Carte blanche

Les naufragés du confinement

À cet Africain croisé chaque matin et qui, enveloppé dans une couverture, sollicite quelques pièces des passants…

A l’heure où des médias – comme ils sont gentils ! – tentent à nous divertir, distraire ou plutôt à nous faire oublier outre, bien entendu, l’actuelle et dramatique hécatombe liée au coronavirus, notre confinement par des vidéos drôles de confinés plus ou moins heureux ou joyeux de l’être, il serait peut être urgent de (re)penser à l’ensemble de ces confinés, d’ici et d’ailleurs, pour qui, a contrario, ce confinement est plutôt synonyme d’un réel Enfermement.

Combien sont-elles donc ces personnes ou familles endeuillées qui ont vu un proche ou un être aimé être emporté par le coronavirus et tandis qu’eux pleurent d’autres pensent déjà, sans honte aucune, à « la reprise économique » ou à profiter des « effets climatiques positifs du confinement » (donc du coronavirus !) pour envisager de nouvelles politiques climatiques (« post-covid-19 » (sic) !) ? Combien sont-elles aussi ces personnes ou familles désespérées qui ne peuvent nullement rendre visite à un proche ou à un être aimé atteint gravement ou non du coronavirus et que certaines ne reverront plus jamais vivant ?…

Combien sont-elles ces personnes âgées qui, depuis des semaines, vivent dans la chambre de leur maison de retraite une « réclusion solitaire » de plus en plus intolérable, impossible à supporter, inhumaine ?…

Combien sont-ils aussi ces êtres angoissés par l’actuel climat épidémique et mortel qui voient le sens qu’ils accordaient à l’existence, avant le coronavirus, s’effriter ou se démanteler ? Combien sont-ils ces êtres qui, après l’avoir oublié, se confrontent, désormais et brutalement, à leur être-pour-la-mort (« Ainsi donc, je suis moi aussi soumis à cette possibilité permanente de mourir ! ») ? Combien sont-ils aussi ces êtres qui voient dans le coronavirus un signe qui renforce leur certitude – à nos yeux d’êtres dits « normaux » – délirante : que des Extraterrestres, par exemple, veulent exterminer l’humanité ?…

Combien sont-ils aussi ces névrosés obsessionnels que l’actuelle « crise sanitaire » accule à encore plus de vérifications, de précautions obsessionnelles (de propreté, d’hygiène…) ? Combien sont-ils encore ces êtres, isolés ou solitaires, qui ne se soutenaient dans l’existence, par exemple, qu’en allant au café du coin pour y boire quelques cafés ou chopes et bavarder et rire avec d’autres clients et qui, désormais, se voient totalement coupés des autres et ainsi contraints à ne parler, désespérément, qu’aux murs de leur habitation ou à leur(s) chiens ou chat(s) ? Combien sont-ils ces êtres déprimés, tristes, pour qui le confinement est synonyme d’une oppression ou malédiction en plus ?…

Mais aussi, combien sont-elles donc ces personnes psychiquement fragiles, voire sujettes à des tendances suicidaires, qui – confinement oblige – ont été réellement et sordidement laissées tomber par leur « psy » ?…

Combien sont-elles aussi ces personnes handicapées mentales qui, ne comprenant pas la nécessité du confinement et de la distanciation sociale, déclenchent de graves « crises » – au grand dam des éducateurs qui tentent ainsi à les « calmer », « rassurer »?…

Combien sont-ils encore ces êtres qui atteints par l’exclusion sociale maudissent, corps et âme, le confinement qui accentue leur désespoir ou précarité en les astreignant à survivre les 3/4 du temps dans des espaces insalubres et/ou surpeuplés sources de tensions nerveuses, voire de déclenchements violents à l’égard de leur conjoint(e) et/ou de leur(s) enfants ? Combien sont-ils donc ces mendiants qui ne reçoivent plus un sou des gens du fait que ces gens, de peur d’être contaminés, respectent, à la lettre, la règle de « la distanciation sociale » (1m50′) et évitent ainsi d’approcher et de toucher la main des mendiants (ces gens se devraient-ils, dès lors, de leur « jeter » des pièces ?) ? Combien sont-elles aussi ces personnes qui arrondissaient leur allocation sociale de misère avec du « travail en noir » et qui, désormais, n’arrivent plus à boucler leur budget mensuel (loyer, charges locatives…) et, du coup, s’endettent ? …

Combien sont-elles donc ces femmes-prostituées – déjà, pour certaines d’entre elles, durement écorchées par la vie – qui ne vivaient que de l’argent des clients et qui, aujourd’hui, n’ayant plus rien ou se mettent en danger en recevant des clients, irresponsables ou inconscients, chez elles ou s’exilent ou se sont exilés vers un Ailleurs sans nom ?…

Combien sont-ils ces êtres « sans abri » ou « sans papier » qui faute d’hébergement sont contraints, en plein confinement, d’errer dans les rues, de dormir sur des bancs ou sous le porche d’églises ?…

Combien sont-elles ces personnes belges d’origine étrangère (cas de mes propres parents) qui craignent de mourir ici et – fermeture des frontières oblige – de ne pas être inhumées dans leur sol natal et auprès de leurs proches défunts ?…

Combien sont-ils aussi ces êtres humains sur le globe pour qui le confinement est synonyme de « mourir de faim », de perte de tout revenu (cf. l’Afrique, l’Inde…) ? Combien sont-ils ces êtres sur le globe à craindre d’être affectés du coronavirus car sachant que toute hospitalisation y est, chez eux, dans leur pays, impossible ou hors de prix (réservée qu’à une certaine élite) ? Et du coup, combien sont-ils ces êtres du globe qui malades et pauvres se sont laissés, se laissent ou se laisseront mourir en silence chez eux ?…

Etc.

On l’a compris : si le confinement amuse certains, pour d’autres, il est plutôt synonyme de deuil, de tristesse, de dépression ou de désespoir.

Ben Merieme Mohamed

Assistant social à l’Association des Locataires de Molenbeek et Koekelberg

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