La construction wallonne promet 6 000 emplois, mais souffre de clichés. © belgaimage

Les jeunes, premières victimes du chômage… Quelles perspectives d’avenir?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Les moins de 30 ans sont les plus impactés par la perte d’emplois liée au coronavirus. Quelles perspectives d’avenir pour ces jeunes qui trinquent déjà ?

Ils trinquent et ils vont trinquer, ça ne fait pas un pli. Les jeunes sont les premières victimes de la crise sur le plan de l’emploi. Côté wallon, le Forem a enregistré près de 30 000 demandes d’emploi supplémentaires en un trimestre par rapport à la même période en 2019 et c’est surtout la catégorie des moins de 30 ans qui augmente, de 14 %, soit deux fois plus que l’ensemble des demandeurs.  » Ces six dernières années, les courbes concernant les jeunes s’étaient améliorées, déclare Marie-Kristine Vanbockestal, administratrice-générale du Forem. Mais la crise consécutive au Covid-19 inverse complètement la tendance. Les jeunes sont les plus touchés car ils occupent beaucoup de postes intérimaires et de contrats à durée déterminée, dont une partie n’a pas été renouvelée pendant le confinement.  »

La précarité, chez les jeunes, ce n’est pas que matériel, c’est un état d’instabilité structurel.

A Bruxelles, le constat est le même : l’impact de la crise sur le chômage reste, jusqu’ici, limité, sauf pour les jeunes chercheurs d’emploi de moins de 25 ans, dont le nombre a augmenté de près de 8 %, en mai, par rapport à l’an dernier. Le Forem constate que, paradoxalement, les plus diplômés – de l’enseignement supérieur, donc – sont davantage affectés (+ 18 %) que les diplômés du secondaire (+ 11 %) par la perte d’emploi. Il est encore trop tôt pour en expliquer les raisons.

Par ailleurs, les jeunes qui sont en stage, en vue de bénéficier d’une allocation d’insertion lorsqu’ils ne trouvent pas de job après leurs études, sont également déjà en augmentation, tant à Bruxelles (+ 33 %) qu’en Wallonie (+ 21 %). Beaucoup n’ont pu décrocher d’emploi pendant le confinement. Pour d’autres, les évaluations positives nécessaires pour accéder aux allocations ont dû être postposées, lorsqu’un entretien physique était requis. Il y a du retard à rattraper, avec effet rétroactif en cas d’acceptation. Et ce n’est pas fini : entre début juillet et début octobre, après les secondes sessions d’examen, le Forem attend l’inscription de plus de 20 000 jeunes qui auront terminé leurs études, avec 44 % d’offres d’emploi en moins par rapport à 2019 (qui était une année faste) à leur proposer.

Mais les jeunes parlent mieux d’eux-mêmes que les chiffres. Le mouvement JOC (Jeunes organisés et combatifs), issu du Mouvement ouvrier chrétien, a récolté des témoignages dont il fait part au Vif/L’Express.  » Je suis technicien événementiel et, comme mes collègues, je vis dans l’incertitude, raconte un jeune Carolo. Freelance, je ne bénéficie d’aucun revenu, aucune aide. J’ai toujours eu des contrats en intérimaire. Je ne suis donc pas considéré comme un vrai travailleur.  »

Tanguy involontaires

Depuis 2009, le nombre de 25-30 ans qui vivent encore chez leurs parents ne fait qu’augmenter, surtout en Wallonie. Avec la crise, ils seront beaucoup plus nombreux à devoir retarder leur projet d’autonomie.  » Nous restons chez nos parents par souci économique, souligne, avec franchise, un jeune Tournaisien. Avec le salaire d’un job précaire ou un revenu d’intégration (NDLR : pour une personne isolée, il s’élève à 958 euros par mois), payer un loyer est très difficile. Nous sommes des Tanguy qui n’ont pas choisi de l’être…  » Certains, après avoir perdu leur boulot, seront même obligés de retourner chez papa-maman, du moins si ceux-ci sont capables d’encore les accueillir. Une partie d’entre eux sera forcée d’aller frapper à la porte d’un CPAS. C’est déjà le cas et ils sont plus nombreux que les années précédentes.  » L’augmentation de 20 % du public des CPAS prévue par le bureau du Plan risque de toucher beaucoup de jeunes étudiants qui vont débouler sur un marché de l’emploi fermé « , prévoit Marie Castaigne, à la Fédération des CPAS.

N’en rajoutons pas. Il est évident que l’embauche des moins de 30 ans doit être une priorité. Les autorités publiques semblent en être conscientes. Au Forem, 70 conseillers seniors expérimentés sont venus renforcer les premières lignes pour prendre en charge dans les 48 heures les nouveaux demandeurs, en particulier les jeunes. La réforme du Forem, qui prévoit un coaching par un référent unique, va dans ce sens. Résultat : sur les 30 000 demandeurs supplémentaires, un tiers – ceux qui avaient été licenciés après une période de travail – ont fait l’objet d’un accompagnement instantané et, en mai, près de 3 000 ont retrouvé un emploi, dont 35 % de moins de 30 ans. C’est un début…

Bullshit jobs

Et demain ? Si des secteurs, comme l’Horeca et le commerce de détail, souffrent sérieusement de la crise, d’autres n’ont cessé de recruter, comme celui de la santé, du biopharma, l’e-commerce, la logistique, le transport de biens, l’IT… Selon l’Union des classes moyennes (UCM), près de 10 % des PME sont aujourd’hui entravées dans leur croissance parce qu’elles ne trouvent pas les compétences nécessaires à leur business. La construction, qui connaît une pénurie importante de main-d’oeuvre qualifiée, sera aussi un moteur à embauche, dans les mois à venir, en tout cas pour les chantiers publics (routes, logements sociaux…), mais elle souffre de son image. La robotisation et l’amélioration de l’outillage ont pourtant allégé les tâches. Avec la construction durable, le boulot est devenu plus valorisant. Pour casser les clichés, la construction wallonne, qui promet 6 000 emplois, a lancé le site jeconstruismonavenir.be où les jeunes peuvent dialoguer avec des conseillers.

Il n’empêche, on se demande si la génération actuelle n’est pas  » sacrifiée « .  » Cette formulation utilisée par les médias est fort anxiogène, réagit Marie-Kristine Vanbockestal. Il ne faut être ni optimiste béat ni catastrophiste. Les jeunes ont aussi besoin de messages d’espoir.  »  » Il faudrait plutôt parler de générations sacrifiées au pluriel, affirme, de son côté, Martin Guérard, au nom des JOC. La précarité n’est pas que matérielle, c’est aussi un état d’instabilité permanent, structurel. C’est la difficulté à trouver sa place dans une société qui ne propose que des bullshit jobs. Beaucoup voudraient bosser dans un secteur où ils se sentent utiles. Malheureusement, le règne du profit et du court-termisme ne le permet pas, encourage l’inaction face au changement climatique et donne l’impression aux jeunes de ne pas compter.  »

Une réponse à ce désenchantement pourrait être le revenu de base, une idée justement portée davantage par les jeunes et remise en avant par le coronavirus.  » Ce serait un outil d’insertion et d’entrepreneuriat puissant pour les moins de 30 ans, estime l’économiste Philippe Defeyt, ardent défenseur du concept. Cela leur permettrait de développer un projet qui leur tient à coeur sans se soucier de sa rentabilité immédiate, sans être chômeur et tout en ayant son loyer assuré. « 

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