© iStock

Les sept grandes leçons de l’affaire Dutroux, vingt-cinq ans après

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Julie et Mélissa disparaissent le 24 juin 1995, provoquant un séisme dans la société. Avec, par la suite, l’horreur des morts, des dysfonctionnements en série, des réformes à la clé et un rapport changé à la politique.

Il y a vingt-cinq ans, notre pays se réveillait sans encore le savoir dans l’horreur de l’affaire Dutroux, avec la disparition, le 24 juin 1995, de Julie et Mélissa à Grâce-Hollogne. Leurs corps sera finalement retrouvé plus d’un an plus tard, le 17 août 1996 à Sars-la-Buissière. La Belgique en est ressortie profondément modifiée. Quelles leçons peut-on tirer, avec le recul, de cet épisode noir ? En voici sept, principales. Certaines d’entre elles font singulièrement songer à celles que l’on tirera, peut-être, de la crise du coronavirus.

Dysfonctionnements en série

Au moment de la disparition des deux fillettes enlevées par Marc Dutroux, c’est l’angoisse qui domine. Bientôt, ce sera l’horreur. L’actualité belge se retrouve rythmée durant de longues et terribles semaines par les images d’attente et de pelleteuses à la recherche de corps. Très vite, c’est un autre registre qui s’impose également. Car le drame aurait pu être évité si une série de dysfonctionnements n’avaient pas eu lieu. Les révélations se succèdent sur la guerre des polices, les informations non partagées, sans oublier les théories fumeuses sur les réseaux de pédophilie qui auraient entouré l’affaire, avec des protections en haut lieu. L’angoisse et l’effroi cèdent la place à la colère sur fond des autres disparitions. Julie et Mélissa, mais aussi An et Eefje, Loubna, Sabine et Laetitia, deviennent les martyrs d’un pays qui n’a pas su protéger ses enfants.

Défiance de la politique

Dans un premier temps, Jean-Luc Dehaene, alors Premier ministre, ne saisit pas l’émotion qui s’est emparée de la population à l’occasion de la Marche blanche : on lui reprochera fortement, le palais venant à la rescousse en recevant les familles des victimes. La question des responsabilités politiques suit, naturellement. Une commission d’enquête retransmise à la télévision fait de son président, Marc Verwilghen (Open VLD), une star. Ses révélations sont destructrice pour nos institutions. Deux ministres, Stefaan De Clerck (CD&V, Justice) et Johan Vande Lanotte (SP.A, Intérieur) finiront par démissionner, après l’évasion rocambolesque de Marc Dutroux à Aron, en 1998. L’affaire Dutroux joue un rôle important dans le fossé qui se crise entre le monde politique et la population.

Apparition du mouvement blanc

Le 20 octobre 1996, une Marche blanche réunit pas moins de 300000 personnes dans les rues de Bruxelles. Les parents des petites disparues deviennent des symboles aux yeux des Belges, tant du côté flamand que francophone. Ce sont des nouveaux guides pour un peuple en plein désarroi. Le mouvement blanc peine toutefois à se structurer et porte en lui des illusions « pures », compréhensibles vu l’ampleur du drame, mais parfois contradictoires avec la réalité politique. Plusieurs parents – Jean-Denis Lejeune, Carine Russo, Pol Marchal – tenteront, à des moments différents et sous des formes différentes, une carrière politique. Sans jamais percer, le poids de leurs rêves perdus se fracassant sur les complexités et, parfois, les compromissions belges.

Place de la victime dans la société

Le premier élan qui suivra ce grand traumatisme national consistera à donner une place plus grande à la victime en matière de justice. Il s’agit d’écouter davantage la voix de ceux qui ont tout perdu, qui cherchent leurs proches ou qui sont victimes de violences. Des avancées notables sont obtenues sur ce terrain. De même, les disparitions inquiétantes font désormais l’objet d’une procédure particulière et le centre Child Focus voit le jour. On professionnalise enfin la recherche.

Réforme de la justice et de la police

Politiquement, le principal chantier qui s’ouvre consiste à apporter des solutions aux dysfonctionnements constatés dans le domaine de la police et de la justice. La gendarmerie en fait les frais : la fusion de l’ancien corps militaire avec la police est un des principaux chantiers de la réforme dite « de l’Octopus » parce qu’elle est soutenue par huit partis (CVP, PS, VLD, SP, PRL, FDF, PSC et VU). Ses effets se font encore sentir aujourd’hui, même si le financement, tant de la police que de la justice, n’a jamais été à la hauteur des espoirs de l’époque.

Le renouveau politique en berne

Il est également question, à la suite de l’affaire Dutroux, d’un nécessaire renouveau politique. Outre ce séisme profond, la Belgique avait déjà été sonnée par le « dimanche noir » de 1991 et l’explosion du Vlaams Blok (devenu Vlaams Belang) à Anvers. Mais hormis des tentatives de recomposition politique au nord du pays et des réformettes du système, la réflexion accouchera d’une souris. Par contre, la Belgique poursuivra son évolution institutionnelle à coups de réforme de l’Etat successives.

Image de la Belgique ternie

Les grandes affaires de pédophilie de la fin des années 1990 marqueront au fer rouge la notoriété de notre pays durant des années. Marc Dutroux fut, malheureusement, le Belge le plus célèbre hors de nos frontières avec le roi Baudouin et les Diables rouges. De cet épisode vient la réputation de la Belgique comme un « failed State », « un Etat failli », qui nous poursuit au rythme de nos drames. Récemment, les attentats terroristes (Paris, Bruxelles) ont révélé nos failles en matière d’intégration. Quant au mauvais bilan chiffré de la crise du coronavirus, il s’explique notamment par des raisons objectives de comptabilité transparente. Mais son impact dans l’imaginaire international reste désastreux.

En mal d’identité, trop compliqué, « dysfonctionnant », notre pays reste montré du doigt, avec l’affaire Dutroux pour mémoire.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire