienne s’asseoir sur les genoux de la NV.A pour parapher un accord de gouvernement qu’il n’aurait négocié qu’en toute fin de processus ? Ce scénario est abracadabrantesque.

Par ailleurs, jamais le SP.A de Conner Rousseau ne montera dans un gouvernement sans le PS. Le jeune président sait qu’en agissant de la sorte, il se tirerait une balle dans chaque pied. Les socialistes perdraient leur statut de première famille politique du pays, au profit de la famille libérale. Surtout, Conner Rousseau ferait preuve d’incohérence en rompant avec la stratégie actuelle de son parti qui consiste, au contraire, à renforcer les liens entre socialistes du Nord et du Sud. Les socialistes belges ont compris que pour peser plus efficacement dans le débat politique, il faut miser sur une famille idéologique unie sur l’essentiel.

Cohabitation PS-SP.A

Le rapprochement PS-SP.A se matérialise également par un déménagement du siège central du SP.A, d’ici la fin de l’année, dans le bâtiment du Boulevard de l’Empereur, actuellement occupé par le PS. Il y a vingt ans, le SP.A avait mis fin à une longue cohabitation avec le PS dans ces mêmes locaux. Pour des raisons financières, mais aussi d’efficacité, PS et SP.A emménagent à nouveau ensemble. C’est loin d’être anecdotique. Le symbole est fort : il est indispensable de multiplier les passerelles entre les « rouges » francophones et flamands.

L’initiative de Bouchez & Co vise plutôt à dynamiter les ponts reliant PS et SP.A. La ficelle est un peu grosse. Conner Rousseau ne l’a pas déclaré explicitement à ce jour, parce qu’il ne souhaite pas apparaître aux yeux de l’opinion publique flamande comme étant scotché au PS. Mais personne n’est dupe. Et certainement pas Georges-Louis Bouchez, attaché lui aussi à la bonne entente au sein de sa propre famille politique, entre MR et Open-VLD.

Piéger la gauche

Fin stratège, Georges-Louis Bouchez sait qu’il place Conner Rousseau dans un premier temps, puis Paul Magnette dans un second temps, dans une position intenable. Le but est de piéger la gauche en lui refilant le mauvais dossard : celui de la famille politique peu coopérante, multipliant les vetos et les exclusives.

L’initiative du trio Bouchez-Coens-Lachaert s’inscrit à rebours de l’évolution historique, qui plaide plutôt pour un renforcement des liens entre familles politiques -c’est particulièrement le cas chez les écologistes – de part et d’autre de la frontière linguistique.

Feu l’Arizona

Sur le fond, les priorités de Conner Rousseau – taxation des capitaux et des multinationales, refinancement conséquent des soins de santé… – sont peu compatibles avec le programme très à droite de la NV.A d’abord, de l’Open VLD, ensuite. Le président du SP.A, qui apprend vite malgré son jeune âge, n’ira pas s’embourber dans une coalition où il serait en bout de table, seul représentant de la sensibilité socialiste. « L’Arizona » ne verra jamais le jour. C’est une des rares certitudes du mauvais théâtre belge, que déserte en rangs serrés un public de plus en plus atterré par ce lamentable spectacle.

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